Que cherche le Maroc en Afrique ?

Business, sécurité, diplomatie… Un demi-siècle après la création de l’OUA – et un peu moins de trente ans après s’en être retiré -, le Maroc n’a jamais été aussi présent au sud du Sahara.

Le 19 mars, le président ivoirien Ouattara reçoit M6 à Abidjan. © Issouf Sanogo/AFP

Le 19 mars, le président ivoirien Ouattara reçoit M6 à Abidjan. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 21 mai 2013 Lecture : 6 minutes.

Au moment où l’Union africaine (UA) se réunira à Addis-Abeba, les 24 et 25 mai, pour fêter son cinquantenaire, un État manquera à l’appel. En réalité, trois autres rateront la fête pour cause de suspension : Madagascar après la prise de pouvoir d’Andry Rajoelina, la Guinée-Bissau et la République centrafricaine à la suite, là aussi, de putschs. Ces mises à l’écart ne durent qu’un temps, certains pays ont ainsi récemment réintégré l’organisation (Mali, Côte d’Ivoire, Niger, etc.). Reste donc le Maroc, le seul à s’être volontairement retiré il y a près de trente ans.

Le 12 novembre 1984, la délégation marocaine avait quitté le 20e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) pour protester contre la présence du président de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz. Le conseiller royal Ahmed Réda Guédira, qui menait la délégation, avait alors lu ces quelques mots : « Voilà, et je le déplore, l’heure de nous séparer. En attendant des jours plus sages, nous vous disons adieu et nous vous souhaitons bonne chance avec votre nouveau partenaire. » L’UA ayant pris au début des années 2000 la suite de l’OUA en acceptant la République sahraouie, le Maroc est resté sur sa position. Rien de nouveau sous le soleil d’Addis-Abeba ? Tant que l’organisation maintiendra sa reconnaissance d’une République que le royaume considère comme partie intégrante de son territoire, il y a fort à parier que les timides appels, lancés à intervalles réguliers, au retour du Maroc dans l’organisation panafricaine resteront lettre morte. 

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Discrétion

Peu importe que le Maroc ait été l’un des pionniers de l’unité africaine, accueillant dès janvier 1961 la conférence de Casablanca, qui accoucha d’une charte revendiquant l’objectif de « faire triompher la liberté dans toute l’Afrique et de réaliser son unité ». Voeu pieux, mais le paradoxe demeure. Même si le royaume ne célébrera pas ses noces d’or avec l’UA, il développe depuis une dizaine d’années une véritable stratégie à destination du continent, dont il s’affirme résolument comme un acteur économique et diplomatique de premier plan.

Tout en entretenant des relations personnelles excellentes avec nombre de chefs d’État (Félix Houphouët-Boigny, Mobutu, Omar Bongo Ondimba), Hassan II n’avait pas véritablement été un roi africain, préférant d’autres scènes pour déployer son talent pour les affaires internationales. Par contraste, son fils et successeur Mohammed VI a renoncé à cette diplomatie éclatante. Plutôt que ces grands sommets (Ligue arabe, Francophonie, etc.) où chacun parle beaucoup mais où, en définitive, on se fait peu entendre, le roi préfère la discrétion des relations bilatérales. Et depuis le début de son règne il a surtout voyagé au sud du Sahara. À l’occasion de grandes tournées ou de visites d’État, il s’est rendu dans de nombreux pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée équatoriale, Niger, RD Congo, Sénégal. Avec ces pays, le Maroc partage une proximité liée à l’Histoire et à la langue française, mais aussi des intérêts économiques qu’illustre la vitalité des entreprises marocaines qui s’y implantent.

Sur le continent, le Maroc cherche des amis, notamment sur la question du Sahara occidental. Pris dans le grand jeu de la guerre froide, le royaume avait cédé du terrain, au début des années 1980, dans un continent devenu le terrain privilégié de l’affrontement des deux grands. Résolument atlantiste, Hassan II menait de front la guerre contre le Front Polisario, ses soutiens militaires et diplomatiques. Tandis que les Sahraouis indépendantistes plaçaient leur lutte dans le sillage des guerres de libération nationale, le Maroc était sur la défensive. Depuis une dizaine d’années, le pays, qui considère le Sahara comme une cause sacrée, développe pourtant des relations avec des pays jugés plus proches de la RASD, comme l’Angola ou l’Éthiopie. Le Maroc met en avant une vision commune des questions de sécurité, d’intégration économique. « Dans son voisinage africain, le royaume déploie une doctrine cohérente. La résolution des conflits doit se faire avec tous les acteurs régionaux, dans le cadre de la légalité internationale et le respect de l’intégrité territoriale », indique un diplomate marocain. 

