Cameroun : carton rouge pour Mohammed Iya

À la tête de la Fecafoot et de la Sodecoton, le Camerounais Mohammed Iya s’était fait de nombreux ennemis mais se croyait intouchable. Le 10 juin, il a été arrêté pour détournement de fonds.

Mohammed Iya voulait rempiler à la tête de la Fecafoot pour un troisième mandat. © Jean-Pierre Kepseu

Mohammed Iya voulait rempiler à la tête de la Fecafoot pour un troisième mandat. © Jean-Pierre Kepseu

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 20 juin 2013 Lecture : 4 minutes.

C’était peut-être l’homme le plus détesté du Cameroun. Depuis quinze ans à la tête de la Fédération camerounaise de football (la Fecafoot), Mohammed Iya disait n’avoir peur de rien ni de personne, et surtout pas de ceux qui le rendaient responsable des contre-performances des Lions indomptables. Le 10 juin pourtant, et alors que la veille ses joueurs venaient une nouvelle fois de se faire étriller (2-0 face au Togo), il a été arrêté et placé en détention à la prison du secrétariat d’État à la Défense (SED), à Yaoundé.

Officiellement, la justice soupçonne Mohammed Iya, 62 ans, d’avoir détourné des fonds de la Société de développement du coton (Sodecoton), qu’il dirige en parallèle depuis 1984. Mais ses proches soutiennent que la vraie raison de sa descente aux enfers tient autant aux mauvais résultats de l’équipe nationale qu’à son obstination à s’accrocher au gouvernail de la Fecafoot. Ces derniers mois, ils ont tenté de le dissuader de postuler pour un troisième mandat. Mais ce Peul natif de Garoua (Nord), formé au Nigeria et en Grande-Bretagne, n’a pas résisté à l’envie de rempiler. Il se croit intouchable et le foot est sa grande passion. N’a-t-il pas aidé à lancer le Coton Sport de Garoua, l’un des plus célèbres clubs camerounais ? Pendant quinze ans, il a fait mordre la poussière à tous ceux qui ont essayé de lui ravir la Fecafoot, cette structure dotée, en 2013, d’un budget de 2,5 milliards de F CFA (3,8 millions d’euros) et dont les actifs sont estimés à 5,5 milliards de F CFA. 

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Guerre ouverte

L’État n’a rien à y faire. Les Lions peuvent s’autogérer.

Pour son malheur, Iya cultive l’art de se faire des ennemis. Il s’est mis à dos la presse, qu’il dédaigne quand elle ne lui est pas favorable. Il s’est opposé à presque tous les ministres des Sports et, partant, au gouvernement au sujet de la gestion de l’équipe nationale. Son credo ? « L’État n’a rien à y faire. Les Lions peuvent s’autogérer. » Roger Milla, débarqué de son poste de président d’honneur en 2012, Joseph-Antoine Bell, tenu à distance, et d’autres anciens footballeurs sont en guerre ouverte contre lui. Samuel Eto’o, la star de l’équipe, suspendu en 2012 pour avoir été à l’origine d’une grève puis réhabilité sur ordre du chef de l’État, le critique sans ménagement. Une ribambelle d’anciens collaborateurs le poursuivent de leur vindicte. Ancien directeur général de la Fecafoot licencié en février 2007, Jean-Lambert Nang lui a consacré un pamphlet, Desperate Football House, six mois dans l’enfer de la Fecafoot (aux éditions Inter Press). On l’accuse de tous les maux ? « Je n’ai rien à me reprocher », se défend-il.

Et le voilà, il y a un mois, qui dépose sa candidature. Il est impopulaire ? Peu lui chaut. Il est membre du parti au pouvoir, mais n’a aucune ambition politique. Lui et le président Biya se connaissent peu et ne se parlent pas.

Avec une assemblée générale de la Fecafoot acquise à sa cause, il est quasi sûr d’être réélu sans difficulté. Pour lui faire barrage, le Premier ministre, Philémon Yang, n’a pas d’autre choix que de suspendre les travaux de l’assemblée générale de la Fecafoot, prévue le 25 mai et au cours de laquelle Mohammed Iya allait être reconduit.

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Pendant des années, le gouvernement a eu les mains liées. À la moindre im­mixtion, la Fifa menaçait de suspendre le Cameroun de toutes ses compétitions. Mieux valait, pour le neutraliser, chercher ailleurs… Restait donc la Sodecoton, cette ancienne filiale de la Compagnie française pour le développement des textiles (CFDT), rebaptisée Geocoton (78 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2012). En juin 2011, Cavaye Yéguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale, est le premier à épingler sa gestion de l’agro-industrie la plus puissante du nord du pays. Le 27 mars 2013, le Conseil de discipline budgétaire et financière de l’État enfonce le clou en imputant à Mohammed Iya vingt fautes de gestion, pour un préjudice de 9 milliards de F CFA. Plus grave, l’organe de contrôle de l’État lui inflige une déchéance « valant interdiction, pour une durée de sept ans, d’être responsable de l’administration ou de la gestion des services publics ou des entreprises d’État, à quelque titre que ce soit ».

Dans les jours qui suivent, on attend en vain une réunion extraordinaire du conseil d’administration destinée à débarquer le patron épinglé et à nommer un nouveau directeur général. Problème : Geocoton n’est pas convaincu par les conclusions du Conseil de discipline. Et avec ses 30 % du capital de la Sodecoton, il dispose d’une minorité de blocage.

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Ses ennemis avaient jubilé trop tôt, Iya n’est pas mort. Pis, il rebondit. Le 23 mai, le conseil d’administration de la Sodecoton se tient et lui apporte son soutien. En 2012, le bénéfice net de la société n’a-t-il pas grimpé à 5,6 milliards de F CFA, contre 5,4 milliards en 2011 ? Les administrateurs n’ont-ils pas distribué 1,6 milliard de dividendes à l’État, Geocoton et la Société mobilière d’investissements du Cameroun (11 %) ? Si, mais ces bons résultats n’auront pas suffi à sauver le chef d’entreprise. Son destin était scellé, même s’il courait encore, tel un saint Denis, sa tête sous le bras…

Et si le nord prenait son parti ?

Yaoundé n’est pas le Cameroun, et Mohammed Iya reste très populaire dans les régions cotonnières du Grand Nord. Le 26 avril, la Confédération nationale des producteurs de coton (250 000 agriculteurs) se réunissait et lui apportait son soutien : « Depuis que vous êtes à la tête de la Sodecoton, le coton-graine produit par nos mains a été acheté en totalité, quelle que soit sa qualité. Aucun kilogramme de coton-graine n’a été abandonné en brousse, même pendant les périodes les plus difficiles vécues par la filière. » Mise en place par Iya, cette politique est soutenue par un mécanisme de fixation du prix d’achat et par un fonds de gestion du risque-prix, doté de 12 milliards de F CFA. À quelques mois des législatives, le parti au pouvoir prend donc le risque de perdre des électeurs qui votent traditionnellement pour lui. G.D.

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Par Georges Dougueli

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