Éloge de la crépitude
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 23 août 2013 Lecture : 2 minutes.
Il n’y a rien de pire que le fait de ne pas s’aimer soi-même. De ne pas s’accepter tel qu’on est. J’imagine bien toute la détresse de ceux qui auraient aimé être autre chose que ce qu’ils sont. Je ne parle pas de caractère, mais d’apparence physique. Je ne pense pas à la taille, mais à la couleur de l’épiderme, à la texture des cheveux. Dans nos pays, beaucoup de gens – une minorité, heureusement ! – ne sont pas heureux d’avoir une peau noire. Si cela ne dépendait que d’eux, ils se couleraient bien dans un bain d’où ils ressortiraient à jamais débarrassés de toute trace de négritude. En attendant le jour où cette métamorphose sera possible, ils se contentent de moyens du bord pour atteindre leur idéal en matière de beauté : "le teint clair".
Que font-ils pour passer de la peau noire aux masques blancs, comme dirait Frantz Fanon ? Chaque jour, ils décapent rageusement la peau du visage à grand renfort de cosmétiques le plus souvent cancérigènes afin de devenir "autres". Narcissiques indécrottables, ces gens, hommes et femmes appartenant à tous les milieux, des plus pauvres aux plus riches, se mirent à longueur de journée et apprécient leur métamorphose. Mais si vous regardez de près ce qui les rend "heureux", vous verrez à quel point c’est pathétique. D’unicolores, ils sont passés à bicolores, tricolores, quadricolores ! Que restera-t-il alors de cette peau, ainsi massacrée ?
L’autre phénomène qui m’inquiète est cette guerre sans merci déclarée aux cheveux crépus. Regardez autour de vous. Que voyez-vous sur les têtes des négresses ? Des cheveux dits lisses, qui tombent sur les épaules, descendent jusqu’à la taille. Vous en rencontrez qui secouent la tête pour que leur chevelure danse au passage du vent. Ou qui, recourant à un tic créé de toutes pièces, remettent à l’endroit tout épi rebelle. Vous en conviendrez avec moi, ce n’est pas du tout naturel. Où sont donc passés les cheveux crépus ? Nos dames et nos demoiselles les ont cachés sous des mèches, des tissages, des perruques. La plupart de ces produits sont artificiels. Les cheveux lisses viennent du Brésil ou d’Inde, pays où des volontaires les vendent à des commerçants qui les exportent ensuite. Évidemment, ce n’est pas à la portée de toutes les bourses. Mais parce que c’est la mode… Le plus déroutant, c’est d’observer sur les têtes de négresses des mèches ou des perruques blondes, rousses ou rouges ! Certaines me diront que cela ne me regarde pas. Je suis d’accord. Mais lorsque mes yeux voient quelque chose qui m’horripile, je me sens concerné. À mon humble avis, c’est moche.
>> Lire aussi : Parce que mes cheveux les valent bien
La curiosité et la déception m’ont souvent poussé à demander aux dames pourquoi elles n’assument plus leurs cheveux crépus. La réponse reste la même : "Vous savez, quand on doit se lever le matin pour aller travailler, peigner des cheveux crépus n’est pas un exercice facile. Les tissages ou les mèches, c’est plus pratique." J’ai toujours dit : "Et pourquoi nous y arrivons, nous les hommes ?" Réponse : "Vous, ce n’est pas pareil !" Imaginez ma perplexité. Tout compte fait, j’ai compris qu’il n’est pas facile de se libérer d’une autoaliénation. Pauvres cheveux crépus !
>> Lire aussi : Mode : crépues, et alors ?
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