Nicolas Tiangaye : « On sauvera la Centrafrique comme on a sauvé le Mali »

Insécurité, violations des droits de l’homme, incapacité à contrôler l’ensemble du territoire : de passage à Paris, le Premier ministre reconnaît que la tâche est « immense ». Mais il se veut optimiste.

Nicolas Tiangaye au siège de Jeune Afrique, à Paris, le 14 août. © Youri Lenquette pour J.A.

Nicolas Tiangaye au siège de Jeune Afrique, à Paris, le 14 août. © Youri Lenquette pour J.A.

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Publié le 27 août 2013 Lecture : 6 minutes.

S’attendait-il à ce que la tâche qui lui a été confiée soit si difficile ? Propulsé à la tête du gouvernement centrafricain en janvier, deux mois avant la chute de François Bozizé, Nicolas Tiangaye assure que oui, mais promène un regard fatigué sur ses interlocuteurs. Il rechigne à parler de chaos, persuadé que cela ne ferait qu’envenimer la situation, mais concède qu’il n’y a qu’à Bangui que des progrès ont été faits, tandis que le reste du pays échappe encore à tout contrôle. À l’âge de 56 ans, l’ancien président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH) dit ne rien regretter. L’optimisme, martèle-t-il, est un devoir. Si lui, le chef du gouvernement, perd la foi, qui d’autre croira en la possibilité d’un avenir meilleur pour la Centrafrique ?

Jeune Afrique : Mi-août, dans J.A., l’ancien président François Bozizé a promis que "tôt ou tard" il reviendrait en Centrafrique. Cela vous inquiète-t-il ?

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Nicolas Tiangaye : Non. Je comprends qu’il digère mal la perte du pouvoir, mais je ne pense pas qu’il ait le soutien du peuple centrafricain, et encore moins celui de la communauté internationale, pour retrouver son ancienne place. Notre pays n’a pas besoin de vivre un remake de Bozizé.

Il ne représente donc pas une menace ?

Il peut avoir une capacité de nuisance et il a, bien sûr, conservé des partisans. Mais peuvent-ils changer la donne ? Je ne le crois pas. En dépit de tous les moyens qui étaient à sa disposition, Bozizé n’a pas réussi à se maintenir au pouvoir. Ce n’est pas maintenant qu’il est en position de faiblesse qu’il parviendra à le reconquérir.

L’ancien président dit aussi que c’est "l’excès de dialogue" qui l’a perdu. Qu’en pensez-vous ?

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Il n’est pas un homme de dialogue, ce n’est pas vrai. C’est un autiste qui n’a pas écouté les conseils des autres chefs d’État. Il n’écoutait que le langage des armes et ce n’est que lorsque la coalition Séléka est passée à l’offensive qu’il a été contraint d’aller aux négociations de Libreville. Il porte la responsabilité de ce qui est arrivé.

Sa présence en France vous pose-t-elle un problème ?

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Elle est insolite, d’autant que le Bénin avait proposé de l’accueillir. Je ne comprends pas pourquoi il est ici.


Nicolas Tiangaye : "Je doute que François… par Jeuneafriquetv

Voilà sept mois que vous êtes Premier ministre. Vous attendiez-vous à ce que la tâche soit aussi difficile ?

C’est vrai que nous sommes confrontés à d’énormes difficultés et que notre tâche est immense, tant sur le plan sécuritaire qu’humanitaire et financier. Toutefois, il y a eu, ces derniers mois, des progrès à Bangui et la situation dans le reste du pays finira, elle aussi, par s’améliorer, même si cela doit prendre plusieurs mois.

Ne faites-vous pas preuve d’un excès d’optimisme ? Selon les Nations unies, la population vit dans un "climat permanent de peur".

Mais nous devons nous armer d’optimisme ! Regardez ce qui s’est passé au Mali. Qui pouvait croire que les Maliens allaient finir par organiser des élections crédibles et acceptées par tous ? Nous ne pouvons pas nous résigner. Il n’y a pas de fatalité.

La situation dans le Nord-Est est très préoccupante. Les États-Unis ne redoutent-ils pas l’apparition d’une "zone grise" qui serait favorable à la prolifération des trafics et au terrorisme international ?

C’est une crainte légitime. L’immensité de notre territoire fait qu’il est très difficile d’en contrôler les frontières et que, oui, des bandits peuvent s’infiltrer depuis les pays voisins.

Des jihadistes aussi…

Oui. D’où la nécessité pour la communauté internationale de s’impliquer davantage.

Peut-on parler d’un risque d’islamisation ?

N’allons pas trop vite en besogne. Il y a, c’est vrai, des actes isolés et des attaques contre des lieux de culte chrétiens. Mais c’est d’abord un problème sécuritaire.

