Présidentielle ivoirienne : qui sont les possibles rivaux d’Alassane Ouattara ?

À moins de deux ans de la présidentielle, les appétits s’éveillent. Même le PDCI, pourtant allié du parti au pouvoir, envisage de désigner son propre candidat. Un scénario que le chef de l’État s’emploie à éviter.

Alassane Ouattara à l’aéroport d’Abidjan, en août 2012. © Kambou Sia/AFP

Alassane Ouattara à l’aéroport d’Abidjan, en août 2012. © Kambou Sia/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 18 février 2014 Lecture : 6 minutes.

Qui sera face à Alassane Ouattara, le candidat du Rassemblement des républicains (RDR), lors de l’élection présidentielle prévue au dernier trimestre de 2015 ? Il s’agit là d’une équation à deux inconnues. Deux, comme les autres partis qui dominent la politique ivoirienne depuis vingt ans : le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Front populaire ivoirien (FPI). Si ces deux formations présentent un candidat, il y aura nécessairement un second tour, comme en novembre 2010. Or Alassane Ouattara n’en veut pas. Et il ne s’en cache pas : "Je serais très heureux d’une candidature du RHDP [le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix, l’alliance PDCI-RDR] pour soutenir l’action du gouvernement." Pourquoi cette stratégie ? Dans un duel de second tour avec le PDCI, le président sortant sait que son adversaire pourrait bénéficier du vote du FPI. Pour lui, ce scrutin représenterait un véritable risque. À Abidjan, depuis quelques semaines, un titre barre la couverture des journaux pro-Ouattara : "RHDP, candidature unique."

Le PDCI est-il d’accord pour renoncer à 2015 ? Pas sûr. D’abord il y a les anciens du parti qui se souviennent que le RDR est né, en 1994, d’une scission à l’intérieur du PDCI. "C’est l’enfant qui devrait revenir dans le ventre de la mère, et non l’inverse", maugrée un nostalgique de l’ex-parti unique. Ensuite, lors du congrès d’octobre 2013, les militants se sont largement prononcés en faveur d’un candidat PDCI en 2015. Henri Konan Bédié, le président réélu, soucieux de préserver de bons rapports avec Alassane Ouattara, est notoirement hostile à un tel scénario. Néanmoins, dans son discours de clôture du 6 octobre 2013, face à un public surchauffé, il a dû se résoudre à déclarer : "Il est évident qu’en tant que parti politique nous ne pouvons pas ne pas avoir de candidat." Depuis quatre mois, le PDCI fait monter les enchères.

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À quelles conditions la base du plus vieux parti de Côte d’Ivoire pourra-t-elle se résigner à soutenir le candidat Ouattara dès le premier tour ? En décembre 2013, Emmanuel Niamien Ngoran – l’homme qui a organisé le congrès pro-Bédié qui s’est déroulé en octobre 2013 – a lancé l’idée d’un ticket. En 2015, Ouattara se présenterait aux côtés d’un candidat PDCI à la vice-présidence. "Un poste de vice-président pour tempérer le pouvoir présidentiel est nécessaire", a précisé l’ancien ministre de l’Économie et des Finances. Qui pourrait être ce candidat PDCI ? "Depuis qu’il est au Palais, Ouattara considère Bédié comme son mentor, son grand frère, chez qui il se rend régulièrement pour recevoir des conseils. Il ferait bien l’affaire", estime un familier des deux hommes. "Depuis 2011, Bédié est traité comme un prince. Il a l’avion de Ouattara quand il veut. Ce poste honorifique lui irait très bien", ajoute l’un de ses anciens compagnons de route.

Guillaume Soro perdrait son poste de dauphin constitutionnel

Deux problèmes demeurent cependant. D’abord, cela impliquerait de réformer la Constitution. "C’est très gênant de toucher à la loi fondamentale pour régler des petits problèmes internes au RHDP", juge Mamadou Koulibaly, l’ancien président de l’Assemblée nationale et aujourd’hui président de Liberté et Démocratie pour la République (Lider). "S’il était inacceptable en 2000 de toucher à la Constitution pour qu’Alassane Ouattara puisse être candidat, il serait absurde aujourd’hui de le faire pour qu’il reste au pouvoir."

