Attentats de Casablanca : le 16 mai 2003, un « 11 septembre marocain »

Il y a dix ans, le 16 mai 2003, une quintuple attaque terroriste secouait Casablanca. Un « 11 Septembre marocain » qui a changé le royaume du Maroc en profondeur.

Les attentats de Casablanca ont fait 45 morts. © AFP

Les attentats de Casablanca ont fait 45 morts. © AFP

Publié le 16 mai 2013 Lecture : 5 minutes.

C’était un vendredi, un soir de printemps comme les autres. Une semaine plus tôt, le pays apprenait la naissance de Moulay Hassan, premier enfant du couple royal. Partout, les autorités préparaient les réjouissances. Puis, en quelques minutes, douze kamikazes ont semé la terreur dans cinq lieux de Casablanca. Dix ans plus tard, un premier recul est possible sur l’événement, au-delà de l’horreur. La vie a repris ses droits, les garnements qui déambulent devant la Casa de España, où deux kamikazes ont fait vingt-deux morts, semblent ignorer ce qui s’y est passé. Trop jeunes pour avoir absorbé les images d’époque. Combien n’étaient pas nés il y a dix ans et se pressent aujourd’hui à la fontaine publique de Sahat al-Arsa, à quelques pas du cimetière israélite, autre cible des terroristes ? Où étiez-vous le 16 mai 2003 ? Un jour, vers 2053, cette question sera posée par des enfants, une question à laquelle leurs parents n’auront pas de réponse. Au coin du feu, les vieillards nés à la fin du siècle passé dérouleront pour leurs petits-fils la pelote de leurs souvenirs. Alors, les élèves marocains apprendront, inch Allah, l’histoire de leur pays comme un roman national, apaisé. Quand la leçon abordera les premières années du règne de Mohammed VI. Le 16 mai 2003 est une date à retenir, car elle marque un événement qui, par sa portée, autorise à parler de rupture. Une série d’inflexions et de changements qui concernent autant la politique que la religion et la sécurité.

Dépolitisation

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A posteriori, les années 2003-2012 auront d’abord consacré la place croissante prise par les technocrates dans la gestion des affaires politiques. Dès l’automne 2002, la victoire dans les urnes de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) est éclipsée par la nomination-surprise d’un patron proche du Palais : Driss Jettou, ministre de l’Intérieur sortant, est propulsé à la primature en lieu et place d’Abderrahmane Youssoufi, alors premier secrétaire de l’USFP. Ce dernier, lors d’une conférence donnée à Bruxelles, reviendra sur les doutes qui ont alors traversé sa formation. Certes, le Palais a balayé la « légitimité démocratique », mais l’argument de la participation est plus fort. Dix ans après, les caciques de l’USFP répètent à l’envi avoir sacrifié le calcul partisan à l’intérêt national. Pourtant, en avalisant cet affront, l’USFP renonçait à son combat pour la représentation. Rempilant en 2007, après des élections qui ont sanctionné son affaissement, l’USFP boit, avec le gouvernement El Fassi, le calice jusqu’à la lie. L’obsession sécuritaire a contribué à renforcer les proches du Palais, qui sortent du bois en 2008 en créant le Mouvement de tous les démocrates (MTD), puis le Parti Authenticité et Modernité (PAM), emmenés par Fouad Ali El Himma. La tentation technocratique est confirmée.

On croyait le pays immunisé, contre la violence islamiste. Grave erreur d’appréciation.

Mais le rouleau compresseur du PAM, pourtant grand vainqueur de son premier scrutin municipal en 2009, finira par couper le moteur, en novembre 2011, quand la coalition conduite par des partis de l’administration – dont le PAM et le Rassemblement national des indépendants (RNI) – échoue aux législatives, remportées haut la main par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD). Les attentats du 16 mai avaient contribué, un temps, à affaiblir les islamistes. Accusés alors de porter la responsabilité morale des attentats, quand bien même leur implication n’a jamais pu être prouvée, ils doivent pousser vers la démission leur prédicateur en chef, Ahmed Raïssouni, coupable de sorties peu diplomatiques sur le Commandeur des croyants. Mauvais timing, la tempête est rude et le PJD forcé de faire le dos rond. Quelques semaines plus tôt, forts de leur montée en puissance (troisième force en nombre de sièges de député), les faucons du parti continuaient de s’opposer à la réforme de la Moudawana.

