Côte d’Ivoire : Ouattara prend (tout) le pouvoir
En nommant à la tête du gouvernement Daniel Kablan Duncan, un proche issu des rangs du PDCI qui n’était pas forcément le premier choix d’Henri Konan Bédié, le chef de l’État ivoirien s’affranchit progressivement de l’influence de ses alliés. Un pari risqué ?
«Chez nous, les Baoulés, le sacrifice d’un individu pour sauver la communauté ne pose pas de problème. » C’est par ces mots que Jeannot Ahoussou Kouadio a annoncé son départ de la primature. Difficile d’être plus conciliant. Est-il écarté pour ne pas avoir su éviter la fronde menée par le secrétaire général, Alphonse Djédjé Mady, au sein même de son parti, le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) ? Les choses sont un peu plus compliquées. Certes, Ahoussou manquait de poigne. « Si ses ministres s’adressaient directement au président sans passer par lui, c’est parce qu’il n’avait pas l’autorité nécessaire », lâche un dirigeant du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Mais, surtout, le juriste Ahoussou – qui a déjà envoyé sa robe d’avocat au pressing – manquait de compétences économiques. Confidence d’un proche du président : « Lors de la nomination d’Ahoussou, en mars dernier, Alassane pensait pouvoir gérer l’économie tout seul. Mais il s’est rendu compte que l’exercice de l’État ne lui laissait pas assez de temps, et qu’il devait déléguer davantage. »
Avec Daniel Kablan Duncan (DKD), pas de problème. Ouattara et lui travaillent ensemble depuis 1989. À l’époque, les deux hommes sont à la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest, à Dakar. En 1990, quand ADO est nommé Premier ministre par Houphouët, DKD devient son super-ministre (Économie, Finances, Commerce, Plan). En 1998-1999, au plus fort de la campagne pour l’ivoirité et contre une candidature Ouattara, DKD est le Premier ministre du président Henri Konan Bédié. Mais il prend soin de ne pas entrer dans la querelle. « Duncan est un homme dont vous ne savez jamais quelle est sa position dans une crise », souffle l’un de ses vieux compagnons au PDCI. Affable, discret, DKD cultive le consensus. En mai 2011, quand Ouattara lui propose les Affaires étrangères, il commence par refuser : « Prenez plutôt un jeune, Monsieur le président. » ADO insiste. Il cède. Commentaire amusé et élogieux d’ADO : « Je ne savais pas qu’il y avait quelqu’un dans ce pays capable de refuser un poste de ministre. »
Quid de Bédié ?
La proximité Ouattara-Duncan ne risque-t-elle pas de contrarier Bédié ? Depuis l’accord électoral de la fin 2010 qui lie ce dernier à Ouattara, la primature doit revenir au PDCI. Pour Konan Bédié, Jeannot Ahoussou Kouadio était l’homme de confiance au poste clé. « Il voulait même en faire son successeur », souffle un dirigeant du PDCI. Daniel Kablan Duncan n’est donc qu’un second choix. L’ancien chef de l’État l’a-t-il dit à ADO ? Pas sûr. Le 19 novembre, le président ivoirien s’est rendu au domicile de son aîné, à Abidjan. L’entretien n’a duré que quarante minutes. Analyse du cadre PDCI : « Quand c’est aussi court, c’est que Bédié ne parle pas. Il a dû bouder poliment et dire oui à tout. »
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Certes, au sein de ce nouveau gouvernement de 29 membres, Bédié et le PDCI sauvent l’essentiel : la primature et neuf ministères, dont les Affaires étrangères, qui échoient à Charles Diby Koffi, jusque-là ministre de l’Économie et des Finances, et les Infrastructures économiques, que conserve Patrick Achi. Mais avec 18 ministères, le RDR se taille à nouveau la part du lion. Gnénéma Mamadou Coulibaly – un proche de Guillaume Soro – prend la Justice, Hamed Bakayoko garde l’Intérieur et la Sécurité, et Ally Coulibaly l’Intégration africaine – un vrai ministère-bis des Affaires étrangères.
Ce gouvernement rebat-il les cartes pour la présidentielle de 2015 ? À Abidjan, c’est la grande question. « N’oubliez pas que la primature est un poste stratégique. Si Ahoussou Kouadio [61 ans, NDLR] était resté Premier ministre plus longtemps, il aurait pu se préparer pour 2015. Maintenant, ses chances sont très minces, estime le dirigeant du PDCI. Kablan Duncan [69 ans], lui, n’a pas d’ambition présidentielle. Du moins pour l’instant. Sa nature le porte à rester un brillant second. » Le président souhaite-t-il que le PDCI ne présente pas de candidat contre lui en 2015 ? Sans doute. Et de ce point de vue, le choix de Kablan Duncan est le moins risqué.
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