Mali : Gamou, la revanche dans la peau
S’il fallait un visage à cette guerre, ce pourrait être le sien. Adversaire farouche des insurgés touaregs et des islamistes armés, El Hadj Ag Gamou est le nouveau maître de la ville de Gao, dans la partie nord du Mali. Bien décidé à se venger de ceux qui l’ont humilié.
Les voilà qui arrivent, les hommes de Gamou. Le pick-up n’a pas totalement fini sa course qu’ils pointent déjà leur arme sur deux suspects, des Arabes soupçonnés d’appartenir au Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), le groupe islamiste armé qui a régné sur la ville durant neuf mois. Le colonel-major El Hadj Ag Gamou les rejoint. La kalach à la main, il se dirige vers l’un des deux hommes à terre, maintient sa tête avec son pied tout en toisant les alentours, puis, après avoir ordonné leur évacuation, marche derrière eux d’un pas sûr, presque tranquille. Un vrai seigneur de guerre…
Bio express
- 1964 Naissance à Tidermène (cercle de Ménaka)
- 1980 Rejoint la Légion verte de Kadhafi
- 1990 Participe à la rébellion touarègue
- 1996 Intégré à l’armée régulière malienne
- 2010 Nommé chef d’état-major particulier adjoint d’ATT
- Mars 2012 Feint de rallier les rebelles avant de fuir avec ses hommes au Niger
Dans la foule, il y a ceux qui se réjouissent. « Les hommes de Gamou savent qui est qui », glisse Mohamed, un enseignant. Sidy, un jeune chômeur, est plus réservé. « On se méfie de Gamou et de ses hommes, dit-il. Ce sont des "peaux rouges" quand même… »
À Gao, tout ou presque les distingue du reste de l’armée malienne. Leur tenue couleur sable, plus adaptée au désert que le vert de leurs frères d’armes. Leurs méthodes, plus efficaces, peut-être plus dures aussi. Leur visage enfin, plus clair. Chez eux, pas de casque sur la tête, mais un chèche. Il y a bien quelques Songhaïs, des Peuls, ou encore des Bellas, mais ils sont rares. La plupart (plus de 500 sur 700) sont des Touaregs issus du clan de Gamou, les Imghad. Et c’est bien ce qui inquiète : « Les hommes de Gamou sont une armée dans l’armée, indique un responsable des renseignements à Bamako. Ils s’apparentent plus à une milice. Tous ne sont d’ailleurs pas intégrés à l’armée régulière. »
Gamou, il mange avec nous, il se bat avec nous
Ces soldats obéissent à leur chef et à personne d’autre. Certains le suivent depuis plus de vingt ans. Ceux-là ont le visage buriné de ceux qui en ont trop vu. Inutile de tenter de les faire parler : « C’est le chef qui cause. » D’autres l’ont rejoint il y a moins de trois ans, quand il dirigeait la milice Delta, mise sur pied avec l’approbation du président Amadou Toumani Touré (ATT) pour contrer les rébellions. Plus jeunes, mais à peine plus bavards. Un caporal, la trentaine : « Gamou, il mange avec nous, il se bat avec nous. Malgré son grade, il est resté simple. C’est un bon guerrier. On veut être comme lui. »
S’il fallait un visage à cette guerre, ou tout du moins un personnage pour en faire un film hollywoodien, ce serait lui. Regard noir, visage à la fois dur et avenant, et cette barbe de deux jours qui mange jusqu’à ses pommettes. Gamou, 49 ans, n’aime pas la lumière, mais ne refuse pas un entretien avec Jeune Afrique. Le rendez-vous est fixé au dernier moment, un samedi de février, dans l’un des principaux check-points de la ville – une ancienne station d’essence dont les bâtiments ne sont plus que ruines depuis les bombardements de l’aviation française.
Le colonel-major est pressé. Le jour même, ses hommes ont arrêté un responsable du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) à Ménaka. Il nous guide vers une tente touarègue, où il s’installe à même le sable. Il dit ne pas vouloir parler du passé, mais finit par se laisser aller. Ses galons de « héros », il les a gagnés il y a près de un an par une ruse dont seuls les déserts semblent pouvoir accoucher.