Ensuite, Guillaume Soro, le président actuel de l’Assemblée nationale, perdrait son poste de dauphin constitutionnel au profit du nouveau vice-président. Or Soro tient beaucoup à cette prérogative. "En mars 2012, il n’a pas quitté la primature de gaieté de coeur", se souvient l’un de ses proches. "Il a pris le perchoir seulement parce que Ouattara lui a fait valoir qu’il deviendrait son dauphin." Autrement dit, le président ivoirien ne peut pas engager cette réforme à la légère. Mais Bédié semble y tenir. Le 30 janvier, à la surprise de beaucoup d’Ivoiriens, il a reçu Pascal Affi N’Guessan, le président du FPI, à son domicile. Oubliée l’époque où Affi N’Guessan le traitait de "pneu rechapé". À la sortie de leur entretien, Bédié raccompagnait son hôte en le tenant par la main. Manière amicale d’exercer une pression sur ses partenaires du RDR…

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Le PDCI se contenterait-il de ce poste de vice-président ? Si Henri Konan Bédié donne son accord, a priori, oui. Sa très large victoire au congrès d’octobre montre qu’il tient ses troupes. Mais ce serait compter sans Charles Konan Banny. L’ancien Premier ministre, qui ne veut pas de "parti godillot", pourrait ruer dans les brancards. Pour le museler, le président Ouattara a renouvelé son mandat à la tête de la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) jusqu’au 28 septembre prochain. Banny est-il prêt à se lancer dans l’aventure d’une candidature indépendante ? Il risque d’être broyé par la machine PDCI. Mais il peut aussi s’attirer le soutien de Kouadio Konan Bertin (KKB), l’un des rivaux malheureux de Bédié au congrès d’octobre, et de tous les orphelins d’une candidature PDCI. Banny consulte. Ce 6 février, il a reçu Affi N’Guessan pendant deux longues heures. Une première. Il a encore le temps de voir venir.


L’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan, au siège du FPI, en août 2013. © Kambou Sia/AFP

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"En l’absence d’un candidat PDCI, Ouattara partirait favori"

PDCI, FPI… Dans cette équation à deux inconnues, la seconde n’est pas la moins compliquée. Bien malin qui peut dire aujourd’hui si le parti de Laurent Gbagbo présentera quelqu’un. Du point de vue d’Alassane Ouattara, un candidat FPI serait le bienvenu. "En l’absence d’un candidat PDCI, Ouattara partirait favori. Et la présence d’un candidat FPI validerait sa réélection aux yeux de tous", souffle l’un de ses conseillers. C’est sans doute la raison pour laquelle le président ivoirien multiplie les gestes à l’égard de ses adversaires. Depuis le début de l’année, une soixantaine de détenus pro-Gbagbo, civils et militaires, ont été mis en liberté provisoire. Le 17 janvier, Marcel Gossio, ancien directeur du Port d’Abidjan et ex-financier du régime Gbagbo, a pu rentrer en Côte d’Ivoire après trois ans d’exil au Maroc. Déjà, à la fin de l’année dernière, plusieurs dizaines d’exilés militaires et paramilitaires pro-Gbagbo étaient revenus en échange de la promesse d’être réintégrés et de ne pas être poursuivis. Mais il n’est pas sûr que ces gestes suffiront.

Si la voix d’Affi N’Guessan prévalait, beaucoup pensent que le FPI irait à l’élection. Tournées en province, création d’un "Front uni de l’opposition" avec d’autres partis… Depuis qu’il a été libéré, en août 2013, l’ancien prisonnier de Bouna donne tous les signes d’un homme qui a envie de défendre les couleurs de son parti. Mais le président du FPI ne peut rien faire sans le feu vert de Laurent Gbagbo. S’il n’est pas libéré par la Cour pénale internationale, que décidera le prisonnier de La Haye ? "Il aura intérêt à boycotter 2015 pour essayer de rendre l’élection de Ouattara aussi "calamiteuse" que la sienne en 2000", pronostique un familier du Palais. "Pour lui, ce sera la seule façon de continuer d’exister et de faire pression pour sa libération." D’autres pensent que le FPI, déjà absent des dernières législatives, aurait beaucoup à perdre en cas de boycott. Réflexion d’un connaisseur, Mamadou Koulibaly – qui ne cache pas son intention d’être candidat pour Lider : "Quand j’ai dit que la libération de Laurent Gbagbo n’était pas la priorité, j’ai été viré du FPI. Quand Miaka Oureto [ex-président par intérim du FPI] et Affi N’Guessan l’ont dit, ils n’ont pas été virés. Personnellement, je ne regrette rien. Je fais mon chemin. Mais c’est le signe d’une évolution au sein du parti."

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