Romano Prodi : « Sans accord avec le Nord, il n’y aura jamais de paix au Mali »
Mission terminée pour l’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahel, Romano Prodi ! Mais de nombreux chantiers restent à poursuivre, sur les plans sécuritaire et économique, afin d’assurer la stabilité de la région.
En octobre 2012, en pleine crise au nord du Mali, Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, avait nommé Romano Prodi envoyé spécial pour le Sahel. Alors que sa mission vient de s’achever, l’Italien, 74 ans, ancien président du Conseil de son pays (1996-1998 et 2006-2008) et ex-président de la Commission européenne (1999-2004), en fait le bilan pour Jeune Afrique.
JEUNE AFRIQUE : Au terme de votre mission d’envoyé spécial de l’ONU pour le Sahel, quel est votre diagnostic de la situation dans la région ?
ROMANO PRODI : Le secrétaire général de l’ONU m’avait chargé des problèmes de développement, du volet sécuritaire et de l’organisation des secours humanitaires. Après l’intervention militaire française de janvier 2013 au nord du Mali, un pan du volet sécuritaire m’a échappé. Mais je dois reconnaître que la situation au Mali s’est considérablement améliorée, même si certaines questions restent en suspens, comme la réconciliation nationale, la décentralisation et la participation de l’ensemble des groupes ethniques à la gestion des affaires publiques. Le principal défi, pour le Mali comme pour les autres pays de la sous-région, reste le terrorisme. Face à cette menace, accentuée par la situation en Libye, il faut renforcer la coopération sous-régionale, encourager une meilleure coordination entre les cinq pays du Sahel [Mali, Burkina, Mauritanie, Niger et Tchad], mais aussi soutenir une plus grande coopération entre eux et le reste du monde. Car la menace terroriste, même si elle part du Sahel, est planétaire.
Peut-on envisager un dispositif sous-régional de lutte contre le terrorisme sans y associer l’Algérie ?
L’Algérie a bien sûr sa place dans ce dispositif. La coopération avec ce pays me paraît totalement acquise, je n’ai pas le moindre doute là-dessus. Ce qui m’inquiète, c’est la Libye, avec laquelle ce sera sans doute plus difficile. Il faut pourtant continuer les efforts pour inclure cet État dans la boucle de la lutte antiterroriste. Il faut également associer l’Égypte, la Tunisie et d’autres pays. Pour être efficace, la coopération antiterroriste ne doit pas avoir de frontières.
Dans quelle mesure la mauvaise gouvernance a-t-elle précipité la chute de l’État malien au profit des groupes terroristes ?
Je ne nie pas que la mauvaise gouvernance ait pu jouer un rôle dans les événements de 2012. Mais il faut être juste et reconnaître que celle-ci ne concerne pas que le Mali. Il n’y a qu’à voir la situation en Centrafrique ! Le continent a certes accompli d’énormes progrès en matière de gouvernance, comme le montrent les exemples de scrutins libres et transparents organisés ici et là ; mais il faut admettre que des efforts restent à faire dans de nombreux pays. Dans le cas précis du Mali, je considère que le président Ibrahim Boubacar Keïta a donné un signal positif. Il faut l’encourager à poursuivre dans la voie qu’il a tracée, notamment en ouvrant vite les négociations avec les Touaregs. J’espère qu’elles aboutiront à une solution globale et durable.
Ne nous enfermons pas dans des délais trop contraignants.
Il n’y a toujours pas de calendrier pour ces négociations, qui étaient censées commencer soixante jours après la désignation du nouveau président. Faut-il s’en inquiéter ?
Ne nous enfermons pas dans des délais trop contraignants. Le plus important, c’est de continuer à travailler pour aller de l’avant. Je fais confiance aux autorités maliennes pour mettre en oeuvre les engagements pris.
Un État de l’Azawad vous paraît-il viable ?
Je fonde l’espoir d’un accord acceptable entre Bamako et les groupes armés. Car je considère que, sans accord avec le Nord, il n’y aura jamais de paix au Mali. Les acteurs maliens doivent jouer leur partition pour y arriver, mais la communauté internationale doit aussi les aider à parvenir à une paix définitive.
Doit-on associer sécurité et développement pour juguler le terrorisme ?
Oui, il faut absolument lier les deux. Il n’y a pas de développement sans sécurité. Mais il n’y a pas non plus de sécurité sans développement. Prenons le défi du retour des personnes déplacées du fait de la guerre : celui-ci s’inscrit à la fois dans les volets sécuritaire et économique. Prenons également la guerre en Libye : elle a provoqué au Sahel des dégâts à la fois économiques et sécuritaires.
L’Union européenne, l’Union africaine, l’ONU… Chaque organisation a son propre envoyé spécial et sa propre stratégie. Cela n’est-il pas préjudiciable à l’efficacité des actions menées au Sahel ?
C’est indiscutable, il y a un déficit de coordination entre les différents intervenants. Nous devons remédier à cela en recherchant des synergies et en encourageant les États africains à mieux coopérer. Je rappelle que c’est sous ma présidence que la Commission européenne a décidé d’accompagner la volonté de l’Afrique à se doter d’une force de paix et d’assumer ses responsabilités. J’ai soutenu le principe d’une relation forte et systématique entre l’Union africaine et l’Union européenne.
Le plus innovant, c’est sans doute la création d’un fonds spécial pour le Sahel.
Personnellement, quel bilan tirez-vous de votre mission d’envoyé spécial ?
J’ai toujours considéré ce poste comme un contrat à durée déterminée. J’ai aidé les États de la région à élaborer des plans d’action, à identifier les moyens de les mettre en oeuvre, à s’engager dans la recherche de financements. Nous avons surtout poussé à la création d’un mécanisme de coordination entre les cinq pays du Sahel. Il s’agit d’une énorme avancée. Nous avons également obtenu le principe de faire superviser les investissements dans la région par la BAD [Banque africaine de développement]. Mais le plus innovant, c’est sans doute la création d’un fonds spécial pour le Sahel, avec des règles inédites voire dérogatoires pour les pays donateurs. Par exemple, si l’Allemagne veut construire quatre hôpitaux ou dix écoles dans une partie du Mali, elle peut le faire directement ; mais si elle préfère verser 200 millions d’euros au fonds, qui réalisera ensuite les projets, elle le peut aussi. Tout cela sous la supervision de la BAD. L’enjeu est d’aller très vite et d’éviter les lourdeurs bureaucratiques face aux urgences.
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Propos recueillis par Seidik Abba
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