Niger : le pays où les Touaregs bénéficient de la décentralisation
Fini le mythe du nomade irrédentiste ? Alors que leurs voisins maliens sont dans la tourmente, les Touaregs du Niger semblent apaisés et intégrés. Reportage…
C’est le nouveau guitar hero du désert. Bombino, 33 ans, un visage taillé à la serpe, un regard noir et dur qui cache mal une grande timidité, et un discours bien rodé. « Quand les hommes politiques ne font pas leur boulot, il faut parfois un musicien pour dire les choses », répète-t-il aux nombreux journalistes qu’il croise depuis que son blues électrique connaît le succès et qui l’ont érigé en symbole d’un peuple, les Touaregs, qui aurait subitement troqué la kalach pour la guitare. Vision tronquée mais séduisante.
Bombino, qui vit entre Niamey et le reste du monde, est nomade et le revendique. « Je suis un Touareg », dit-il, avant de préciser : « Un Touareg nigérien. » La nuance est de taille. Longtemps, la plupart de ses frères se sont vus comme un peuple sans frontières, mais aussi sans nationalité. Ce n’est plus le cas, assure-t-il. « Avant, on s’en foutait des papiers. Aujourd’hui, on a compris que c’est important d’en avoir. Et pas seulement parce que ça évite les ennuis. C’est aussi parce que nous avons pris conscience que nous appartenons à une nation, le Niger. » Les rébellions, dit-il, c’est du passé, du moins dans son pays. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), en guerre depuis un an et demi dans le Nord-Mali ? « Un repère de trafiquants », accuse-t-il. Un Azawad indépendant ? « Le mythe d’une nation touarègue continue de faire rêver les gens, mais la plupart ont compris que ce n’était pas bon. On ne veut pas vivre ce que vivent nos frères du Mali. »
Quand Mouammar Kadhafi, le parrain de nombre de rébellions touarègues de ces trente dernières années, est tombé, en octobre 2011, puis quand le MNLA a lancé son offensive éclair, en janvier 2012, tout le monde prédisait l’enfer au Niger.
Avec près de 10 % de Touaregs parmi sa population, estimée à 16 millions d’habitants, une histoire marquée par plusieurs soulèvements de cette communauté et une situation socio-économique catastrophique, le pays pouvait craindre une contagion. Les principaux intéressés savaient, eux, que ça n’arriverait pas. Pas cette fois.
Trafics
« Personne n’a oublié la dernière rébellion, constate Bombino. Ses morts. Ses conséquences économiques. Et surtout la manière dont elle s’est terminée. » Avant 2007, le tourisme et l’artisanat contribuaient à faire vivre un actif sur six. Parmi lesquels Bombino : chauffeur occasionnel, c’est grâce à des touristes qu’il s’est fait connaître. Mais depuis six ans on ne voit quasiment plus aucun étranger à Agadez.
« C’est sûr, la rébellion de 2007-2009 a refroidi les gens, confirme une figure de la révolte des années 1990 que l’on croise désormais dans les grands hôtels de Niamey. Ce conflit a fait beaucoup de victimes, chez les civils comme chez les combattants. Et comme cette rébellion était menée par des trafiquants dont le seul but était de sauver leur business, elle a implosé avant d’aboutir à quoi que ce soit. » Il a suffi à Kadhafi de mettre sur la table une dizaine de millions de dollars, en avril 2009, pour que les meneurs de l’insurrection se fassent la malle. « Une dizaine d’individus ont empoché 80 % du pactole. Les autres, dont des sous-officiers de l’armée qui avaient rejoint les rangs de la rébellion, se sont retrouvés sans rien. Les gens ne sont pas prêts à revivre ce cauchemar. »
La désillusion de 2009 n’explique pas tout. Pour comprendre l’accalmie actuelle au Niger, il faut convoquer l’Histoire et la comparer avec celle du voisin malien, estime le colonel Mahamadou Abou Tarka, un Touareg qui préside depuis deux ans la Haute Autorité à la consolidation de la paix, l’ex-Haut-Commissariat à la restauration de la paix. Créée en 1994, la structure a changé de nom en 2011 « car, explique le colonel, nous estimons que la paix est revenue et que notre mission est désormais de prévenir toute nouvelle rébellion. Au Niger, les Touaregs n’ont jamais été exclus comme ils ont pu l’être au Mali. Depuis toujours, il y a des cadres touaregs dans l’administration. Moi-même, j’ai franchi tous les échelons dans l’armée et je n’ai pas eu besoin de mener une rébellion pour cela ».
Une intégration qu’incarne le Premier ministre, Brigi Rafini. Natif d’Iferouane (Agadez), cet énarque de 60 ans a gravi tous les échelons administratifs avant d’être nommé à la primature par le président Issoufou, le 7 avril 2011. Depuis, s’il assure ne pas renier ses origines, disant même devoir les défendre, et s’il ne quitte que rarement son turban blanc en public, il rejette l’étiquette de « Touareg de service ». « Je n’ai pas de complexe à être interpellé en tant que Touareg, mais cela me ramène vers le passé. J’espère que cette référence identitaire s’amenuisera. C’est déjà le cas chez les plus jeunes. » En deux ans, Rafini, qui envoie régulièrement des émissaires dans le désert, n’a noté aucun foyer de tension dans le Nord. Il y a bien eu quelques escarmouches quand 3 000 Touaregs armés sont revenus de Libye en 2011. Certains y vivaient depuis des années. D’autres avaient rejoint la Légion verte de Kadhafi dans les derniers jours de son règne. Mais le Niger avait pris les devants, maniant subtilement « la carotte et le bâton », selon les termes d’un diplomate en poste à Niamey.
