Burundi – Pierre Nkurunziza : « Si on me le demande, je me représenterai »
Son deuxième mandat, qu’il achèvera en 2015, devrait être le dernier, selon la Constitution. Pourtant, le chef de l’État burundais, Pierre Nkurunziza, n’exclut pas de se lancer à nouveau dans la course.
Sera-t-il à nouveau candidat à l’élection présidentielle en 2015 ? Arrivé au pouvoir en 2005, Pierre Nkurunziza, 49 ans, ne veut pas s’avancer. C’est à son parti, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), que revient la décision, assure-t-il. En attendant, continue le chef de l’État, le climat politique au Burundi est d’ores et déjà apaisé. Et de fait, deux des principales figures de l’opposition (Alexis Sinduhije, du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, MSD, et Pascaline Kampayano, de l’Union pour la paix et le développement, UPD), en exil depuis les violences qui avaient suivi les élections générales de 2010, sont rentrées au pays courant mars. Quelques jours plus tard, Pierre Nkurunziza était, lui, à Paris – un voyage officiel pour consolider ses liens avec la France et signer un nouvel accord de coopération. « Je repars satisfait », nous a-t-il confié le 14 mars. Interview.
Jeune Afrique : Vous avez évoqué avec François Hollande la situation au Mali. Pourquoi avoir décidé d’y envoyer des troupes ?
Pierre Nkurunziza : Le Burundi participe déjà à plusieurs opérations de maintien de la paix, en Somalie, au Soudan, en Haïti et en Côte d’Ivoire… Pour ce qui est du Mali, nous avons voulu renvoyer l’ascenseur à ceux qui nous ont soutenu lorsque nous allions mal, et je pense notamment à la France. Nous avons connu beaucoup de difficultés depuis l’indépendance, en 1962 : il y a eu des crises politiques graves, une guerre civile, des millions de Burundais ont été contraints à l’exil, des élus ont été assassinés… Il a fallu que les différents belligérants acceptent de négocier et, à cette époque-là, la France était à nos côtés.
Aujourd’hui encore, la sous-région est troublée… Croyez-vous que l’accord signé à Addis-Abeba le 24 février par les pays membres de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) pourra aider à ramener la paix dans l’est de la RD Congo ?
Signer des accords, c’est une chose ; les mettre en application en est une autre. Mais ce qui a été fait à Addis-Abeba est déjà un premier pas.
Que faut-il faire concrètement ? Déployer une force neutre chargée de surveiller les frontières ?
Absolument ! Tout le monde reconnaît que la mission des Nations unies au Congo n’a pas été à la hauteur des attentes, dans un pays où la situation ne fait que se détériorer. C’est pour cela que nous avons décidé de changer notre fusil d’épaule et de nous impliquer davantage.
Pourquoi la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL), qui regroupe la RD Congo, le Rwanda et le Burundi, reste-t-elle silencieuse ?
Quand deux pays se regardent en chiens de faïence, il est difficile d’organiser les rencontres prévues par les statuts.
Parlons politique intérieure à présent. Mi-mars, le Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB) a organisé à Bujumbura un forum réunissant le pouvoir et l’opposition, mais les relations restent tendues…
Pas du tout ! Tout fonctionne normalement. Il ne faut pas confondre les partis avec les individus. En tant que Burundais, nous devons nous féliciter de ce que nous avons déjà réalisé. Le processus démocratique est en marche et il n’y a pas de doute qu’il pourra se consolider. Si quelques petits obstacles se présentent, il faudra un dialogue permanent entre les Burundais, quel que soit le camp auquel ils appartiennent.
Nous irons au Mali pour renvoyer l’ascenseur à paris, qui nous a soutenu.
Votre mandat s’achève en 2015. Allez-vous vous représenter ?
Les individus ne s’improvisent pas candidats, même si tout Burundais a le droit de se faire élire. Ce sont les partis qui présentent leurs candidats aux différentes élections. Ensuite, l’organisation des scrutins repose sur le code électoral, sur la Constitution, sur la Commission électorale nationale indépendante, sur la Cour constitutionnelle, qui doit vérifier la régularité des candidatures… Tout cela entre en ligne de compte.
Mais accepteriez-vous d’être candidat à votre succession si on vous le demandait ?
Si mon parti estime que je suis le candidat qui lui convient en 2015, conformément à la Constitution et au code électoral, je ne me déroberai pas à cette responsabilité.
Ce ne serait pas une violation de la Constitution, qui a limité à deux le nombre de mandats présidentiels ?
Seuls comptent les avis de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale indépendante. Ces organes sont les seuls habilités à accepter ou à rejeter une candidature.
Qu’est-ce qui bloque le démarrage de la Commission Vérité et Réconciliation ?
Il n’y a pas de blocage. Le gouvernement a mené beaucoup de consultations pour la mise en place de cette commission. Un projet de loi a été élaboré, il a été analysé et adopté par le gouvernement. Il se trouve maintenant au Parlement. Le démarrage ne va plus tarder.
Que pensez-vous de l’affaire concernant le journaliste Hassan Ruvakuki, condamné à trois ans de prison après avoir couvert la naissance d’une rébellion et remis en liberté provisoire le 6 mars ?
C’est une affaire judiciaire. Hassan Ruvakuki est un citoyen comme les autres et le Burundi est un État de droit, où la justice est indépendante. Lorsqu’un citoyen est poursuivi pour une infraction, il a droit à une défense. Les avocats de Ruvakuki l’ont défendu d’un bout à l’autre. Aujourd’hui, il est en liberté provisoire pour raisons de santé. Il faut laisser la justice faire son travail, et les avocats le leur.
Mais cette affaire n’est-elle pas avant tout politique ?
Non. Dès le début, il y a eu des comparutions, des jugements, des appels. Tout s’est déroulé dans le strict respect de la procédure pénale.
Pourquoi ne pas gracier Ruvakuki ?
La grâce présidentielle ne s’accorde pas n’importe comment. Elle s’accorde selon des paramètres qui sont examinés par le Conseil supérieur de la magistrature. Le chef de l’État ne peut pas se prononcer avant que tout le processus d’appel et de recours soit épuisé.
Les journalistes burundais protestent contre un projet de loi sur la presse qui, selon eux, va restreindre davantage leur liberté. N’est-ce pas inquiétant ?
Si chaque corporation veut que toute loi soit taillée à sa mesure, le pays sera ingouvernable. Ce qui est fait pour les journalistes n’est pas différent de ce à quoi n’importe quel autre corps de métier doit se soumettre. Pourquoi y aurait-il des exceptions ? Même le président de la République doit respecter ce que prévoit la Constitution. Sans la rigueur de la loi, c’est le chaos.
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Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K.
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