Mali : Iyad Ag Ghali, renard du désert
Alors qu’une intervention dans le Nord-Mali se précise, le chef d’Ansar Eddine lâche Aqmi, son allié d’un temps. Portrait d’un rebelle touareg aussi rusé que pragmatique.
Iyad Ag Ghali n’était pas à Ouagadougou, le 14 novembre, quand ses émissaires ont annoncé qu’Ansar Eddine, le groupe qu’il dirige, allait aider « à débarrasser » le nord du Mali des « mouvements étrangers ». Il n’était pas là non plus quand, deux jours plus tard, le chef de la diplomatie burkinabè a annoncé qu’Ansar Eddine et le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) étaient prêts à dialoguer avec Bamako. « Iyad n’aime pas plus se montrer que dire ce qu’il pense, confie un intermédiaire qui l’a souvent côtoyé. Mais c’est sûr, il a gagné sur toute la ligne ! »
N’est-ce pas plutôt devant la menace d’une intervention au Nord-Mali qu’il a choisi de se démarquer d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ? Sans doute en partie, assure Mohamed Bazoum, le chef de la diplomatie nigérienne. Oubliant peut-être un peu vite le passé d’Iyad Ag Ghali – c’est lui qui, prenant la tête du Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA), avait lancé l’assaut contre Ménaka en 1990 -, le ministre assure que ce dernier n’était « pas homme à faire la guerre ». « Il n’a pas cette vocation-là, dit-il. Pendant vingt ans, sa vocation a été de trafiquer, de jouer de ses relations avec ATT [Amadou Toumani Touré, l’ex-président malien] et de profiter des compromissions [des autres] ».
Humiliations
Cela suffit-il à expliquer son revirement ? Probablement pas. À 54 ans, Ag Ghali appartient à l’aristocratie des Ifoghas. Il n’a pas toujours joué, comme entre 2003 et 2006, les libérateurs d’otages pour le compte d’ATT. Originaire de la région de Kidal, il est encore enfant lorsque le président Modibo Keita conteste le pouvoir des Ifoghas en tentant de mettre fin aux chefferies. Il n’est pas beaucoup plus âgé quand, en 1973, une grande sécheresse s’abat sur le Nord, contraignant beaucoup de jeunes à l’exil. Pour Iyad Ag Ghali, ce sera la Libye, le Liban et le Tchad, avec la Légion verte de Kadhafi.
Les années passent. Ag Ghali rentre au Mali. En 2006 éclate une nouvelle rébellion. Pour mieux asseoir son autorité sur le Nord, ATT a créé la milice Delta, constituée d’Arabes et de Touaregs, dont il confie le commandement à Elhadji Ag Gamou, un Imghad [tribu vassale des Ifoghas]. Ag Gamou et ses hommes deviennent les nouveaux maîtres de Kidal. « Pour comprendre pourquoi Ag Ghali a pris les armes et créé Ansar Eddine, il faut se mettre dans sa tête, insiste l’intermédiaire. Il n’a connu que des années difficiles : la sécheresse, l’exil, les humiliations… Il voulait rendre leur prestige aux Ifoghas. »
Honneur lavé
Début 2012, quand les Touaregs se soulèvent à nouveau, Iyad Ag Ghali n’a rien. À peine trois véhicules, alors que le MNLA – qui, arguant de sa proximité passée avec ATT, n’a pas voulu de lui pour chef – en a déjà plusieurs dizaines. Il décide alors de se rapprocher d’Aqmi et, pour obtenir son soutien, prône lui aussi la charia.
La suite est connue. Fin mars, Kidal tombe et Ag Gamou, resté fidèle à Bamako, fuit vers le Niger. Les semaines suivantes, le MNLA perd une à une ses positions, tandis qu’Iyad parvient à rallier à sa cause les Touaregs qui s’étaient égarés du côté d’Aqmi. L’honneur des Ifoghas est lavé.
Ag Ghali le sait : il doit maintenant prendre ses distances avec les salafistes. « Ni sa communauté ni l’amenokal [le chef traditionnel] ne veulent de cette alliance, conclut notre intermédiaire. Les combattants d’Aqmi n’ont jamais été les bienvenus à Kidal. » La confrontation paraît inévitable. « Mais c’est Iyad qui choisira le moment de l’affrontement. Et il le fera quand il sera sûr d’être en position de force. »
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