C’était en mars 2012. À l’époque, Gamou était le seul officier touareg de l’armée malienne à résister ; tous les autres avaient fait défection. Le MNLA, qui l’acculait dans l’extrême nord-est du pays, le pressait de gagner ses rangs. Ansar Eddine, le groupe d’Iyad Ag Ghali, rêvait de se payer sa tête. « Les pressions étaient très fortes », raconte-t-il. Pressions militaires. Pressions familiales. « Des parents me disaient que l’État malien n’existait plus. Mais pour moi ce n’était pas envisageable. Je suis très fier d’être malien. Je ne cherche pas un autre pays. » Parmi ses hommes, près de 200 sont originaires du Sud. Ils risquaient d’être faits prisonniers dans un désert qu’ils redoutent. « Mon premier souci était de les sauver. »
La suite est connue. Le colonel-major fait croire au MNLA qu’il accepte son offre en échange d’une protection contre Ansar Eddine. Il s’y engage même sur Radio France Internationale (RFI). Émoi à Bamako ! Mais quand la rébellion lui demande de livrer ses soldats du Sud, il refuse. « Ce sont mes otages », dit-il. Le lendemain, ils font route vers le Niger. La ruse a fonctionné. Une fois la frontière franchie, Gamou fait de nouveau allégeance à Bamako. Les « sudistes » y sont renvoyés. Les Touaregs restent à ses côtés. Débute alors un exil de dix mois en terre nigérienne, où les hommes s’entraînent tous les jours avec l’espoir de prendre leur revanche.
Près de 700 éléments sont placés sous le commandement de Gamou
© Emilie Renier pour JA
Possesseur de chèvres
Quand, le 26 janvier, les troupes françaises prennent l’aéroport de Gao, Gamou et ses hommes se mettent immédiatement en branle. Quelques jours plus tard, les voici dans la cité des Askia en compagnie des soldats nigériens et tchadiens. Selon un officier malien, « ils y jouent un rôle majeur ». « C’est une plus-value, confirme un gradé nigérien. En termes de renseignements, de connaissance du terrain et de rudesse. » Leur mission : sécuriser Gao, reconquérir la région de Ménaka, où subsistent des poches jihadistes, et jouer les éclaireurs pour l’armée française.
Mais, pour Gamou, le travail ne sera vraiment fini que lorsqu’il pénétrera dans Kidal, anéantira le MNLA (« Le MNLA, c’est quoi ? Ils ont détruit l’hôpital. Ils ont détruit des écoles ! ») et arrêtera Iyad Ag Ghali. Et pour cause : c’est à Kidal que le MNLA a lancé son offensive en janvier 2012. C’est là qu’on le qualifie de « traître à la cause touarègue » et qu’on lui rappelle sans cesse ses origines : il n’est qu’un Imghad, un vassal dans la hiérarchie touarègue, un « possesseur de chèvres », il n’a rien à faire à Kidal, la ville des Ifoghas, les nobles. C’est là enfin que son ennemi juré, Iyad Ag Ghali, avait installé son quartier général.
Gamou et Iyad, c’est une vieille histoire. À Bamako, on se plaît à croire qu’une femme est à l’origine de leur différend. C’est un fait : Iyad a ravi l’épouse de Gamou (la mère de l’un de ses sept enfants). Mais ce serait trop simple. « Ce n’est pas le fond du problème », assure un « étranger » bien introduit chez les Touaregs. Pour lui, il faut plutôt chercher du côté des rivalités tribales et des ambitions personnelles.
Leur première rencontre date de 1980 et a pour théâtre le désert libyen. Comme pour beaucoup de jeunes Touaregs, la voie des armes semble être la seule qui se présente à Gamou. Il a 16 ans, son père est un berger de la région de Ménaka, il n’a jamais été à l’école. Il s’engage donc dans la Légion verte. « Excellente formation aux armes durant une année », résume-t-il. Suivent une nouvelle formation de six mois en Syrie auprès des forces spéciales, puis la guerre au Liban aux côtés des Palestiniens. Ensuite ? Les amis qui tombent sur le champ de bataille, la défaite, le retour en Libye, le Tchad et, vers 1988, le retour au pays. « Pour défendre notre cause et chercher nos droits », explique-t-il.
Impardonnable
Gamou est de la rébellion de 1990. Il n’en est pas le leader (c’est Iyad le patron), mais il joue un rôle majeur. L’historien français Pierre Boilley, spécialiste des peuples nomades, l’a rencontré au Mali en 1994. Gamou était « un personnage important » au sein de l’Armée révolutionnaire de libération de l’Azawad (Arla), où se concentraient les couches les plus basses de la société touarègue. « C’était un homme taiseux et secret. Il ne faisait pas de grands discours. Il pouvait s’énerver brutalement, mais il était agréable. »
La rivalité avec Iyad et son Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), plus fort et plus riche, est déjà perceptible. Conséquence de cet antagonisme : en février 1994, Gamou kidnappe le chef spirituel des Ifoghas, Intallah Ag Attaher, puis le relâche. Une folie que Kidal, fief des Intallah, ne lui a jamais pardonnée.
