50 ans de l’UA : panafricanisme, la longue marche vers l’unité
Il a fallu la détermination de plusieurs grands leaders pour que le panafricanisme prenne une forme institutionnelle. Mais l’accouchement s’est fait dans la douleur.
Union africaine, qu’as-tu fait de tes 50 ans ?
Le 22 mai 1963, fin d’après-midi à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie. Une trentaine de chefs d’État et de gouvernement du continent, des plus illustres aux moins connus, sont réunis dans l’hémicycle de l’Africa Hall, siège de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique. L’un d’eux est absent : Hassan II, roi du Maroc, qui a refusé de se retrouver en face de Moktar Ould Daddah, le président de la Mauritanie, un territoire que le royaume chérifien revendique. Autre absent, le président du Togo, Nicolas Grunitzky, qui n’est pas reconnu par ses pairs depuis l’assassinat de Sylvanus Olympio.
Un livre, qui ne pouvait bien tomber, circule dans les couloirs : Africa Must Unite, écrit par le président ghanéen Kwame Nkrumah. Hérault de l’unité politique de l’Afrique, il est convaincu que de cette union « pourrait émerger une Afrique unie, grande et puissante, dans laquelle les frontières territoriales, qui sont des reliques du colonialisme, deviendront obsolètes et superflues, pour être au service d’une complète et totale mobilisation de la planification économique. » Cette union, Nkrumah la conçoit sous la forme d’un gouvernement continental.
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Processus
À la tribune, un homme de 71 ans, petit, le corps frêle, la barbe poivre et sel en collier, prononce le discours d’ouverture de la conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement africains et malgache. C’est Haïlé Sélassié, empereur d’Éthiopie. Une de ses phrases retient l’attention de ses hôtes : « Cette conférence ne peut pas se terminer sans l’adoption d’une charte africaine unique. Nous ne pouvons nous séparer sans créer une seule organisation africaine possédant ses attributs. » Trois jours et une dizaine d’heures de discours plus tard, le 25 mai, la charte créant l’Organisation de l’unité africaine (OUA), initiée par l’Éthiopie, est adoptée. Pari gagné pour Haïlé Sélassié, qui, très patient, a réussi à concilier les différents points de vue pour obtenir un consensus historique : l’unité, oui, mais pas de gouvernement continental.
L’adoption par les chefs d’État et de gouvernement de la charte portant sur les fonts baptismaux l’Organisation de l’unité africaine est l’aboutissement d’un long processus. Dans toutes les parties du continent, différents leaders sont persuadés que l’avenir de l’Afrique passe par la mise en commun de toutes les forces. En Afrique du Nord, dès 1945, des partis nationalistes du Maroc et de la Tunisie mettent l’accent sur la constitution d’un grand Maghreb. Cette initiative prend forme en 1958 lorsque le Maroc et la Tunisie, auxquels s’ajoute le Front de libération nationale (FLN) algérien, se mettent d’accord pour lancer le processus. Mais l’idée sera combattue par l’Égypte, qui redoute la naissance d’une fédération maghrébine. En 1960, Habib Bourguiba se prononce en faveur d’une fusion entre la Tunisie et l’Algérie. Pour lui, cela peut contribuer à résoudre l’équation algérienne. Une fois de plus, cela se limite au niveau des bonnes intentions.
En Afrique subsaharienne, les mêmes préoccupations sont partagées. Ainsi, en novembre 1958, Nkrumah annonce l’union de son pays, indépendant depuis un an, avec la Guinée, qui vient à peine d’accéder à la souveraineté internationale. Le leader ghanéen, s’inscrivant dans la longue tradition panafricaniste venue des États-Unis, avait déjà organisé, en avril 1958, à Accra, la première conférence des États africains indépendants. Malheureusement pour lui, aucun des chefs d’État invités ne fera le déplacement. Il récidive en décembre de la même année avec la tenue de la première conférence des peuples africains. Cette fois, il préfère inviter les membres de la société civile. C’est ainsi qu’il commence à semer ses idées sur l’unité du continent. Mais le problème de Nkrumah, c’est que ses pairs, qui le soupçonnent d’avoir des visées hégémoniques, ne lui font pas confiance.
Crise
Au cours de la même période, Barthélemy Boganda, leader de l’Oubangui-Chari, l’actuelle République centrafricaine, prône la création d’une entité politique, les États-Unis de l’Afrique latine, qui doit regrouper tous les territoires colonisés par la France, la Belgique et le Portugal. En Afrique de l’Ouest, le président du Liberia, William Tubman, lance pour sa part l’idée d’une entité baptisée les États associés d’Afrique.