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Sécurité

 "Sur la question malienne, l’Algérie agit en tant qu’actionnaire, le Maroc se positionne plutôt comme un acteur concerné."

Rabat a soutenu sans ambages l’intervention française au Mali, autorisant rapidement le survol de son territoire par les Rafale. Dans un discours adressé au sommet de la Cedeao, à Yamoussoukro, fin février, Mohammed VI a souligné que « la crise aiguë qui secoue le Mali frère apporte la preuve éclatante de l’inefficacité des approches partielles, des démarches sélectives, ou encore des ripostes parcellaires » face aux risques criminels et extrémistes. « A contrario, cette crise illustre la pertinence de la stratégie globale et de l’action collective auxquelles le Maroc n’a cessé d’appeler depuis des années », ajoutait le message royal. Quand on sait que Rabat ne fait pas partie du Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc), basé à Tamanrasset, le message semble adressé à l’Algérie voisine. « Sur la question malienne, l’Algérie agit en tant qu’actionnaire (shareholder), le Maroc se positionne plutôt comme un acteur concerné (stakeholder) », estime notre diplomate. Bien sûr, l’attitude marocaine n’est pas désintéressée. Pour Rabat, la déstabilisation qui secoue la région apporte une confirmation à une thèse constante et déconcertante par sa simplicité : la conjonction de la faiblesse des États et de l’action de groupes criminels et terroristes affaiblit le Sahel, une région déjà minée par la pauvreté. La résolution du conflit au Sahara occidental devient « une nécessité pour la sécurité et la stabilité de toute la région ». CQFD.

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L’activité que déploie Rabat au sein de la Cen-Sad depuis la chute de Mouammar Kadhafi, en plus des liens établis avec la Cedeao, offre au Maroc le moyen de contourner l’UA. D’autant plus que les arguments marocains ne résonnent pas encore dans l’esprit des dirigeants de poids lourds du continent, Nigeria et Afrique du Sud en tête, dont les intérêts immédiats sont parfois en contradiction avec ceux du Maroc. À cet égard, l’arrivée de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission de l’UA risque de renforcer la méfiance du Maroc vis-à-vis de l’institution. Quand elle était ministre des Affaires étrangères, Pretoria avait basculé dans une ligne radicalement pro-Polisario, ce qui a conduit le Maroc à rappeler son ambassadeur, une décision que beaucoup regrettent aujourd’hui côté marocain. Le royaume, qui envoie ces dernières années des observateurs en marge des sommets de l’UA, va-t-il faire le dos rond ?

Diplomatie : La RASD perd du terrain

L’intense lobbying marocain pour isoler la République arabe sahraouie démocratique (RASD) porte ses fruits. Saint-Vincent-et-les-Grenadines est le dernier pays à avoir suspendu, en février, sa reconnaissance de la RASD, portant à 32 le nombre d’États à avoir fait défection depuis 2000. En Afrique, ils ne sont plus que 17 pays à la reconnaître depuis que la Zambie (2011) et le Burundi (2010) ont fait machine arrière. La plupart sont des pays d’Afrique australe et d’Afrique de l’Est.

Depuis 1984, année où le Maroc a claqué la porte de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) après que la RASD y fut entrée deux ans plus tôt, Rabat privilégie l’approche bilatérale pour marginaliser la République sahraouie, qui bénéficie toujours du soutien de poids lourds comme l’Algérie et l’Afrique du Sud. Dans la pratique, peu d’États africains entretiennent encore des relations avec le Polisario, mais ils ne coupent pas les ponts de peur de s’attirer les foudres d’Alger et de Pretoria. « Le Mali nous a fait savoir en mai qu’il n’était pas hostile à l’intégrité territoriale de notre pays mais qu’il serait malvenu, dans le contexte actuel, de l’afficher politiquement », explique un diplomate marocain.

Rabat célébrera en tout cas à sa manière le cinquantenaire de la création de l’OUA. Le 25 mai, journée mondiale de l’Afrique, les diplomates africains seront conviés à une série de conférences et de manifestations publiques. On y rappellera que les jalons de la future OUA ont été posés lors de la conférence de Casablanca en 1961, laquelle a rassemblé des leaders comme Mohammed V, Kwame Nkrumah, Julius Nyerere, Gamal Abdel Nasser, Ahmed Sékou Touré, Modibo Keita… P.A

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Par Youssef Aït Akdim

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