Vos relations avec le président Djotodia ont parfois été houleuses. En juin, le secrétaire général de l’ONU vous a appelés à faire taire vos divergences. Quel est le problème ?

J’ai été le premier surpris en lisant le communiqué de Ban Ki-moon. Sur quoi se fonde-t-on pour parler de divergences ? Michel Djotodia et moi avons toujours travaillé ensemble. Il ne se passe pas une semaine sans que nous nous rencontrions.

Cela ne veut pas dire que vous arrivez à vous entendre…

On peut avoir des approches différentes sur certains dossiers, sans pour autant être à couteaux tirés. Nous ne l’avons jamais été.

Que pensez-vous de ses premiers mois à la tête du pays ? Il a du mal à asseoir son autorité…

À sa place, n’importe qui éprouverait les mêmes difficultés. La Séléka est une coalition de mouvements rebelles dont les effectifs sont passés de 5 000 à plus de 20 000 hommes. Il n’est pas évident de la coordonner. Nous sommes dans une situation fragile, qui nécessite du recul et de la sagesse pour ne pas briser le minimum de solidarité qui existe encore et créer l’irréparable.

Début juin, Michel Djotodia concédait qu’il ne parvenait pas à tenir ses hommes. Pour un chef d’État, c’est un aveu d’impuissance terrible.

C’est vrai. Mais doit-il régler le problème seul ? Je ne le pense pas. La situation en Centrafrique a atteint un niveau de complexité tel qu’il nous faut l’appui de la communauté internationale. Nos partenaires conditionnent leur aide à l’amélioration de la situation sécuritaire. Mais on ne peut pas désarmer et cantonner les troupes sans argent ! Il faut créer des casernes qui n’existent pas, nourrir et payer les éléments… C’est le serpent qui se mord la queue.

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni le 14 août. Il étudie la possibilité de sanctions ciblées contre la Séléka…

Face à la persistance des violations des droits de l’homme, des sanctions peuvent se justifier.

L’ONU doit-elle intervenir en Centrafrique, comme elle l’a fait au Mali ?

La Misca [Mission internationale de soutien à la Centrafrique, déployée sous l’égide de l’Union africaine] a déjà remplacé la Micopax [Mission de consolidation de la paix en Centrafrique, mobilisée par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale], et c’est une bonne chose. Il y a eu une augmentation des effectifs et un mandat qui doit permettre de protéger les populations et de désarmer les éléments incontrôlés de la Séléka. Mais si ce n’est pas suffisant, il appartiendra à l’ONU, de concert avec l’Union africaine [UA], de prendre ses responsabilités.

Quand auront lieu les élections prévues par les accords de Libreville ?

L’UA estime qu’elles devraient être organisées au plus tard en septembre 2014. Mais la charte constitutionnelle stipule que la transition, qui doit durer dix-huit mois, commence avec la prestation de serment du chef de l’État, soit le 18 août. Dans ce cas de figure, les élections auront plutôt lieu début 2015. Cette option me paraît la plus réaliste, compte tenu de tout ce qui reste à faire.

Dix-huit mois, n’est-ce pas trop court ?

Nous devons tout faire pour respecter ce délai, mais, si ce n’est pas possible, on avisera. À quoi sert de se précipiter pour organiser des élections si elles entraînent des contestations ?

Les législatives et la présidentielle seront-elles organisées simultanément ?

Il est trop tôt pour le dire.

L’accord de Libreville vous interdit d’être candidat. Respecterez-vous cette clause ?

Oui. Je ne serai candidat ni à la présidentielle, ni aux législatives.

Et Michel Djotodia ?

Il a dit qu’il ne serait pas candidat. Il me l’a assuré en privé. Je peux témoigner de sa sincérité.

Parmi les personnes qui pourraient se présenter à la magistrature suprême figure Martin Ziguélé, candidat malheureux aux présidentielles de 2005 et de 2011. On vous dit très proches…

Mais nous l’étions avant que je sois Premier ministre et nous luttons côte à côte depuis longtemps ! En 2011, nous avions créé le Front pour l’annulation et la reprise des élections. Nous partageons les mêmes valeurs et les mêmes idéaux.

Il y a seize ans, vous aviez refusé le poste de Premier ministre proposé par le président Patassé. Pensez-vous avoir, cette fois, fait le bon choix ?

Oui. À l’époque, j’étais avocat et président de la Ligue centrafricaine des droits de l’homme. J’avais estimé que je pouvais être utile à mon pays sans être Premier ministre. Mais là, je ne pouvais pas fuir mes responsabilités. Il faut sauver ce qui peut encore l’être.

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Propos recueillis par Anne Kappès-Grangé et Vincent Duhem

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