Chine : corruption et cocotiers

Patrons de grands groupes publics ou privés, rejetons de responsables politiques de premier plan… Ils sont 22 000 Chinois à posséder un ou plusieurs comptes dans un paradis fiscal. Leurs destinations préférées : Hong Kong et les îles Vierges britanniques.

L’avocat du militant anticorruption Xu Zhiyong a été arrêté le 26 janvier. © Reuters

L’avocat du militant anticorruption Xu Zhiyong a été arrêté le 26 janvier. © Reuters

Publié le 4 février 2014 Lecture : 6 minutes.

La Chine est à peine entrée dans l’année du cheval que les problèmes déferlent… au galop. Le beau-frère de Xi Jinping, l’actuel président, et le gendre de Wen Jiabao, l’ancien Premier ministre, figurent dans la légion d’exilés fiscaux chinois dont les noms viennent d’être révélés par le Consortium international du journalisme d’investigation (ICIJ). Le scandale est d’autant plus retentissant que les deux hommes faisaient figure de hérauts de la lutte anticorruption. Et qu’ils ne semblent pas très pressés de balayer devant leur propre porte. Reste que cette gigantesque fuite de capitaux est très loin de ne concerner qu’une poignée de princes rouges : quelque 22 000 Chinois du continent ou de Hong Kong possèdent un ou plusieurs comptes dans un paradis fiscal.

Quarante pour cent des entreprises enregistrées dans les îles Vierges britanniques, archipel de la mer des Caraïbes bien connu pour l’opacité de son système bancaire, sont en effet asiatiques et, en premier lieu, chinoises. Le fait qu’elles possèdent un compte offshore ne signifie pas forcément qu’elles s’adonnent à des activités illicites, mais comment croire que, dans un pays qui s’efforce de contrôler étroitement les mouvements de capitaux, l’existence de ces ramifications exotiques ait pu échapper à tout contrôle, fiscal ou autre ?

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Symboles du mariage fécond entre capitalisme et communisme, Sinopec, PetroChina et Cnooc, les trois plus importants groupes pétroliers publics, sont cités dans le rapport de l’ICIJ. Ce qui jette une ombre de suspicion sur l’ensemble du système économique chinois. D’autant que, ces derniers mois, plusieurs responsables de PetroChina ont été placés en détention pour corruption. Membre très influent du comité central du Parti communiste chinois (PCC) – il avait la haute main sur les services secrets -, Zhou Yongkang a également été débarqué. C’était un proche de Bo Xilai, l’étoile montante du PCC exclu du comité central en mars 2012 en raison de son implication dans diverses affaires financières et criminelles. Apparemment, sa disgrâce est autant politique que le fruit de sa voracité : lui et plusieurs de ses proches (à commencer par son fils) étaient à la tête de sociétés offshore travaillant pour le secteur pétrolier, le tout-puissant "lobby" de l’or noir.

Cliquez sur l’image pour l’agrandir. Source : icij.org.

Coffre-Fort

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Ces fuites via internet d’innombrables informations concernant les comptes ouverts par des Chinois dans divers paradis fiscaux ont été baptisées ChinaLeaks (par allusion au WikiLeaks du cyberactiviste australien Julian Assange). Elles montrent bien l’itinéraire suivi par les capitaux. Au départ, on trouve toujours une entité hong-kongaise. L’ex-colonie britannique a en effet l’économie la plus libérale au monde. C’est aussi un paradis fiscal très pratique, à un jet de pierre de la Chine communiste, et le coffre-fort des plus grandes fortunes de la région. Selon le Boston Consulting Group, Hong Kong et Singapour (l’autre paradis fiscal asiatique) seraient conjointement les dépositaires de 1 000 milliards de dollars (731 milliards d’euros) de fonds étrangers. D’ici à quinze ans, les deux villes pourraient détrôner la Suisse en tant que numéro un des centres offshore de la planète.

Il traque les brebis galeuses, mais Xi Jinping ferait bien de balayer devant sa propre porte.

Plus de neuf cent mille sociétés sont enregistrées à Hong Kong. La plupart d’entre elles sont la propriété d’étrangers (Chinois du continent inclus) et n’ont aucune activité réelle sur le territoire. Ici, les mouvements de capitaux ne sont entravés par aucune restriction. Pas de taxes sur les dividendes ni sur les gains financiers, pas d’impôt sur les successions… La devise est convertible, et les titres peuvent circuler librement. Le territoire bénéficie en outre d’un cadre législatif solide, d’un secteur bancaire et boursier stable. C’est la quatrième place boursière d’Asie.

