Sénégal : Wade l’extraterrestre, ou le retour vers le futur

Il a suffi qu’on évoque son retour au pays pour que ses fans se mobilisent et que le PDS sorte de la léthargie dans laquelle il était plongé depuis la défaite de 2012. Il est leur père, leur guide, leur héros… Radioscopie d’un phénomène.

Des militants massés devant le siège du Parti démocratique sénégalais, à Dakar. © SEYLLOU / AFP

Des militants massés devant le siège du Parti démocratique sénégalais, à Dakar. © SEYLLOU / AFP

Publié le 2 mai 2014 Lecture : 6 minutes.

La VDN, une 2 x 3 voies semée de ralentisseurs qui coupe Dakar d’est en ouest, est l’endroit idéal pour observer le bal des avions qui atterrissent à l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor. Ce n’est évidemment pas pour cette raison que le siège du Parti démocratique sénégalais (PDS) y a été édifié, mais c’est parfois chose utile. Ce mercredi 23 avril, alors que les Sénégalais viennent de célébrer Pâques, la fête qui commémore la résurrection du Christ, c’est un messie d’un tout autre genre que les militants de l’ancien parti au pouvoir attendent. Un guide qui doit descendre du ciel à bord d’une carlingue dont on ne connaît ni la taille ni les couleurs, mais dont on suppute qu’elle a décollé de Casablanca. À chaque avion qui passe, un bruit parcourt la foule qui a largement débordé sur la route : "C’est le bon, il est dedans !" En fait, Abdoulaye Wade n’arrivera pas ce jour-là ni le lendemain. À l’heure où nous mettions sous presse, il était prévu qu’il foule le sol du pays qu’il a dirigé pendant douze années et qu’il n’avait plus fréquenté depuis près de vingt-deux mois le 25 avril, en début de soirée.

Ce mercredi pourtant, c’est comme s’il n’était jamais parti. Comme si le temps s’était arrêté. Comme si l’on était toujours en 2012, en pleine campagne électorale. Les femmes, surexcitées, ont remis leurs robes aux couleurs du parti (bleu et or) et à l’effigie de "l’idole des militantes". Les hommes, hilares, portent fièrement des tee-shirts à la gloire de Gorgui ("le vieux"). Des remises d’un bâtiment que les Dakarois avaient fini par croire abandonné l’on a également sorti les affiches de la dernière campagne. "Un homme, un pays, un peuple", est-il écrit au-dessus d’une photo d’un Wade sans rides.

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Loin du cerveau mais pas du coeur

"Avec ce retour, le parti va renaître !" veut croire Daouda Sambe, l’un des nombreux militants qui ont répondu à l’appel des dirigeants du PDS pour accueillir leur héros. Sambe fait partie de ceux que l’un des cadres du mouvement appelle "les fous de Dieu". Des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux qui seraient capables, si Wade le leur demandait, de rejoindre Saint-Louis à pied. "Wade, c’est plus qu’un père, c’est un guide", affirme un autre militant.

Sans lui, le PDS semblait atteint d’une maladie incurable. Il était muet, léthargique, divisé.

Sans lui, le PDS semblait atteint d’une maladie incurable. Il était muet, léthargique, divisé. Certes, Gorgui était encore au Sénégal quand quelques-uns de ses lieutenants ont quitté le navire après la déroute de la présidentielle et quand le parti n’a récolté, aux législatives, que 12 sièges (sur 150) à l’Assemblée nationale. Mais en son absence, la saignée s’est accélérée. Il y a ceux, les "transhumants", qui sont partis pour tenter de convaincre Macky Sall de leur donner une nouvelle chance – parfois avec succès ; ceux qui sont restés mais qu’on n’a plus guère croisés sur les bords de la VDN ; ceux qui, comme son fils Karim et une dizaine d’autres ex-dignitaires du défunt régime, ont été touchés par la "traque aux biens mal acquis" diligentée par le nouveau président et qui croupissent dans la prison de Rebeuss. "Ces procédures nous ont plombé", admet Amadou Sall, l’un des plus proches collaborateurs de l’ancien président.

La question de la succession

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Pendant tout ce temps, Wade, qui s’était retiré avec Viviane, son épouse, à Versailles, en France, n’avait plus guère son mot à dire. Quand le parti a organisé une première marche de contestation, il n’en a pas été informé. Il n’était pas favorable aux deux suivantes, mais ne s’en est pas mêlé. "Avec la distance, il a perdu de son influence. Mais il n’a jamais été remplacé", observe un membre du bureau national. Oumar Sarr, le coordinateur qu’il avait lui-même nommé avant son exil, ne s’est jamais imposé. Aucune figure n’a émergé. "Normal, explique notre cadre. Le PDS, c’est l’oeuvre de Wade. C’est lui qui l’a fondé, façonné et mené au pouvoir."