Avec la rébellion, nous avons obtenu ce que nous cherchions. Moi, je n’ai pas été à l’école et je suis colonel-major. Pourquoi prendre les armes ?
El Hadj Ag Gamou, membre de Mujao
Le fils d’Intallah Ag Attaher, Alghabass Ag Intallah, est l’ancien bras droit d’Iyad au sein d’Ansar Eddine. Depuis Kidal, il dit « craindre le pire » si jamais Gamou et ses hommes pénètrent dans la ville. « Il voudra se venger », dit-il. En 2006, c’est Gamou qui a maté une nouvelle rébellion à laquelle les Imghad n’ont pas participé. En 2009, il a, avec sa milice Delta, détruit les bases du chef rebelle Ibrahim Ag Bahanga (mort en 2011).
Car l’ancien rebelle est devenu un loyaliste fidèle. « Avec la rébellion, nous avons obtenu ce que nous cherchions. Moi, je n’ai pas été à l’école et je suis colonel-major. Pourquoi prendre les armes ? » s’indigne Gamou. En 1996, il est incorporé dans les rangs de l’armée malienne. Formé à l’école militaire de Koulikoro, il gravira les échelons à toute vitesse. Il le reconnaît lui-même : depuis des années, les Arabes et les Touaregs bénéficient d’un ascenseur plus rapide que les autres au sein de l’armée. D’où son incompréhension face aux revendications des indépendantistes. « Dans le Nord, nous avions tous les postes de commandement avant la guerre. Que demander de plus ? » En 2001, il est affecté à Gao. En 2005, il dirige les opérations militaires à Kidal.
Convois illicites
Bientôt, Gamou devient l’homme d’ATT dans le Nord. En 2010, il est nommé chef d’état-major particulier adjoint. « Il faisait partie des rares personnes en qui ATT avait une confiance totale », indique un diplomate ouest-africain. « Il y avait deux chaînes de commandement, confirme un ancien ministre d’ATT. Une au ministère de la Défense, l’autre à la présidence. C’est notamment Gamou qui a poussé le président à nommer en masse des Arabes et des Touaregs aux postes clés dans le Nord. L’État n’avait plus aucune vision de ce qui se passait dans la zone. Et tous ont un jour ou l’autre été associés aux trafics. »
Gamou aussi, affirment plusieurs sources militaires et diplomatiques. Selon un ancien responsable des renseignements, il aurait couvert des barons de la drogue. Ses hommes auraient assuré la sécurité des convois illicites. Plus récemment, début février, ils ont été accusés par des habitants de Gao d’avoir permis à Baba Ould Cheikh, le maire de Tarkint dont le nom a été cité dans la fameuse affaire d’« Air Cocaïne », de s’échapper alors qu’il venait d’être arrêté et devait être transféré à Bamako.
Difficile de vérifier ces allégations. « Gamou a beaucoup d’ennemis qui veulent salir sa réputation », explique un de ses proches. Dans ce Nord vérolé par les trafics et verrouillé par les allégeances familiales, démêler le vrai du faux est bien souvent mission impossible.
Gamou a-t-il pris les Français de vitesse ?
Que s’est-il passé le 9 février au sud-ouest de la ville de Ménaka ? Ce jour-là, les hommes de Gamou ont arrêté un haut responsable du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), le ministre de la Santé du Conseil transitoire de l’État de l’Azawad (le gouvernement provisoire du MNLA), Abdoul Karim Ag Matafa, ainsi que trois de ses proches. Selon le mouvement rebelle, les quatre hommes avaient rendez-vous avec un officier français qui les avait contactés afin d’évoquer le sort de Ménaka, ville passée sous le contrôle du MNLA le 5 février et qui est, depuis le 12 février, contrôlée par les troupes maliennes et françaises. C’est sur le chemin de ce rendez-vous qu’ils ont été capturés par les hommes de Gamou. Le MNLA a d’abord accusé Paris de les avoir doublés avant de baisser d’un ton. Il semble en fait que la France a été elle-même prise de vitesse par le colonel-major Gamou. R.C.
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Par Rémi Carayol, envoyé spécial
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