Mohamed Mechmache, pompier de banlieue
Fils d’Algériens, le président de l’association ACLeFeu est un pur produit des marges sombres de la Ville Lumière, où il entend bien apporter la paix.
Mohamed Mechmache avait 39 ans le 27 octobre 2005, et pourtant, c’est comme s’il était né ce jour-là. Le bonhomme se trouvait dans un bar à Paris et attendait sagement qu’un ami le rejoigne. Comme il tardait, Mohamed l’appela, lui laissa plusieurs messages sur son répondeur. « Une heure après, alors que je m’apprêtais à partir, mon ami m’a rappelé », se souvient encore Mohamed plus de sept ans après les faits. « Il me disait et sa voix tremblait : « Ça brûle à Clichy, les jeunes sont dans la rue. Deux gamins sont morts dans la centrale, faut que tu viennes. » »
Pendant les six nuits qu’ont duré les « révoltes sociales » de 2005, Mohamed Mechmache, alors éducateur, n’a pratiquement pas dormi. Avec des amis, il a arpenté les rues de Clichy-sous-Bois (banlieue parisienne) pour raisonner les jeunes. « La mort de Zyed et Bouna a été pour beaucoup la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les gens ont tout de suite compris qu’il s’agissait ici d’une énième bavure policière, et ils craignaient une nouvelle fois que cet acte reste impuni. »
Mohamed Mechmache, actuellement en mission dans les banlieues pour le ministère de la Ville et président d’ACLeFeu, une association née en 2005 après le drame, reçoit dans son local, une belle bâtisse en pierre de Clichy-sous-Bois. Il parle d’une voix rocailleuse. Pas très grand de taille, plutôt costaud, il est né au Raincy, surnommé le « Neuilly du 93 », mais a grandi à quelques pas de là, aux Bosquets (Montfermeil), un quartier à la réputation « sulfureuse ». Ses parents, tous les deux analphabètes, sont originaires de Marnia, en Algérie. Ils ont atterri dans un bidonville de Nanterre avant de rejoindre un oncle qui vivait à Montfermeil. « En 1971, quand la famille s’est agrandie, on a eu un appartement aux Bosquets. Nous étions sept enfants, quatre filles, trois garçons, je suis le deuxième de la fratrie. J’ai connu la mixité sociale et « ethnique » à Montfermeil : à l’époque, c’était des résidences privées où se côtoyaient Français dits de souche, Antillais, Portugais, Espagnols, Polonais, Italiens, Maghrébins, où se mélangeaient prolos et cadres. Les choses ont bien changé depuis », regrette Mohamed.
Le papa de Mohamed s’engage très vite dans l’associatif. Il rejoint le club de foot local, où il sera à la fois arbitre de touche, responsable de buvette et accompagnateur lors des déplacements. « Il m’emmenait avec lui au foot. Il me parlait de lui, de son parcours, de sa vie en France. Il ne savait ni lire ni écrire, et il était conscient qu’il se faisait avoir sur ses fiches de paie. Il avait beau se plaindre, il n’obtenait jamais gain de cause. Qu’on profite de la faiblesse de mon père me foutait les boules. »
Très vite, au début des années 1980, la situation sociale à Montfermeil se dégrade. Exit la mixité si chère à Mechmache, restent ceux qui ne peuvent pas partir. « Il y avait une telle urgence sociale que j’ai été obligé de mettre les mains dans le cambouis très tôt. À 16 ans, pendant les vacances, j’étais animateur, avant de devenir éducateur sportif bénévole au club de foot de Montfermeil, à 19 ans. » En parallèle, il décroche un CAP puis un BEP de conducteur routier. Premier vrai boulot. Entre 19 et 21 ans, il parcourt les routes de France avec un 12-tonnes. « Je chargeais le dimanche, je partais le lundi, je rentrais le vendredi. Je me souviens que ma mère n’était pas très contente de tous mes voyages. Elle disait que je n’avais pas le droit de les abandonner. » Ensuite, pléthore de petits boulots : magasinier, chauffeur-livreur, désinsectiseur… Mais c’est en créant sa première association en 1990, Priorité, Respect, Citoyenneté, que Mohamed trouve sa voie.
« On allait voir toutes les familles du quartier pour les aider dans leurs démarches administratives. Ça nous a permis de créer des liens entre les générations. » Son expérience de terrain le pousse vers un club de prévention à Clichy-sous-Bois, et il en profite pour passer les diplômes : il devient éducateur spécialisé. Fin des années 1990, un match de football tourne mal entre supporteurs. Mechmache, capitaine de l’équipe, qui jure avoir tout fait pour « calmer les esprits », en est tenu pour responsable. « Il fallait un exemple, le club de Montfermeil avait une sale réputation. La ligue a décidé de le fermer, privant ainsi 700 jeunes de ballon rond. J’ai été condamné à six mois avec sursis et à cinq ans de mise à l’épreuve. » Révoltés, Mechmache et ses amis lancent la riposte et font venir la presse. Courant de l’année 2000, on verra pour la première fois sa frimousse à la télé. La ligue reviendra sur sa décision.
Cinq ans plus tard, la désormais très connue association française ACLeFeu est créée, il en devient le président et multiplie les passages télévisés. « J’aurais préféré qu’ACLeFeu ne voie jamais le jour, mais l’asso existe parce que nous ne voulions pas que Zyed et Bouna soient morts pour rien. » Il y a peu, sept ans après les faits, la cour d’appel de Paris a décidé qu’un procès aurait bien lieu pour lever les doutes qui subsistent encore sur le décès des deux adolescents. L’association est également très active sur le terrain, incitant les jeunes à aller s’inscrire sur les listes électorales. Elle a aussi organisé, en 2006, un tour de France pour récolter les doléances de « ces personnes qu’on n’entend pas ». Mohamed Mechmache répète qu’il est solide, mais on le sent fatigué face à l’ampleur de la tâche. C’est plus que compréhensible…
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