Rwanda : Agathe Habyarimana, ex-première dame sans papiers
Paris lui a refusé sa demande d’asile mais ne veut pas pour autant l’extrader vers le Rwanda. Kigali affirme pourtant détenir « un dossier accablant » sur sa responsabilité dans le génocide. Une situation plus que délicate pour l’ex-première dame Agathe Habyarimana, qui vit en France depuis 1994.
Plusieurs fois par semaine et tous les dimanches, dans un pavillon ordinaire de Courcouronnes, en banlieue parisienne, une femme de 70 ans sort de chez elle avant de prendre le chemin de la cathédrale d’Évry, à quelques kilomètres. Depuis quatorze ans qu’elle habite en France de manière permanente, Agathe Habyarimana, l’ancienne première dame du Rwanda soupçonnée d’avoir participé à la planification du génocide des Tutsis en 1994, a eu le temps de prendre ses habitudes.
Sa piété n’est pas nouvelle. Dans l’ancienne résidence présidentielle de Kigali, elle avait fait aménager une chapelle où elle s’est précipitée, le soir du 6 avril 1994, après avoir entendu le crash de l’avion de son mari, Juvénal Habyarimana, à quelques mètres de là. Les tueries ont immédiatement commencé. Certains témoins affirment qu’elle donnait des instructions.
Extrême discrétion
Au Rwanda, elle est accusée d’être un des piliers de l’Akazu, « la petite maison » en kinyarwanda, le nom donné au cercle très fermé des ultras du « Hutu power ». Une dépêche française confidentielle de 1991 décrit ses membres comme les « détenteurs exclusifs de tous les pouvoirs »*. C’est donc en connaissance de cause que la France a exfiltré Agathe Habyarimana dès le 9 avril. Recevant un mois plus tard une délégation de l’ONG Médecins sans frontières, le président François Mitterrand aurait lâché cette phrase : « Elle a le diable au corps. Si elle le pouvait, elle continuerait à lancer des appels au massacre à partir des radios françaises. »
Elle a le diable au corps.
Francois Mitterrand, avril 1994
Mais son implication dans le génocide est difficile à prouver. Première dame d’une extrême discrétion, elle ne prenait jamais la parole en public et n’était pas au Rwanda pendant la majeure partie des massacres. La très secrète Akazu, dont Agathe Habyarimana conteste encore l’existence, n’avait pas pour habitude de laisser des traces. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a renoncé à la poursuivre après avoir mené l’enquête jusqu’en 2004. Quant à la justice rwandaise, qui dit disposer d’un « dossier accablant », elle se heurte au refus de la justice française de l’extrader.
Pour autant, la situation d’Agathe Habyarimana en France s’est dégradée. Sans papiers depuis que la France lui a refusé l’asile politique puis l’obtention d’un titre de séjour, elle est visée par une plainte déposée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda en 2007. Une information judiciaire est ouverte depuis 2008, mais Agathe Habyarimana n’est pas, à ce jour, mise en examen.
* « Quinze jours dans la vie de "Madame" », Maria Malagardis, Revue XXI, n° 10.
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