Au Maroc, l’armée de la paix recrute des imams maliens
Pour contrecarrer l’influence grandissante de l’islam venu d’Arabie saoudite au Mali, le Maroc s’est engagé à former cinq cents imams.
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Le visage d’Alpha Ibrahim Cissé s’illumine lorsqu’il raconte avoir dirigé la prière pendant le ramadan, à Tombouctou. Le jeune homme de 20 ans à la voix melliflue marche sur les traces spirituelles de son père, le grand imam de la Cité des 333 saints. S’il évoque les ravages causés par les islamistes qui avaient pris le contrôle de la ville il y a un an et demi, faisant régner la terreur et piétinant l’islam de paix qui y règne depuis des siècles, il ne s’y attarde pas.
Alpha Ibrahim Cissé est l’un des cent imams choisis par les autorités maliennes pour suivre un programme d’enseignement de deux ans offert par Mohammed VI. Le roi du Maroc a en effet accédé à la demande de Bamako, formulée lors de l’investiture du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 19 septembre. Cinq cents imams seront formés au cours des six prochaines années aux frais du royaume, soucieux de valoriser les liens spirituels étroits entretenus avec les confréries subsahariennes, notamment la Tidjaniya et la Qadiriya.
À peine l’annonce rendue publique, plus de quatre cents dossiers de candidature étaient envoyés des quatre coins du Mali. "Tous ont moins de 45 ans, une tranche d’âge qui permet d’apprendre et de transmettre", souligne l’imam marocain Abdellatif Begdouri, présent à Bamako pour les entretiens. Ce membre du Conseil des oulémas de Rabat fait office de chef de cabinet d’Ahmed Toufiq, le ministre marocain des Affaires islamiques. C’est lui qui a pensé ce programme et qui orchestre sa réalisation. "Faire rayonner l’islam en Afrique depuis le Maroc est une expérience capitale. La majorité des populations du Mali est musulmane sunnite, de rite malékite, tidjane ou soufi. Comme nous !" explique-t-il. D’ailleurs, le père d’Alpha Ibrahim Cissé est déjà venu se recueillir à Fès sur le saint tombeau de Cheikh Ahmed Tidjane Chérif, le fondateur du courant tidjane le plus répandu en Afrique. Le Maroc a su entretenir une relation étroite avec le Mali, notamment grâce aux soufis, dont les disciples, de part et d’autre du Sahara, diffusent un islam de tolérance.
À Bamako, en marge de l’investiture d’IBK, le roi marocain avait longuement reçu les représentants de ces confréries. Dans un Maghreb désuni et déstabilisé au lendemain des révolutions, le Maroc incarne une certaine stabilité politique et religieuse aux yeux de l’Afrique subsaharienne. Le ministère marocain de l’Éducation mettra à disposition des étudiants un lycée-dortoir dans le quartier huppé de Hay Riad. En attendant, à Rabat, les imams maliens logent dans l’hôtel Helnan-Chellah et rejoignent chaque matin la grande salle de conférences aux murs couverts de mosaïques du Conseil des oulémas. Parmi les cent vingt-six heures de cours dispensées en deux ans, outre l’étude du texte sacré et des fondamentaux dogmatiques, sont prévues des sessions portant sur l’histoire, la géographie et les institutions du Mali, conduites en arabe et dans les langues nationales du pays.
Le leader religieux malien Thierno Hady Thiam milite pour un "islam de lumière" © Joan Tilouine
Ce jour-là, le leader religieux malien Thierno Hady Thiam a fait le déplacement afin de rassurer les étudiants, la majorité n’ayant jamais encore quitté le Mali. Ce cacique tidjane précise pourquoi certains élèves ont été choisis : "Les fils du grand imam de Tombouctou, de Djenné, de San et d’autres grandes familles sont là. Ils pourront user de leur influence pour transmettre un islam de lumière, remporter la guerre de l’esprit face au wahhabisme, et apporter la paix dans le nord du Mali."
"La sécurité cultuelle dans le Sahel est une priorité. Beaucoup la sous-estiment, mais le Maroc prend cette question très au sérieux", confie Salaheddine Mezouar, le ministre marocain des Affaires étrangères. Et d’autres États de la région ont déjà sollicité le Maroc. Pour Zahabi Ould Sidi Mohamed, son homologue malien, cette formation s’inscrit dans le cadre de la "lutte contre le terrorisme". Ces cent premiers imams maliens seront, à leur manière, des combattants de la paix.
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Joan Tilouine, envoyé spécial à Rabat
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