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C’est donc naturellement à Hong Kong qu’atterrissent d’abord les capitaux chinois. Ancien ministre du Commerce extérieur et chef du PC à Chongqing, Bo Xilai (et son épouse) y avait par exemple placé une bonne partie de sa fortune avant d’être condamné à la réclusion à perpétuité. Qui a mis la main sur son magot ? Mystère. Mais le long exil des fuyards du fisc ne s’arrête pas là.

>> Lire aussi "Procès Bo Xilai : réseaux et corruption en Chine"

Les riches Chinois raffolent des BVIs, acronyme désignant une société offshore enregistrée dans les British Virgin Islands. Ces BVIs sont les deuxièmes investisseurs étrangers en Chine. Et la première destination des exilés fiscaux chinois. Quarante pour cent des sociétés offshore enregistrées dans le monde sont des BVIs. Une bonne partie d’entre elles ont aussi un pied à Hong Kong. Ensemble, les deux territoires attirent plus de 70 % des investissements directs chinois à l’étranger. Dans la plus totale opacité. À en croire le cabinet de consultants Hill & Associates, la majorité des BVIs appartient déjà à des Chinois, ce que semble confirmer le rapport de l’ICIJ.

Tous les récents scandales ont éclaté après la découverte d’avoirs gigantesques dans quelque paradis fiscal – et le ChinaLeaks n’a pas fait exception à la règle. Pour l’heure, les autorités se bornent à faire l’autruche. Et à bloquer les sites internet qui font allusion à l’affaire. Quant aux imprudents qui osent remettre en question l’omnipotence du PCC, ils sont tout bonnement jetés en prison.

Depuis plusieurs mois, pourtant, le vent a commencé de tourner. Les appels se multiplient pour que les dirigeants acceptent enfin de rendre public leur patrimoine. Car il n’existe jusqu’à présent aucune instance indépendante de contrôle, aucune obligation légale de jouer cartes sur table. Pékin refuse de faire la lumière, car tout le monde, au sein du Parti comme dans le monde des affaires, trouve son compte à rester dans l’obscurité. Sur la liste des exilés fiscaux publiée par l’ICIJ figurent les plus importantes entreprises privées du pays, comme le promoteur immobilier Soho, les grandes entreprises d’État, mais aussi nombre de proches de responsables politiques de premier plan. En l’épluchant un peu, on s’aperçoit que c’est l’appareil économique tout entier qui est passé sous la coupe de proches du pouvoir. Filles et fils de, les fameux "princes rouges" émargent tous au sein des entreprises publiques, puis filent planquer le magot dans une minuscule île des Caraïbes.

Discrétion

On estime que, depuis l’an 2000, entre 1 000 milliards et 4 000 milliards de dollars ont ainsi quitté le pays pour des cieux plus cléments et, surtout, plus discrets. À eux seuls, les cent Chinois (et Chinoises) les plus fortunés possèdent 300 milliards de dollars, alors que 300 millions de Chinois vivent avec moins de 2 dollars par jour. Un écart de revenus proprement vertigineux.

Pour étouffer l’affaire, le gouvernement de Hong Kong avait tenté d’imposer le secret le plus total sur l’organigramme des entreprises enregistrées sur son territoire.

Pour éviter la révélation de tels scandales, le gouvernement local de Hong Kong avait l’an dernier tenté d’imposer en catimini le secret le plus total sur l’organigramme des entreprises enregistrées sur son territoire. Pour connaître l’identité et l’adresse de leurs présidents et directeurs, un code secret aurait été nécessaire… Face au tollé, il a dû faire machine arrière. Mais les autorités chinoises n’ont nullement renoncé à imposer le black-out sur ce type d’information.

Parallèlement, elles tentent de faire le ménage. Selon le magazine Caixin, Wu Bing, patron de Zhong Xu Investment, qui gère les stations-service de PetroChina et possède plusieurs centrales hydroélectriques, aurait été arrêté en août 2013 alors qu’il s’apprêtait à prendre le train en gare de Pékin. Depuis, on est sans nouvelles de lui. Zhong Xu Investment est un discret conglomérat (il est cité dans le rapport de l’ICIJ) possédant une kyrielle de filiales dans les îles Vierges britanniques et à Hong Kong. L’un de ces 22 000 exilés fiscaux qui menacent aujourd’hui la stabilité de la République populaire.

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