Municipales au Gabon : tour de chauffe
Les électeurs sont appelés aux urnes, le 14 décembre au Gabon, pour choisir leurs conseillers municipaux. L’occasion ou jamais, pour l’opposition comme pour la majorité, de confirmer un ancrage local avant la présidentielle de 2016.
Pendant des mois, l’opposition a tergiversé, dénoncé les risques de fraude et menacé de bouder le scrutin. Puis il lui a fallu se faire une raison, sa principale revendication depuis 2006 étant satisfaite : pour la première fois, les Gabonais, qui éliront le 14 décembre leurs conseillers municipaux et départementaux, le feront sur la base d’un fichier biométrique. Les adversaires d’Ali Bongo Ondimba ont donc fait volte-face, fin août, et encouragé leurs compatriotes à s’inscrire sur les listes électorales. Ne pas y aller aurait été une erreur. Les législatives de 2011, boycottées par l’opposition, avaient offert une écrasante victoire au parti présidentiel (114 députés sur 120 à l’Assemblée nationale). Écornant à peine sa crédibilité.
Face au tout-puissant Parti démocratique gabonais (PDG), l’objectif de l’opposition est double : retrouver une légitimité et un ancrage local avant la présidentielle de 2016. La tâche ne sera pas facile. "Nous sommes obligés de nous présenter en indépendants. C’est un handicap. Cela nous rend moins visibles pour nos électeurs, et on n’a droit à aucune aide de l’État", fulmine un cadre de l’Union nationale (UN), principal parti d’opposition. Officiellement dissous depuis 2011, il présentera une quarantaine de listes aux locales de décembre.
L’absence de Mba Obame se fait sentir
Après la présidentielle de 2009, qui a vu Ali Bongo Ondimba succéder à son père, l’UN incarnait une alternative au pouvoir en place. Bien que fondé par d’anciens barons du régime, le parti avait réussi à fédérer le mécontentement des Gabonais qui espéraient du changement après quarante et un ans de règne sans partage.
L’espoir a été de courte durée. L’obstination de son leader, l’ex-ministre de l’Intérieur André Mba Obame, à contester sa défaite à la présidentielle a mené l’UN à sa perte. En s’autoproclamant président début 2011, il s’est attiré les foudres de son adversaire. L’UN a été dissoute. Depuis deux ans, Mba Obame a dû abandonner la politique en raison de problèmes de santé qui l’ont lourdement handicapé. L’absence de ce fort en gueule se fait aujourd’hui cruellement ressentir au parti.
Dans la perspective de 2016, les cofondateurs de l’UN, son président Zacharie Myboto et les ex-Premiers ministres Casimir Oyé Mba et Jean Eyéghé Ndong, espèrent encore obtenir la réhabilitation du parti. Après avoir épuisé les recours devant la justice gabonaise, ils ont tenté de faire du lobbying auprès de la Commission de l’Union africaine, à Addis-Abeba. Mais en attendant un éventuel arbitrage de l’organisation panafricaine, ils sont pieds et poings liés. Le chef de l’État a bétonné le dispositif légal pour neutraliser ses adversaires : une loi de 2011 interdit notamment aux fondateurs d’une formation politique dissoute de former un nouveau parti ou d’exercer des responsabilités dans un parti existant pendant cinq ans. Dans le cas présent, l’interdiction court jusqu’à 2016…
Aucune figure emblématique de l’UPG depuis la mort de son leader
Pour l’UN, si une seule ville devait être conquise lors des municipales, ce serait sans doute Oyem, bastion de l’ethnie fang, son vivier électoral. En 2008, le PDG avait réussi à rafler la mairie, traditionnellement acquise à l’opposition. Cette fois, Vincent Essono Mengue, ex-ministre et ancien maire resté populaire, bénéficie du soutien d’Eyéghé Ndong sous la bannière d’indépendant. Avec des chances sérieuses de l’emporter.
L’autre grand courant de l’opposition, l’Union du peuple gabonais (UPG), de Pierre Mamboundou, ne se porte pas mieux. L’UPG ne s’est toujours pas remise de la mort de son leader, en 2011, et aucune figure n’a émergé depuis. Depuis deux ans, les cadres du parti sont trop occupés à s’entredéchirer sur la question de son héritage… Seul espoir symbolique, à portée de main pour l’UPG : conserver la ville de Ndende (Sud-Ouest), fief historique de Mamboundou, où sa veuve est tête de liste.
Face à la confusion qui règne dans les rangs adverses, le PDG compte bien conforter son hégémonie.
À Port-Gentil, capitale économique du pays et bastion de l’opposition dirigé par une alliance majorité-opposition depuis 2008, il n’y a guère que le Parti pour le développement et la solidarité sociale (PDS), de Séraphin Ndaot, qui puisse faire obstacle au maire sortant, Bernard Aperano (PDG). Mais faute d’avoir su nouer des alliances, les différentes formations d’opposition pourraient bien faire le jeu du parti présidentiel. Car Ndaot affrontera, outre le candidat du PDG, les représentants de l’UPG et ceux de deux listes indépendantes. "Sans stratégie commune de l’opposition, le PDG, très bien organisé dans les provinces, pourrait s’imposer comme arbitre", avertit le politologue gabonais Wilson-André Ndombet, avant d’ajouter, un brin moqueur : "L’opposition est toujours à la recherche d’un messie."
