Jérôme Champagne : « Pourquoi la Fifa doit changer »

Ancien secrétaire général adjoint de la Fédération internationale de football, Jérôme Champagne envisage de se porter candidat à la présidence de l’institution en 2015. Avec un programme à contre-courant.

Jérôme Champagne, ancien secrétaire général adjoint de la Fifa. © AFP

Jérôme Champagne, ancien secrétaire général adjoint de la Fifa. © AFP

Alexis Billebault

Publié le 22 mars 2013 Lecture : 4 minutes.

Le journalisme sportif mène à tout. Pigiste à l’hebdomadaire France Football, Jérôme Champagne (54 ans) entreprend en 1983 une carrière de diplomate qui le mène successivement à Oman, Cuba, Los Angeles et Brasília. Conseiller diplomatique et chef du protocole du comité français d’organisation de la Coupe du monde 1998, il rejoint dans la foulée la Fifa, d’abord en tant que conseiller du président Joseph Blatter, puis secrétaire général adjoint et, pour finir, directeur des affaires internationales. Consultant depuis trois ans, il vit toujours à Zurich, multiplie les missions à l’étranger (Palestine, Kosovo, Chypre du Nord, Indonésie, RD Congo) et fut commissaire football du Festival mondial des arts nègres, à Dakar, en 2010.

Jeune Afrique : Alors, serez-vous, oui ou non, candidat ?

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Jérôme Champagne : Je n’ai rien décidé, mais je n’exclus rien. L’élection est encore loin, d’autres noms circulent, je veux avant tout continuer de défendre mes idées. Quel type de football veut-on pour le XXIe siècle ? C’est ma seule interrogation.

Alors, quel football voulez-vous ?

Il n’y a que deux solutions. La première est la poursuite de la politique élitiste en cours, avec des riches de plus en plus riches et des pauvres de plus en plus pauvres. Le football africain, par exemple, a davantage d’argent qu’il y a dix ou quinze ans, mais le fossé qui le sépare du foot européen s’est creusé. Veut-on un système entièrement contrôlé par une vingtaine de clubs européens ?

La seconde solution est la mise en place d’un football différent, universel, qui s’efforce de corriger les inégalités. Qui fasse en sorte que certains continents – je pense à l’Afrique – ne soient pas seulement des pourvoyeurs de « matière première », avec des championnats locaux vidés de leurs meilleurs joueurs et concurrencés de manière inéquitable par une avalanche d’images venues d’Europe de l’Ouest. Nous avons besoin d’une autre Fifa.

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Plus démocratique ?

Oui, plus démocratique, plus respectée. Une Fifa qui amplifie ses programmes de développement, comme le projet Gagner en Afrique, avec l’Afrique, dont le président Blatter m’avait chargé. Avec 70 millions de dollars, nous avons financé l’installation de pelouses artificielles dans tous les pays affiliés à la CAF, imposé que 5 % du montant d’un transfert soient reversés aux clubs formateurs, et adopté un nouveau règlement sur la binationalité, qui permet par exemple à un Franco-Sénégalais de porter le maillot du Sénégal, même s’il a joué pour la France dans les catégories de jeunes.

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Tout cela montre que la Fifa est dynamique, réactive. Elle doit continuer de l’être, mais en utilisant mieux ses règlements et ses moyens de régulation. Et en faisant en sorte que le football reste universel. Est-il logique que, lors d’une phase finale de Coupe du monde, l’Europe, qui compte 53 fédérations, ait 13 qualifiés, et l’Afrique (54 fédérations), seulement 5 ?

Les insitutions du football ont besoin d’ouverture. Et d’un peu plus de démocratie.

Par ailleurs, la Fifa est une fédération de fédérations. Je défends donc l’idée qu’une majorité des sièges au comité exécutif soient réservés aux présidents de fédérations nationales, mais aussi aux représentants des joueurs et des clubs.

Faut-il un président plus fort ?

Les gens sont convaincus que le président de la Fifa est tout-puissant. Or il ne l’est pas. Il est élu, mais ne nomme pas les membres du comité exécutif, qui est contrôlé par les confédérations. Il faut à l’avenir qu’il le soit au scrutin de liste, ou par toute autre méthode qui lui assure une majorité de gouvernement.

Le mode de gouvernance en vigueur semble convenir à tout le monde…

Je n’en suis pas si sûr. Ayant passé onze ans à la Fifa, j’ai eu le temps d’en cerner les lacunes. Je préconise que le comité exécutif se concentre exclusivement sur le jeu et abandonne les questions commerciales à une structure créée à cet effet. C’est le seul moyen d’éviter les conflits d’intérêts.

Le fair-play financier instauré par Michel Platini est-il une bonne idée ?

Oui, mais elle ne prend en compte que la question des déficits, pas celle de la répartition des revenus entre les clubs européens les plus riches et les autres. Même la Commission européenne, dans un rapport récent, juge anormal que 32 clubs reçoivent près de 80 % des recettes de la Ligue des champions.

Lors de l’élection du président de la CAF, Issa Hayatou était le seul candidat…

Un amendement a été adopté en septembre 2012 qui restreint l’accès à la présidence aux membres, actuels ou anciens, du comité exécutif. Il s’agit d’éviter que des aventuriers – ce qui, bien sûr, n’est pas le cas de Jacques Anouma [le candidat évincé, NDLR] – puissent y postuler. Quand on voit que des politiques, des fonds privés, des fonds de pension et même des mafias tentent de s’emparer du football, mieux vaut prendre ses précautions. Reste que les institutions du football ont besoin d’ouverture et d’un peu plus de démocratie.

L’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar suscite des interrogations…

Attendons les résultats de l’enquête de la commission d’éthique. La Coupe du monde, qui est le plus grand événement sportif mondial, se doit d’être irréprochable. S’il s’est passé quelque chose qui contrevienne aux règles éthiques, on doit le savoir et en tirer les conséquences. S’il ne s’est rien passé, on doit le savoir aussi !

Comment se déroule votre coopération avec les Congolais du TP Mazembe ?

J’ai un rôle de conseiller pour les affaires internationales, surtout le développement de la coopération avec d’autres clubs, en Europe ou en Amérique du Sud. LE TPM est la négation du préjugé selon lequel le foot africain n’a pas d’avenir. Il a son stade, son académie… Moïse Katumbi, son président, a beaucoup d’argent, mais aussi une vision du football. C’est la condition pour que les succès du club soient durables. 

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Propos recueillis à Zurich par Alexis Billebault

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