Maroc : Lalla Salma, la princesse aux pieds nus
Issue de la classe moyenne, l’épouse de Mohammed VI, Lalla Salma, a su donner corps au rôle jusqu’alors totalement inédit de première dame. Tout en restant proche du peuple et de ses préoccupations.
« Je ne suis pas une reine, je suis une princesse. Il n’y a pas de reine au Maroc, il y a un roi. » Selon le quotidien Akhbar Al Youm, c’est ainsi que Lalla Salma, 35 ans, épouse de Mohammed VI, aurait repris des passants qui, lors d’un voyage à Assouan en 2006, l’avaient maladroitement qualifiée de reine. Voilà, peut-être, le secret de la popularité de Lalla Salma. Une capacité à tenir son rang, à respecter un savant dosage entre médiatisation et pudeur, entre modernité et tradition. Onze ans après son mariage avec le roi, celle qui était décrite comme une fille du peuple discrète et timide a su trouver sa place dans le paysage public et donner corps au rôle jusqu’alors totalement inédit de première dame. À la fois mère et épouse, responsable associative et princesse en représentation, elle est devenue l’ambassadrice d’un Maroc moderne, où les femmes jouent enfin un rôle.
Lorsqu’il épouse, le 21 mars 2002, celle qui n’est encore que Salma Bennani, Mohammed VI bouleverse la tradition monarchique. Pour la première fois, la femme d’un souverain apparaît en public et prend le titre d’Altesse Royale, jusque-là réservé aux enfants, aux frères et aux soeurs du roi. Lalla Salma inaugure une nouvelle ère et tous les Marocains s’interrogent alors sur le rôle qu’elle sera amenée à tenir. Érigée par les médias au rang de symbole, la jeune femme doit relever un défi de taille : incarner la modernité tout en ménageant une opinion profondément attachée aux traditions.
Née à Fès en 1978, Salma Bennani est issue de la classe moyenne. Fille d’un professeur de l’École normale supérieure de Fès, elle perd sa mère à l’âge de 3 ans et rejoint alors sa grand-mère, qui l’élève dans un quartier populaire de Rabat. « Les contes de fées ? Un scénario rêvé pour n’importe quel communicant politique ! Son origine sociale a peut-être été un obstacle pour s’imposer dans le sérail, mais c’est aussi ce qui lui a valu la sympathie immédiate de tous les Marocains. Sa force a été de s’appuyer sur cette proximité et de la cultiver », juge un proche, qui a souhaité garder l’anonymat.
Apparitions médiatiques
Le Palais encadre très strictement les premières apparitions médiatiques de la princesse. Sa présence auprès de son époux et de son fils, Moulay Hassan, né le 8 mai 2003, contribue à adoucir l’image de la monarchie et à donner une dimension plus humaine à la figure sacrée et lointaine du roi (le couple royal a aussi une fille, Khadija, née le 28 février 2007). Ils ne vivent pas au palais, mais dans une résidence privée à Dar Es Salam, un quartier cossu de la capitale. Pour la première fois, les Marocains découvrent des photos de leur roi attendri par son fils et affectueux envers sa femme. Malgré son nouveau statut, Lalla Salma ne change pas ses habitudes. Elle emmène régulièrement son fils chez sa grand-mère, au grand étonnement de ses anciens voisins, et aime conduire seule dans les rues de la capitale. Tous ceux qui l’ont rencontrée font le portrait d’une femme facile d’accès, s’exprimant avec simplicité et respectueuse de chacun.
Mais Lalla Salma n’est pas vouée à s’enfermer dans son rôle de mère aimante et d’épouse silencieuse. Comme sa soeur, médecin, elle a poursuivi de brillantes études. Tous ses professeurs s’accordent à dire que c’était une élève remarquablement intelligente. Après avoir obtenu un baccalauréat avec mention bien au lycée Hassan-II, elle fait deux ans de classe préparatoire au lycée Moulay-Youssef, avant d’intégrer l’École nationale supérieure d’informatique et d’analyse des systèmes (Ensias), une des meilleures écoles d’ingénieur du royaume. « On n’arrive pas là où elle est arrivée par hasard. Il faut être doté de qualités exceptionnelles et d’une capacité d’adaptation incroyable pour réussir un tel parcours », juge un habitué des arcanes du Palais. Entendez : Lalla Salma n’est pas une potiche mais une femme indépendante, miroir rêvé d’une société marocaine en pleine mutation.
