Rwanda : FDLR à bout de souffle

Épuisés par deux décennies de guerre, traqués au fin fond des forêts congolaises, près de 10 000 anciens rebelles des FDLR sont rentrés dans leur pays, le Rwanda, depuis 2001. Reportage.

Des ex-combattants FDLR dansent en attendant le couvre-feu au camp de Mutobo. © Pierre Boisselet

Des ex-combattants FDLR dansent en attendant le couvre-feu au camp de Mutobo. © Pierre Boisselet

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Publié le 8 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

À la vue du dictaphone, Claude s’inquiète. "Est-ce vraiment nécessaire ?" demande-t-il. Ce jeune homme de 19 ans, né en RD Congo de parents rwandais, a pourtant connu des situations autrement plus dangereuses. Pendant plus de un an, il a combattu aux côtés des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), dans le Nord-Kivu. Un jour, il s’est échappé à moto et a trouvé refuge dans un camp de Casques bleus, dans le territoire de Masisi, avant d’être rapatrié. C’était en juin 2013. Il voyait son pays pour la première fois. Trop nouveau, trop frais pour oublier ce que lui avaient appris les FDLR. C’est toujours pareil, raconte Jean Sayinzoga, le président de la Commission de démobilisation et de réintégration à Kigali. "On leur dit que s’ils se rendent, s’ils rentrent au Rwanda, on va leur faire enregistrer une interview avant de les exécuter. Et que cet enregistrement sera diffusé à la radio pour faire croire qu’ils sont vivants."

En cette fraîche soirée, dans le centre de Mutobo, sur les hauteurs de l’Ouest rwandais, 80 ex-rebelles interprètent danses traditionnelles et chants patriotiques en attendant le couvre-feu de 20 heures. Comme presque 10 000 anciens combattants avant eux (des FDLR à plus de 80 %), ils suivent un stage de "réintégration" : deux mois pour ceux qui sont ici de leur plein gré, trois mois pour les autres. Le temps de leur inculquer les valeurs du nouveau Rwanda (bannissement des divisions ethniques, discipline, travail, amour de la patrie…) et quelques conseils de base : comment se servir d’une carte bancaire ou se protéger du sida.

Le récit de ces années d’errance dans le chaos d’un Congo déchiré par les guerres tient, le plus souvent, de l’épopée tragique.

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Dans leur immense majorité, ils ont fui un pays à feu et à sang, en 1994, devant l’avancée des troupes du Front patriotique rwandais (FPR, aujourd’hui au pouvoir). Le récit de ces années d’errance dans le chaos d’un Congo déchiré par les guerres tient, le plus souvent, de l’épopée tragique. Jean-Paul Mbabazi avait 18 ans lorsqu’il a quitté le Rwanda pour se réfugier à Bukavu. C’est là qu’il a été recruté par l’ancienne armée rwandaise en déroute. "C’était en 1995, se souvient-il. On appelait ça la "mobilisation civile". Le but était de reconquérir le pays." Mais pour lui, rien ne se passera comme prévu.

Sponsors étrangers

Soutenus par le FPR, les rebelles de Laurent-Désiré Kabila, qui n’est pas encore président, pénètrent dans l’est du Congo. Jean-Paul Mbabazi s’enfonce dans la forêt, combattant l’armée rwandaise "en cours de route". Tingi-Tingi, Kisangani, Mbandaka… En deux mois, il parcourt plus de 2 000 km à pied, avec des milliers de réfugiés, et finit par gagner Brazzaville. Jusqu’à ce qu’un nouveau rebondissement de la politique régionale le ramène au coeur du conflit : la brouille entre Kinshasa et Kigali.

"En 1998, Kabila nous a demandé de nous battre contre les Rwandais. Nous étions trois brigades [plus de 7 000 hommes]. Après une formation de un mois, certains sont partis dans la Province orientale, d’autres au Kasaï. Moi, j’étais au Katanga aux côtés des Zimbabwéens."

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En 2001 est lancé le programme rwandais de réintégration. Un premier contingent de 1 750 ex-rebelles rentre cette année-là. Mais, dans les forêts de l’est du Congo, les FDLR continuent de croire en la possibilité d’une reprise du pouvoir par les armes. "Nous avions une stratégie pour retourner la population du Rwanda en notre faveur, explique Mbabazi. Et puis nos chefs disaient être en contact avec des sponsors étrangers. Des Blancs. Je n’ai jamais su de qui il s’agissait."

En fait, les FDLR s’affaiblissent, en particulier au cours de l’opération Umoja Wetu, lancée conjointement en 2009 par Kinshasa et Kigali. Les anciens rebelles arrivent alors par centaines à Mutobo. Depuis, le rythme s’est ralenti. Ces trois derniers mois, il a même été au plus bas, la collaboration entre la RD Congo et le Rwanda ayant cessé. Et puis ils ne seraient plus que 1 500 hommes, selon le dernier rapport des experts de l’ONU. "Dans la forêt de Walikale, nous menions une vie misérable, explique Mbabazi. Pour survivre, le seul moyen était de nous "ravitailler" auprès de la population locale."

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À Mutobo, ils sont donc rééduqués. On les forme à un métier, on leur remet un "kit de démarrage" qui leur permettra de débuter leur nouvelle vie professionnelle et 180 000 francs rwandais (200 euros)… Mais les éventuelles poursuites et condamnations pour génocide, suspendues pendant leur séjour au camp, peuvent être réactivées dès leur sortie.

Des ex-FDLR accusés de complicité dans des attentats

Selon Jean Sayinzoga, la réintégration est un succès dans 75 % des cas. Et les autres ? Ce sont ceux qui, parfois traumatisés par les années de guerre, ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins. Une poignée d’entre eux ont même été accusés de complicité dans les attentats à la grenade qui touchent périodiquement le pays depuis 2010.

"Les ex-FDLR sont vulnérables à toutes sortes de pressions et de manipulations, s’inquiète Carina Tertsakian, chercheuse à Human Rights Watch. Certains sont même recrutés par des militaires rwandais qui les renvoient au Congo rejoindre les rebelles du Mouvement du 23-Mars", affirme-t-elle, ce que Kigali dément. D’autres décident d’eux-mêmes de retourner dans le pays voisin. "Parfois, ils y ont encore de la famille, affirme Jean Sayinzoga. Et puis certains n’arrivent pas à se passer de la vie de combattant."

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