>> Lire aussi : Abdoulaye Wade de retour à Dakar après deux ans d’absence

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En faisant le choix de revenir, Wade s’est mis en tête de mettre fin à l’agonie de son parti. Celui qui est toujours le secrétaire général du PDS entend mener la campagne des municipales, qui auront lieu le 29 juin. Puis il organisera sa succession. "Il est là pour longtemps", assure son entourage. Mais sa priorité – même les cadres du PDS en conviennent, avec amertume parfois -, c’est son fils, auquel il prête toujours un destin présidentiel. Emprisonné depuis un an, Karim sera bientôt jugé pour enrichissement illicite. Abdoulaye ne le supporte pas. Pour "sauver" l’ancien "ministre du Ciel et de la Terre", il restera dans les clous de la légalité, jure-t-il devant les journalistes.

Il n’empêche, personne n’est dupe. S’il a décidé de rentrer, c’est pour sortir son fils de Rebeuss coûte que coûte. "Il fera comme il a toujours fait : pousser le pouvoir dans ses derniers retranchements", estime un observateur. "Il est venu pour f… le bordel, accuse un membre du gouvernement. Son but, c’est de montrer qu’il a la capacité de mettre le pays à feu et à sang et ainsi de pouvoir négocier avec Macky la libération de son fils." N’a-t-il pas dit sur RFI qu’un "procès politique ne se gagne pas devant les magistrats, mais devant l’opinion" ? Ses lieutenants ne dénoncent-ils pas, depuis quelques jours, une "dictature rampante" contre laquelle il est impératif de se lever ?

À 87 ans, Wade n’a rien perdu de ce que ses détracteurs appellent son "vice" et ses supporteurs son "génie". Son retour retardé en est la preuve. Selon son entourage, la faute en revient à Macky Sall, qui aurait tout fait pour que le jet privé qui devait transporter Wade, sa secrétaire et deux aides de camp ne décolle pas de Casablanca. Ce que le gouvernement, qui accuse l’ex-président d’avoir voulu cacher sa venue aux autorités et d’avoir ainsi chauffé à blanc ses supporteurs, conteste. Quoi qu’il en soit, ce couac a révélé deux choses.

"Il a toujours fonctionné ainsi : en jouant avec le feu"

Tout d’abord, Wade continue de fonctionner selon le même logiciel : celui du contre-pied et de la confrontation. Comme lorsqu’il avait tenté de modifier la Constitution en juin 2011 afin de se faire élire dès le premier tour de la présidentielle. Comme lorsque, voyant la communauté internationale le lâcher, il avait essayé de vendre une improbable transition de trois ans.

Macky Sall craint toujours le pouvoir de nuisance de son ancien mentor.

Second enseignement : Macky Sall craint toujours le pouvoir de nuisance de son ancien mentor. Pourquoi avoir interdit le meeting que prévoyait d’organiser le PDS pour fêter le retour de son leader – une décision qui ne fait pas l’unanimité jusque dans les rangs de la coalition au pouvoir ? "Parce que nous avions des informations faisant état de menaces à l’ordre public", explique Abdou Latif Coulibaly, le porte-parole du gouvernement, sans préciser la nature de la menace mais en rappelant les événements tragiques de 1994, quand une manifestation menée par Wade avait tourné au lynchage de six policiers. "Il a toujours fonctionné ainsi : en jouant avec le feu. Et pour son fils, il est prêt à tout", dit de lui un homme qui l’a côtoyé à la présidence.

Le jour de son retour avorté, les rues de la capitale avaient retrouvé le visage qui était le leur lors de la campagne électrique de 2012 : partout, des policiers surprotégés et des pick-up remplis d’hommes armés, des rumeurs alarmistes et des commerçants sur le qui-vive. Excédé par l’agitation sur la VDN, un chauffeur de taxi s’emporte. "Et voilà, Wade revient et c’est à nouveau le bazar !" Éternel Gorgui…

Retraité actif

"En revenant au pays et en continuant de faire de la politique, Wade rompt avec une tradition non écrite", souligne un proche de Macky Sall. Après leur "retraite", Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, les deux premiers chefs de l’État sénégalais, ont en effet pris soin de ne plus jamais intervenir dans les affaires publiques. Tous deux ont quitté le Sénégal et se sont installés en France, où Diouf réside toujours en tant que secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie. Après sa défaite à la présidentielle de mars 2012, Wade avait mené la campagne des législatives jusqu’en juillet, puis était lui aussi parti en France, la patrie de son épouse. Depuis, il s’était abstenu de toute déclaration publique. Ce silence aura duré moins de deux ans.

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