Faisons bloc, du Cameroun au Kenya
Marafa Hamidou Yaya est l’ancien ministre d’État camerounais chargé de l’Administration territoriale.
Personne ne devrait s’illusionner sur les limites de l’opération Sangaris en République centrafricaine. Elle atténuera peut-être les effets humanitaires de cette crise, mais sans s’attaquer à ses racines. Le développement économique et l’intégration régionale sont les clés de la stabilisation durable de ce pays et, plus généralement, de la région centrale de l’Afrique qui, du Cameroun au Kenya, subit les "externalités négatives" du terrorisme islamiste venu du Nord.
Bien que le taux de croissance annuel moyen de 5 % dont bénéficie l’Afrique centrale depuis 2000 représente une performance appréciable, il reste un indicateur trompeur. Tirée par la démographie et le cours des matières premières, et dès lors peu inclusive, cette croissance échoue à créer des emplois, en particulier pour les 200 millions d’Africains âgés de 15 à 24 ans, qui sont les premiers exposés à la tentation extrémiste.
L’avenir de l’Afrique centrale réside, selon moi, dans la consolidation d’un bloc Ouest-Est reliant le Cameroun au Kenya en passant par la République centrafricaine et le Soudan du Sud. Cette Afrique centrale des deux océans (AC2O) s’appuierait sur des infrastructures de transport interconnectées, une convergence économique et une coopération étroite en matière de sécurité.
Quel horizon de développement cette vision ouvre-t-elle ? Tout d’abord, l’AC2O offrirait aux quatre pays qui la composeraient un atout considérable, dont l’Afrique du Sud est aujourd’hui seule à bénéficier sur le continent et qui explique en grande partie sa success-story : une double façade sur l’océan Atlantique et l’océan Indien. Elle occuperait une position stratégique de corridor sur l’axe Amériques-Afrique-Asie qui relie les nouveaux pôles de l’économie mondiale. Cette intégration dans les échanges internationaux permettrait aux États enclavés, la République centrafricaine et le Soudan du Sud, de mieux valoriser leurs matières premières. Le Cameroun et le Kenya tireraient quant à eux parti de leur position côtière pour favoriser l’exportation de produits manufacturés et la diversification dans les services.
Les efforts à accomplir, bien sûr considérables, s’appuieront sur des bases solides. La carence de la région en infrastructures est très importante, mais l’AC2O compte déjà, avec Mombasa et Douala-Kribi, deux des quatre plus grands ports d’Afrique centrale. Autre amorce solide, le Kenya s’est lancé avec sa Vision 2030 dans un programme ambitieux de développement routier et ferroviaire intégré.
Quant au rapprochement politique qui devra sous-tendre le projet dans son ensemble, il pourra s’appuyer sur les liens privilégiés entre le Cameroun et la République centrafricaine, d’une part, et le Kenya et le Soudan du Sud, d’autre part. Il trouvera aussi une dimension humaine dans l’expérience commune de peuples partageant latitude, paysages, climat, histoire et culture.
Comment ce projet contribuerait-il à la stabilisation de la région ? Sur le plan de la sécurité, l’AC2O est géographiquement dans la meilleure position pour constituer à la fois un axe d’endiguement de la menace terroriste et un modèle de cohabitation. En effet, elle forme une frontière entre les pays à majorité musulmane, au nord, et ceux à dominance chrétienne, au sud. Or c’est cette frontière qu’assaillent des groupes armés comme la Séléka, les Djandjawid, Boko Haram et les Shebab.
Aujourd’hui, le risque de contagion de la crise centrafricaine aux pays voisins est réel. Et ceux qui, pour mobiliser l’opinion et les décideurs occidentaux, résument ce conflit à un "génocide religieux" ne font qu’accentuer et légitimer les violences, offrant de surcroît aux belligérants le moyen de s’assurer dans les pays limitrophes ou plus lointains des soutiens occultes à leur cause.
Portes d’entrée sur le continent, le Kenya et le Cameroun ont une longue tradition de mixité culturelle, ethnique et religieuse. L’AC2O sera pour eux le moyen d’apporter une réponse africaine crédible aux défis sécuritaires et économiques de leur région.
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