Modernisation ?

La crise née des attentats aura permis une avancée majeure en matière de droits des femmes. Le 10 octobre 2003, ouvrant la session d’automne du Parlement, le roi annonce une réforme ambitieuse de la Moudawana. Les islamistes ne bronchent pas, mais c’est une victoire à la Pyrrhus. Imposée par le haut, cette réforme accrédite la dépolitisation et prépare la forte abstention – 37 % de taux de participation – aux législatives de 2007. Le Palais pousse tout de même son avantage sur le terrain religieux, qui, au Maroc, n’est pas indépendant du politique. L’homme de la situation est Ahmed Taoufiq. Nommé en novembre 2002 ministre des Affaires islamiques et des Habous, cet historien berbère est un lettré original qui s’essaie parfois au roman. C’est aussi un disciple de la Tariqa boudchichiya, une puissante confrérie soufie. Un profil aux antipodes de celui de son prédécesseur. Pendant dix-huit ans, Abdelkébir Alaoui M’Daghri, salafiste austère, s’était appuyé sur la pensée wahhabite, dont il était un parfait zélateur. Sous son ministère, les pétrodollars inondaient le royaume d’une pensée stricte, avec la bénédiction des autorités. Les attentats du 16 mai 2003 donnent un coup d’arrêt à ce « laxisme », terme employé par Mohammed VI le 29 mai 2003 dans un discours au ton ferme. Tragiques, les événements confortent la thèse d’Ahmed Taoufiq : le Maroc doit partager les valeurs de l’islam modéré sous la bannière du rite malékite et le parasol du Commandeur des croyants. Depuis, le pouvoir tend à développer un véritable souverainisme religieux, frappé du sceau d’une expression devenue célèbre : la sécurité spirituelle (amn rouhi).

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Les premiers à goûter le fer de cette sécurité-là sont les milliers de présumés salafistes raflés dans les semaines qui suivent les attentats. La version officielle de l’enquête sur les attentats de Casablanca est sans nuance : produits d’une pensée étrangère à la modération marocaine, ces actes excluent de fait leurs auteurs de la communauté. Celle de la religion commune et, par extension, de la nation même. Longtemps débattue au Parlement, occasion de débats homériques entre les présidents de groupe du PJD, El Mustapha Ramid, et de l’USFP, Driss Lachgar [le premier est depuis janvier 2012 ministre de la Justice, le second a été élu premier secrétaire de l’USFP en décembre 2012], la loi antiterroriste est finalement adoptée dans l’urgence le 28 mai 2003. Cet arsenal, largement inspiré de la législation française, servira de couverture juridique à la guerre que mènent les services de sécurité. La Direction de la surveillance du territoire (DST) est chapeautée par un certain Hamidou Laanigri. Ce général sécurocrate est une figure clé du nouveau régime. Ses hommes, basés à Kenitra, confirment leur réputation en interrogeant à tour de bras et sans ménagement.

De cette longue nuit, les premiers témoignages qui commencent à émerger sont encore couverts par la rancune et la peur. Au final, 2003 aura servi à dissiper un malentendu. Tout au long de la décennie noire (1991-2002) vécue par les voisins algériens, les autorités du royaume, ses politiques et ses intellectuels se berçaient d’une douce illusion : l’exception marocaine. Prétendument immunisé par la Commanderie des croyants, le Maroc était vacciné contre la violence islamiste. Hassan II ne revendiquait-il pas son « fondamentalisme » comme un rempart contre l’intégrisme ? Ce récit rassurant s’est écroulé en un soir, le 16 mai 2003. Pour preuve de cette prise de conscience nouvelle, la présence devenue banale de vigiles et de gardiens privés, qui ont poussé comme des champignons. Devant les représentations diplomatiques, les banques, les restaurants et les cafés, les administrations publiques. La sécurité d’abord.

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