Comme il est d’usage chez les premières dames, elle désire s’investir dans une activité philanthropique et opte, après mûre réflexion, pour la lutte contre le cancer, une cause qui lui tient à coeur pour des raisons familiales. En 2005, l’Association Lalla Salma de lutte contre le cancer (ALSLC) voit le jour. La princesse dispose d’un secrétariat particulier dans un local en face du palais royal, où travaillent quatre salariés à plein temps. Elle est assistée par des conseillers du roi, notamment feu Abdessadek Rabiaa, ex-secrétaire général du gouvernement, et s’entoure de personnalités de qualité, dont l’ancienne secrétaire d’État Latifa El Abida, le financier et ancien patron des patrons Moulay Hafid Elalamy, ou encore le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch. « Elle a voulu faire les choses bien, de la manière la plus professionnelle possible et avec l’aide de gens impliqués et compétents », explique le publicitaire Noureddine Ayouch, qui fait partie du conseil d’administration.
Unanimement saluée, l’association a de nombreux succès à son actif : ouverture de centres régionaux de traitement du cancer, mise en place de maisons d’accueil des malades, acquisition de matériels de pointe, campagne massive de prévention. « Pour ce qui concerne la lutte contre le cancer au Maroc, il y a un avant et un après Lalla Salma », ajoute le publicitaire. En juillet 2006, la princesse est nommée ambassadrice de bonne volonté de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En 2010, elle reçoit des mains de l’éminent cancérologue David Khayat le prix de la Charte de Paris. En 2011, le mensuel londonien The Middle East la classe parmi les 50 personnalités les plus influentes du monde arabe. « Lalla Salma ne se contente pas d’un rôle honorifique. Elle organise régulièrement des réunions avec les acteurs médicaux et sociaux. Elle discute des plans d’action et donne des recommandations. Surtout, elle a une très grande capacité à mobiliser départements, ONG, bénévoles, mais aussi bailleurs de fonds », explique la professeure Fouzia Msefer Alaoui, membre du conseil scientifique de l’association. Inauguration, pose de première pierre, visite-surprise d’un service de cancérologie, la princesse ne ménage pas ses efforts pour faire connaître son combat dans les médias. Elle s’est par exemple personnellement impliquée auprès des laboratoires Roche pour que les Marocains aux revenus modestes puissent bénéficier de traitements innovants à moitié prix.
Repères chronologiques. © Jeune Afrique
"Les démons du choc des civilisations"
La princesse utilise aussi la force de l’image. En mars, avec son mari, elle se fait filmer, sur un lit d’hôpital, en train de donner son sang pour lancer la campagne nationale de don. En juin, elle pose devant les photographes, riant avec une petite fille qui a perdu ses cheveux après une chimiothérapie. Dans un pays où la santé publique a très mauvaise réputation et où le cancer – 35 000 cas chaque année et 7,2 % des décès – a été longtemps considéré comme une maladie honteuse, ces campagnes médiatiques sont destinées à marquer les esprits. Lalla Salma a par ailleurs insisté pour qu’elles soient rédigées en darija, dans des termes simples, pour être comprises du plus grand nombre.
Si la fonction fait l’homme, elle fait aussi la femme. Plus à l’aise en public, Lalla Salma ose désormais s’exprimer sur des sujets que l’on aurait jugés bien trop glissants il y a encore quelques années. En juin 2011, lors d’une réunion des premières dames à l’ONU consacrée au virus du sida, elle prend la parole… en anglais, se moquant avec humour de ses propres lacunes dans la langue de Shakespeare. « Les gens se braquent dès qu’il s’agit de drogue, de prostitution ou d’orientation sexuelle. Mais je crois que, quand on parle de maladie, de vies humaines, la religion n’est pas un obstacle mais peut être, au contraire, d’une grande aide », affirme-t-elle. À l’Unesco, elle appelle à combattre « les démons du choc des civilisations » et à lutter, par l’éducation, « contre l’ignorance, l’ostracisme, le fanatisme et le terrorisme ». Elle fait aussi passer des messages de manière plus subtile. En janvier 2013, on l’aperçoit avec ses deux enfants à Marrakech, sur la place Jemaa el-Fna, à l’endroit même où a eu lieu un attentat terroriste en 2011. Comme n’importe quelle famille marocaine, sans gardes du corps à proximité, ils se sont promenés au milieu des conteurs et des charmeurs de serpents, avant de s’asseoir à une terrasse pour déguster des escargots, plat populaire s’il en est.
Investie de la confiance du roi, elle le représente de plus en plus souvent, au Maroc et à l’étranger. Elle préside des festivals ou des dîners officiels, rencontre des dirigeants du monde entier, de l’empereur du Japon au roi de Thaïlande en passant par la présidente de l’Argentine. Elle reçoit à titre privé, à la résidence royale, le couple Sarkozy ou encore le prince Charles et son épouse Camilla. Elle relaie l’action de son mari en direction des « pays frères » d’Afrique en organisant régulièrement des réunions avec les premières dames africaines ou en annonçant, en juin, la distribution de médicaments pour les enfants cancéreux au Gabon, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Mali. Pour assumer ce rôle diplomatique, elle a fait un stage en étiquette en Angleterre et en Allemagne, et a perfectionné son anglais et son espagnol. Mohammed VI s’est également beaucoup investi auprès d’elle. Dans une interview accordée à Paris Match en 2003, il lui rendait d’ailleurs un « vibrant hommage » et reconnaissait qu’il lui « donnait beaucoup de travail ». À l’époque, on raconte que le monarque choisissait lui-même ses robes pour chaque sortie officielle.
