L’attaque d’In Amenas et ses conséquences sur la doctrine algérienne
L’attaque terroriste sur le site gazier d’In Amenas place Alger en première ligne dans un conflit qui s’internationalise.
En affichant son hostilité à toute idée d’intervention militaire étrangère, et plus précisément occidentale, dans la crise malienne, le président Abdelaziz Bouteflika expliquait à ses nombreux visiteurs étrangers sa crainte d’un débordement du conflit sur le territoire algérien. Et apparemment, il avait vu juste : cinq jours après le déclenchement de l’opération Serval, un commando islamiste a investi, le 16 janvier, le site gazier d’In Amenas (1 300 kilomètres au sud-est d’Alger) situé à quelques encablures de la frontière libyenne, prenant le contrôle de la base de vie pour se retrancher dans une aile de cette infrastructure avec une quarantaine d’otages occidentaux. Ce gisement est exploité par un consortium mené par British Petroleum, comprenant également le norvégien Statoil, le nippon JGC et l’algérien Sonatrach.
Les assaillants, se réclamant de la brigade de Mouwaqqiiin bi-d-dam (« Ceux qui signent de leur sang ») – une organisation récemment créée par l’ex-émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l’Algérien Mokhtar Belmokhtar -, ont justifié leur attaque par la décision du gouvernement d’Abdelmalek Sellal d’autoriser le survol du territoire algérien par les avions militaires français même si l’on peut douter du fait qu’une telle opération ait pu être préparée en un laps de temps aussi court. Cette autorisation, une première dans l’histoire du pays, a créé un autre précédent puisqu’aucune installation pétrolière n’avait fait l’objet d’une attaque terroriste en Algérie, même au cours de la décennie noire, dans les années 1990, quand les groupes islamistes armés faisaient régner la terreur.
Jamais une installation pétrolière n’avait été attaquée durant les années 1990.
"Guerre néocolonialiste"
Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense, a mesuré l’importance de la décision d’Alger. « Il s’agit d’un soutien politique très fort à l’opération », a-t-il déclaré. Il n’était pas très loin de la réalité. En adoptant une telle démarche, le pouvoir avait conscience qu’une grande partie de l’opinion y serait opposée. Les partis de l’opposition, parmi lesquels le Front des forces socialistes (FFS de Hocine Aït Ahmed) et les trotskistes du Parti des travailleurs (PT de Louisa Hanoune), ont vivement dénoncé la décision d’Abdelaziz Bouteflika de donner sa bénédiction « à une guerre néocolonialiste ». La presse indépendante ne s’est pas privée de critiquer ce qu’elle a assimilé à « un bradage des principes et valeurs de la révolution algérienne ». C’est dire que la décision n’a pas été facile à prendre.
Le 10 janvier, date de l’avancée de la colonne islamiste sur Konna, dans la région de Mopti, Abdelaziz Bouteflika a convoqué le Conseil national de sécurité et l’a maintenu en session ouverte. L’analyse des renseignements recueillis a montré que le partenaire sur lequel Alger misait pour sa solution politique, à savoir Ansar Eddine, l’avait floué et participait à l’offensive. Deux décisions ont donc été prises : autorisation du survol même si celle-ci est peut-être intervenue après le décollage des Rafale de France le 13 janvier et fermeture de la frontière avec le Mali. Sur ce dernier point, il s’agit d’une formalisation juridique d’une situation de fait. Cette frontière est de facto considérée comme une zone militaire depuis le contrôle des régions du Nord-Mali, en avril 2012, par les jihadistes d’Aqmi et du Mujao et les combattants touaregs d’Ansar Eddine. Quant à l’autorisation du survol, elle a été présentée par Alger comme une réponse à une demande… malienne. Selon le quotidien arabophone indépendant El-Khabar, généralement bien informé sur les questions sécuritaires, citant un membre de l’état-major, « l’Algérie a donné une suite favorable car elle est liée par un accord signé en 2011 avec les gouvernements des pays du champ ». Cette formule désigne les quatre États (Algérie, Mali, Mauritanie et Niger) membres du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc, basé à Tamanrasset), une structure qui a tout de même montré ses limites depuis le déclenchement de la crise malienne.
Après l’attaque d’In Amenas, il est évident que des têtes devraient tomber.
Dramatique
Il est cependant peu probable que le pouvoir algérien accepte d’aller plus loin dans son implication au Mali, à savoir une participation directe de l’armée. In Amenas ne restera toutefois pas sans conséquence. L’attaque a mis en évidence les dysfonctionnements du dispositif de sécurité autour des sites pétroliers, poumon économique du pays. Il est évident que des têtes devront tomber. Le flou entourant l’opération menée par l’armée algérienne pour mettre un terme à la prise d’otages a suscité bien des critiques dans les capitales étrangères concernées. Pourtant, une source proche de l’armée assure que « les Américains comme les Français avaient donné leur aval ». Reste que les médias et opinions publiques en France, aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou encore au Japon feront pression sur leurs gouvernements respectifs pour faire toute la lumière sur le déroulement « dramatique », pour reprendre les termes de François Hollande, de l’intervention musclée des Algériens.
Paris, Washington, Londres et Tokyo devraient donc demander des explications à Alger. Comme l’explique la politologue Louisa Aït Hamadouche dans les colonnes du quotidien El Watan, l’affaire In Amenas devrait amener « une révision de la doctrine stratégique de l’Algérie, notamment le sacro-saint principe selon lequel le pays ne peut pas, ne doit pas ou ne veut pas projeter ses forces à l’extérieur de son territoire ». Reste à savoir comment les autorités algériennes répondront à cette nouvelle donne induite par « une attaque qui implique l’Algérie de façon directe, pas seulement en tant qu’acteur politique mais aussi dans ses intérêts économiques stratégiques ainsi que dans ses relations avec ses partenaires internationaux ».
Carte du site gazier d’In Amenas
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