Retournés
La carotte, ce furent les promesses d’aides pour permettre à ceux que l’on appelle « les retournés » de se réinsérer. Fort de l’expérience des années 1990, quand, à l’issue de la première rébellion, un quart des 12 000 combattants insurrectionnels avaient été intégrés dans différents corps d’État et un tiers avaient bénéficié d’un soutien économique, « le gouvernement a injecté beaucoup d’argent pour les jeunes afin de financer des microprojets », indique le colonel Tarka. « La crise a été bien maîtrisée, reconnaît le maire d’Agadez, Rhissa Feltou. En quelques jours, on a vu affluer 20 000 personnes dans la ville. L’État a mis en place des programmes d’urgence et, grâce aux partenaires extérieurs, les gens ont eu de quoi manger. »
Feltou a grandi à Agadez, a fait ses études (de droit) en France, puis a rejoint les rangs de la rébellion en 2007. Une erreur… Il en convient aujourd’hui. En 2011, il a bénéficié de la décentralisation mise en place après les accords de paix de 1995 et 1997, et s’est fait élire maire de sa ville. S’il dénonce toujours un mal-développement chronique et constate qu’en 2013 la route Niamey-Agadez est moins praticable qu’en 1990, il reconnaît que les Touaregs « sont suffisamment intégrés dans les tissus politique et économique » et que « la décentralisation a changé la donne ». Comment parler d’exclusion quand les principaux élus des villes du Nord sont d’anciens rebelles ou quand le Premier ministre, le numéro deux de l’armée et un certain nombre de dirigeants de sociétés d’État sont touaregs ?
Le Premier ministre, Brigi Rafini, à la cure salée d’Ingall (Agadez).
© Luc Gnago/Reuters
Quant aux leaders de la rébellion de 1990, leur parcours vaut mille discours. Rhissa Ag Boula, qui a été ministre, est désormais conseiller spécial du président Issoufou. Il est également membre du conseil régional d’Agadez. Mohamed Anako préside le même conseil régional. Mohamed Akotey, lui, préside le conseil d’administration d’Imouraren SA, une filiale d’Areva. Vendus ? « Non, convaincus que la rébellion de 1990 a atteint ses objectifs et que, désormais, le combat passe par l’engagement politique », affirme l’un d’eux. « Ceux qui sont nés en Libye ne nous connaissent pas », admet-il toutefois. Ces vétérans-là ne représentent pas grand-chose pour les nouvelles générations. En 2011, l’État a donc aussi dû manier le bâton. Pas question, comme au Mali, de laisser entrer des colonnes de pick-up lourdement armés. « Dès la chute de Kadhafi, explique Tarka, nous avons mis en place l’opération Mali Bero. » Plusieurs centaines de soldats postés dans le Nord, des hélicoptères, des avions de reconnaissance… Au début, il y a eu des accrochages avec les revenants de la Légion verte. « Cela a dissuadé les autres, qui ont évité le Niger », assure le colonel.
Ce message de fermeté a permis d’« inverser le rapport des forces, contrairement à ce qui a été fait au Mali, où l’on a discuté trop longtemps », estime un proche du président. Il subsiste bien quelques velléités dans le Sud libyen, le Niger reste un lieu de passage fréquenté par les groupes armés de la région, et les trafics, à l’origine du mal malien, perdurent dans l’Aïr, mais « sans l’appui des populations locales, ces menaces resteront mineures », souligne une source sécuritaire.
Concert
« Les gens veulent la paix plus que tout », résume Mawli Dayak. Le nom de cet homme de 35 ans est gravé dans l’histoire du Niger. Son père, Mano, avant de périr dans un accident d’avion, en 1995, fut le porte-voix de la rébellion de 1990. Quand il est rentré au pays il y a quelques mois après avoir passé vingt ans en France, Mawli, qui officie au cabinet du Premier ministre, a constaté que sa filiation ne lui porterait pas préjudice. « Les gens savent que la rébellion de 1990 était nécessaire. » Début avril, il a organisé Le Chant des dunes, un concert pour la paix qui a réuni à Niamey les plus belles voix du désert, parmi lesquelles celle de Bombino. Bientôt, Dayak, qui a monté une agence de voyages, espère ramener des touristes à Agadez, comme son père dans les années 1980. La comparaison s’arrête là. Un dicton touareg qu’il aime citer dit : « Fais ce que ton père n’a pas fait, tu verras ce qu’il n’a pas vu. »
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Par Rémi Carayol, envoyé spécial
Menace libyenne
Si les autorités nigériennes assurent qu’une rébellion touarègue est inimaginable aujourd’hui, elles se disent inquiètes de ce qui se trame dans le sud de la Libye. Dans le chaos qui a suivi la chute de Kadhafi, un groupe de Touaregs armés venus de tous horizons et mené par le général libyen Ali Kana, un temps réfugié à Niamey, a pris le contrôle de la zone frontalière. « A priori, glisse une source sécuritaire, l’agenda de ce général est intérieur : il veut se positionner pour peser dans la future Libye. Mais on compte parmi ses hommes des Nigériens qui pourraient un jour décider de rentrer. » Parmi eux : Aghaly Alambo, chef de la rébellion de 2007, soupçonné de se livrer à des trafics. R.C.
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