Génocide rwandais : le capitaine Pascal Simbikangwa devant la cour d’assises de Paris
Accusé de complicité dans le génocide de 1994, Pascal Simbikangwa comparaît à partir du 4 février devant la cour d’assises de Paris. Après vingt ans d’immobilisme, ce procès a valeur de symbole.
"Enfin !" Pour Me Patrick Baudouin, président d’honneur de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), la comparution devant la cour d’assises de Paris, à partir du 4 février, du capitaine rwandais Pascal Simbikangwa pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité est "un procès emblématique" qui marque la fin d’une anomalie prolongée.
"Pendant près de dix-huit ans, les autorités françaises ont fait montre d’une totale absence de volonté, s’abstenant de donner à la justice les moyens de juger les Rwandais accusés de génocide arrêtés sur son sol", constate l’avocat – quand le premier procès dans la Belgique voisine date de 2001. Il faut dire qu’à Paris la campagne d’extermination des Tutsis du Rwanda menée entre avril et juillet 1994 a toujours été un sujet sensible, du fait des collusions contre-nature entre les autorités françaises de l’époque et les dignitaires rwandais l’ayant planifiée et coordonnée.
Cette léthargie judiciaire a débuté en mars 1996, huit mois après la mise en examen, dans le sud de la France, de l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, qui officiait pendant le génocide à l’Église de la Sainte-Famille, à Kigali. La cour d’appel de Nîmes a alors estimé que la justice française était incompétente pour juger un étranger soupçonné d’être impliqué dans un génocide commis hors de ses frontières et dont les victimes, elles aussi, étaient étrangères. Trois années et une décision de la Cour de cassation ordonnant la reprise des poursuites seront nécessaires pour remettre ce dossier sur les rails. En septembre 2004, celui-ci a d’ailleurs valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé qu’"on ne saurait considérer comme "raisonnable" une durée globale de presque neuf ans pour une information pénale au demeurant toujours en cours". Une décennie plus tard, pourtant, le cas Munyeshyaka est toujours à l’instruction. En juillet 2013, un document interne émanant du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) – qui a délégué le jugement du prêtre à la France – indiquait que "l’information judiciaire dans cette affaire pourrait être clôturée à la fin de l’année 2014".
Le premier aboutissement concret du combat face à l’inertie judiciaire
Il est vrai que la rupture des relations diplomatiques entre Kigali et Paris, de novembre 2006 à novembre 2009, n’a pas été de nature à accélérer les procédures. Pendant ces trois années, aucun magistrat français n’a pu se rendre au pays des Mille Collines pour y effectuer des investigations. Sous l’impulsion de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, la normalisation diplomatique a précédé la reprise de la coopération judiciaire entre les deux États. Et en janvier 2012, la création, au sein du tribunal de grande instance de Paris, d’un pôle spécialisé en matière de génocides, crimes contre l’humanité et crimes de guerre a permis d’accélérer la cadence.
Pour Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), le procès Simbikangwa marque le premier aboutissement concret d’un long combat face à l’inertie judiciaire. Avec son épouse Dafroza, qui a perdu une grande partie de sa famille dans le génocide, il oeuvre depuis 2001 pour faire traduire devant les tribunaux français les auteurs et complices de ce crime de masse ayant trouvé refuge dans l’Hexagone. C’est en partie grâce au couple que Pascal Simbikangwa (aujourd’hui âgé de 54 ans) a été identifié à Mayotte, où il vivait sous une fausse identité.