Le roi et la princesse avec leurs deux enfants, Moulay Hassan, qui fête ici
son septième anniversaire, et Lalla Khadija, le 8 mai 2010, à rabat. © Niv/Sipa
Sa vie quotidienne reste un mystère
Son look, justement, est loin d’être un détail. En onze ans, la princesse a su trouver son style, là encore entre modernité et respect des traditions. Elle a adopté un maquillage plus léger et une coiffure qui met en valeur son abondante chevelure rousse. Elle s’habille chez les plus grands couturiers parisiens, porte avec autant d’aisance des robes ajustées qui dévoilent ses mollets que des caftans traditionnels de 1 m 90 de long, comme c’est d’usage pour les femmes de son rang. Au mariage du grand-duc de Luxembourg ou à celui du prince William et de Kate Middleton, la presse n’a pas manqué de saluer ses choix vestimentaires. À Londres, elle a d’ailleurs été élue par les lecteurs du magazine Hello comme « l’invitée la plus élégante du mariage princier » ! Cette « diplomatie du caftan » lui vaut nombre d’éloges. « C’est une princesse d’autant plus élégante qu’elle est humble et discrète. Au niveau international, elle jouit d’une notoriété moyenne, comparativement, par exemple, à celle de la reine Rania de Jordanie ou de Cheikha Moza du Qatar, qui se sont plus souvent mises en scène », constate Catherine Tabouis, responsable du service personnalités à Paris Match.
Car Lalla Salma n’est pas une people comme les autres. S’il lui arrive d’être la cible des paparazzis, notamment lors de déplacements à l’étranger, sa vie quotidienne reste un mystère pour le grand public et les interlocuteurs se montrent peu loquaces quand on les questionne. Sans doute n’ont-ils pas oublié la réaction outrée du protocole royal, lorsque l’hebdomadaire Al Jarida Al Oukhra avait publié, en 2005, des révélations jugées trop intimes sur la princesse, racontant notamment que son plat préféré était le tajine de carottes et qu’elle aimait marcher pieds nus dans les palais. Reste que le journal a doublé ses ventes, comme, quelques années plus tard, la version arabophone de Femmes du Maroc, qui avait pu photographier la famille royale à l’intérieur du palais de Rabat, à l’occasion du premier anniversaire de Lalla Khadija.
Incognito
Lorsqu’elle ne s’occupe pas de ses enfants ou de son association, Lalla Salma donne libre cours à son goût pour les voyages, qu’elle partage avec son mari. Elle se déplace la plupart du temps en famille, avec ses enfants ou avec des cousines. Elle a visité à titre privé l’Irlande, la Chine, l’Égypte, et serait une amoureuse de la Grèce, où elle a passé ses vacances d’été à au moins deux reprises. D’un naturel très indépendant, elle est connue pour semer ses gardes du corps afin de profiter d’une promenade incognito dans les rues de Manhattan ou bien d’Assouan. La journaliste Hanane Bakour du journal Akhbar Al Youm a rencontré à Assouan le guide qui a fait visiter l’Égypte à la princesse. Il lui a confié : « C’est une femme très modeste, dynamique, curieuse de tout, qui a discuté avec nous du Maroc et du Maghreb. Mais c’est avant tout une mère et une épouse. Durant tout le voyage, elle n’a pas cessé de téléphoner pour prendre des nouvelles de son fils et de son mari. » Lalla Salma, une femme comme les autres et une princesse à part.
Rania, le contre-modèle
Si Lalla Salma se défend si ardemment d’être une reine, c’est aussi sans doute pour marquer sa différence avec une autre première dame arabe, la reine Rania de Jordanie. Épouse d’Abdallah II, Rania la Palestinienne n’a cessé d’occuper la scène médiatique internationale depuis l’arrivée de son mari sur le trône, en 1999. Sorte de Lady Di orientale, admirée pour son élégance autant que pour son intelligence, elle s’est engagée dans la lutte contre l’illettrisme, pour la cause des femmes ou encore en faveur d’un dialogue Orient-Occident. Là où Lalla Salma cultive la discrétion, Rania, elle, est devenue une véritable people, s’affichant au côté de Bill Clinton ou du chanteur Bono. Elle a créé sur YouTube une chaîne de télévision à son nom, a sorti un livre pour enfants et a fait la une de dizaines de magazines. Mais l’hypermédiatisation a son revers, comme Rania l’a appris à ses dépens. Printemps arabe oblige, elle est à la fois la cible des islamistes, qui la trouvent trop libérée, et des contestataires, qui lui reprochent ses tenues griffées et son mode de vie clinquant.
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