Face à la confusion qui règne dans les rangs adverses, le PDG compte bien conforter son hégémonie. "Nous sommes totalement confiants. Les ingrédients sont réunis pour que nous puissions gagner", affirme le secrétaire général du parti, Faustin Boukoubi. Le PDG a même décidé de faire cavalier seul dans la quasi-totalité des circonscriptions, se passant ainsi des autres partis qui composent la majorité présidentielle.
En réalité, les PDGistes sont davantage préoccupés par les rapports de force internes au parti. Le renouvellement générationnel voulu par le président (et confirmé lors du congrès du PDG en avril) fait grincer des dents chez les caciques du régime. "Les élections locales sont l’occasion d’écarter la vieille garde pour mettre en avant les jeunes cadres du parti", explique le sociologue gabonais Anaclet Bissielou.
En ce sens, la récente éviction du maire sortant de Libreville, Jean-François Ntoutoume Emane, figure de la vie politique gabonaise depuis près de trente ans, a fait l’effet d’une bombe. Personne ne s’attendait à voir partir cet ancien Premier ministre de 74 ans qui fut l’un des principaux idéologues du régime d’Omar Bongo Ondimba. "Jacky mille diplômes", comme le surnommaient les Gabonais, n’a pas obtenu l’investiture pour diriger la liste du 5e arrondissement de Libreville (son fief traditionnel).
>> Lire aussi : veillée d’armes pour la mairie de Libreville
Se sentant visés, de nombreux caciques autrefois indéboulonnables tentent de s’accrocher à des postes électifs. "Les tensions ont toujours régné dans notre pays à l’approche des élections, de surcroît quand il s’agit de scrutin de listes où chacun a des ambitions. Mais elles finissent toujours par retomber car les uns et les autres respectent la discipline du parti", minimise Faustin Boukoubi. Anaclet Bissielou livre une autre analyse : "Tout ce beau monde ne se bat pas pour les conseils municipaux et départementaux : tous lorgnent en fait le Sénat, dont les représentants seront élus dans la foulée des municipales. C’est une question de vie ou de mort politique. Sans cela, il n’y aura pas de placard doré pour les accueillir comme au temps d’Omar Bongo."
À Libreville, c’est l’un des favoris … Début décembre, il était l’un des candidats ouvertement déclarés
à la mairie de Libreville. À 67 ans, Jean Eyéghé Ndong, Premier ministre sous Omar Bongo Ondimba,
a rejoint les adversaires du chef de l’État. Mais pourrait quand même avoir reçu son aval… Un joli coup, si
l’information était confirmée, et qui fragiliserait plus encore l’opposition. © Wils Yanick Maniengui/AFP
Des dessous de candidature flous
Parmi eux, la puissante Laure Olga Gondjout, actuelle secrétaire générale de la présidence, qui atteindra l’âge du départ à la retraite (59 ans) en décembre. Elle se présente comme tête de liste dans le 3e arrondissement de Libreville et pourrait briguer la mairie de Libreville, voire la présidence du Sénat. D’autres figures PDGistes, comme l’ancien Premier ministre Paul Biyoghé Mba, actuel président du Conseil économique et social, pourraient partager des ambitions similaires. Mais prendront-ils le risque d’échouer et de se retrouver en position de faiblesse face à la jeune garde de l’entourage présidentiel ?
>> Lire aussi Mairie de Libreville : face à Eyéghé Ndong, qui ?
Reste une grande inconnue : la bataille de Libreville. Eyéghé Ndong (indépendant, ex-UN), tête de liste dans le 2e arrondissement, est l’un des rares candidats déclarés à la mairie. La presse gabonaise présente déjà le dernier Premier ministre d’Omar Bongo Ondimba comme le favori. Il pourrait affronter des figures du PDG, comme Laure Olga Gondjout (3e arrondissement) ou Alexandre Barro Chambrier (2e arrondissement). Mais les dessous de sa candidature restent flous. La présidence a indiqué qu’une rencontre avait eu lieu entre le chef de l’État et l’opposant la veille de son annonce. "Ma déclaration de candidature n’a aucun rapport avec le fait que j’aie ou non rencontré le président", proteste Eyéghé Ndong, balayant les soupçons pesant sur l’existence d’un "deal" avec le pouvoir afin de s’assurer un poste confortable. Eyéghé Ndong, maire de Libreville ? "Pourquoi pas, estime le politologue Wilson-André Ndombet. Pour le PDG, le faire revenir dans le giron du pouvoir serait une manière de fragiliser davantage l’opposition."
La biométrie ? Une grande première
La mise en place de la biométrie est une première au Gabon. Pour inscrire l’ensemble du corps électoral gabonais sur un fichier recensant photos et empreintes digitales en août et septembre, l’État a fait appel à l’opérateur Gemalto : près de 580 000 électeurs ont été officiellement enregistrés, sur une population estimée à 1,5 million de personnes. Un chiffre "bien au-delà des prévisions", s’est félicité le ministre de l’Intérieur, Jean-François Ndongou, tout en reconnaissant que le processus avait connu un "démarrage laborieux".
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