>> Lire aussi : chasseurs de génocidaires
Pascal Simbikangwa orchestrait un trafic de faux papiers
À l’époque, cet ancien officier du Service central de renseignements rwandais, paraplégique depuis un accident de la circulation en 1986, orchestrait un juteux trafic de faux papiers – qui lui vaudra une condamnation à quatre ans de prison. Interpellé une première fois en 2006, il avait été relâché faute de preuves. En 2008, il était à nouveau appréhendé. Cette fois, les autorités locales allaient faire le lien entre Safari Senyamuhara – son nom d’emprunt – et celui que les Rwandais avaient surnommé Le Tortionnaire. Il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt d’Interpol pour avoir été, selon Kigali ainsi que divers témoins et chercheurs, le leader des escadrons de la mort qui, entre 1990 et 1994, ont ouvert la voie au génocide, avant de prendre part personnellement à la campagne d’extermination – autant d’accusations que Simbikangwa conteste. Confiée au tribunal de grande instance de Paris, l’enquête a bénéficié des investigations déjà menées par les enquêteurs du TPIR, qui s’intéressaient à son cas, et par la justice rwandaise, qui a rédigé en mars 2008 un acte d’accusation pour génocide et crimes contre l’humanité.
Sa comparution devant une cour d’assises apparaît comme une victoire pour les cinq associations parties civiles, la FIDH, le CPCR, la Ligue des droits de l’homme française, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et Survie. Pourtant, Alain Gauthier n’oublie pas que l’enjeu de ce procès, qui survient à la veille de la vingtième commémoration du génocide, est de "convaincre des jurés français que Pascal Simbikangwa est bien coupable des faits qu’on lui reproche" : avoir prodigué armes et encouragements à des miliciens et militaires tenant des barrages où les Tutsis étaient filtrés avant d’être tués.
Dafroza et Alain Gauthier luttent contre l’impunité. Leur association s’est portée partie civile. © Vincent Fournier/J.A.
À quoi Pascal Simbikangwa a-t-il occupé son temps pendant le génocide ?
Conformément aux réquisitions du parquet, les magistrats Emmanuelle Ducos et David de Pas ont abandonné une partie des accusations initialement formulées contre Simbikangwa – déboutant ainsi la seule Rwandaise partie civile, Consilde Umulinga -, les unes pour prescription, d’autres en raison de charges estimées insuffisantes ou du fait de contradictions entre témoins. "J’ai beaucoup hésité à faire appel de cette ordonnance, témoigne Alain Gauthier. Mais il était délicat de retarder la procédure de plusieurs mois."
Devant la cour d’assises, les avocats de Pascal Simbikangwa s’efforceront quant à eux de convaincre les jurés que l’ancien capitaine, soupçonné d’avoir accompli les basses oeuvres du petit groupe d’extrémistes hutus qui entourait le président Juvénal Habyarimana, "ne faisait pas partie de l’appareil d’État et n’a jamais été affilié à aucun parti", comme le résume Fabrice Epstein, l’un de ses défenseurs. "Cette image de membre des escadrons de la mort lui colle à la peau, mais les accusations portées contre lui sont contestables", ajoute l’avocat. À quoi, alors, Pascal Simbikangwa a-t-il occupé son temps pendant les cent jours qu’a duré le génocide ? "Il est resté chez lui à écrire, rétorque Me Epstein. C’est un homme qui écrit beaucoup."
Place aux experts
La création, en janvier 2012, au sein du tribunal de grande instance de Paris d’un pôle spécialisé en matière de crimes contre l’humanité, génocides et crimes de guerre représente une avancée unanimement saluée par les associations. Désormais, trois magistrats instructeurs et deux représentants du parquet oeuvrent à temps plein sur ces dossiers. En mars 2013, selon Christiane Taubira, ministre française de la Justice, l’équipe était chargée de 33 procédures d’instruction – dont 27 concernant le génocide rwandais – et neuf enquêtes préliminaires. "J’ai le sentiment qu’ils font leur travail en toute indépendance", témoigne Alain Gauthier, du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). "Il faut rester prudents, attendons les résultats", tempère Me Patrick Baudouin, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), pour qui l’efficacité du pôle se confirmera lorsque d’autres Rwandais succéderont à Pascal Simbikangwa devant une cour d’assises.
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