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En 1960, dix-sept pays du continent deviennent indépendants. Kwame Nkrumah, jouissant du prestige d’être le président de la première colonie à avoir accédé à l’indépendance au sud du Sahara, voit là l’occasion de prêcher la bonne nouvelle du panafricanisme malgré l’échec de son union avec la Guinée et, ensuite, avec le Mali de Modibo Keïta, lequel avait précédemment formé une fédération avec le Sénégal avant de divorcer de façon spectaculaire. C’est dans ce contexte d’échecs répétés des tentatives de fusion au niveau des États qu’éclate la crise congolaise. À Léopoldville (Kinshasa, aujourd’hui), le premier gouvernement congolais, dirigé par Patrice Lumumba, doit faire face, une semaine seulement après l’indépendance, le 30 juin 1960, à deux crises majeures : la sécession du Katanga, menée par Moïse Tshombe, avec le soutien des Belges, et l’intervention de l’armée belge au Congo. Cela va conduire à la première mission de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU), qui envoie des casques bleus au Congo, et à la destitution de Lumumba, avant son assassinat au Katanga en janvier 1961. Les partisans de Lumumba gagnent Stanleyville (Kisangani), où ils créent une « République populaire du Congo » dirigée par Antoine Gizenga, ancien vice-Premier ministre dans le gouvernement Lumumba.
La crise congolaise touche et divise l’Afrique. D’un côté, ceux qui décident de reconnaître la République des lumumbistes. Ce sera le groupe dit « de Casablanca », comprenant le Ghana, l’Égypte, la Guinée, le Mali, le Maroc et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). L’autre groupe, dit « de Monrovia », considère que le seul gouvernement légitime au Congo est à Léopoldville. Mais avant d’en arriver à ce déchirement, il se tient, en octobre 1960, à Abidjan, une conférence de pays francophones « modérés » convoquée par Houphouët-Boigny. Il cherche à constituer un groupe qui puisse mener une médiation entre la France et le GPRA.
En décembre, les mêmes pays se retrouvent à Brazzaville où ils fondent l’Union africaine et malgache (UAM), comprenant la plupart des anciennes colonies françaises. Dans la déclaration finale, ils affirment leur opposition à toute union politique avec des institutions intégrées. En réalité, c’est le rejet par Houphouët-Boigny des idées de Nkrumah. En janvier 1961, le Maroc organise à son tour une conférence à Casablanca, pour répondre à l’UAM, qui soutient l’indépendance de la Mauritanie. Cinq pays s’y retrouvent, plus le GPRA. Sur plusieurs sujets, les amis du Maroc ne partagent pas le même point de vue. N’empêche, ils publient une charte de Casablanca, qui sera ratifiée plus tard au Caire. La charte institue un comité politique, un comité économique, un comité culturel et un haut commandement à la défense. Aussitôt après, en mai, le groupe de Monrovia, auquel l’Éthiopie s’est jointe, se réunit à son tour dans la capitale libérienne. Il y a affluence. Bien entendu, la question de l’unité africaine est abordée.
Vision
C’est à Monrovia que la décision de rassembler tout le monde afin de discuter est prise. Le groupe de Casablanca est invité à une rencontre à Lagos, en janvier 1962. Il s’ensuit un certain nombre de péripéties. En fin de compte, la réunion se tient. Dix-neuf pays sont présents. C’est à Lagos qu’est adoptée et ratifiée une charte de l’Organisation des États africains et malgache sur la base d’un projet initié par Tubman. Mais elle n’est pas rendue publique dans l’espoir que le groupe de Casablanca y adhère. Haïlé Sélassié prend les choses en main en convoquant un sommet à Addis-Abeba. C’est le déclic : le groupe de Casablanca se lézarde. Si l’empereur d’Éthiopie a pris cette initiative, c’est parce que, depuis longtemps, en dépit des divisions, il réfléchissait à la meilleure façon de réaliser l’unité africaine. Ayant observé le mode de fonctionnement de l’ONU, de la Ligue arabe et de l’Organisation des États américains (OEA), il s’inspire de cette dernière qui ne préconise ni la fédération ni la confédération des États. Pour Haïlé Sélassié, l’organisation continentale doit être un cadre de concertation et de consultation. C’est cette vision, avec des amendements, qui triomphe à Addis-Abeba le 25 mai 1963.
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Par Tshitenge Lubabu M.K.
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