Mgr Barthélemy Adoukonou : « Le pape François nous pousse à approfondir notre propre culture »
Il est le fondateur d’un mouvement de théologiens africains (le Sillon noir) et fut un proche de Benoît XVI. Le Béninois Barthélemy Adoukonou est un fervent défenseur de la place de l’Afrique au sein de l’Église catholique. Depuis 2009, il est, au Vatican, le secrétaire du Conseil pontifical de la culture.
Jeune Afrique : En quoi le pape François est-il proche du continent africain ?
Mgr Barthélemy Adoukonou : Le saint-père vient du "bout du monde", comme il le dit lui-même, par opposition à un centre qui serait européen. Pour différentes qu’elles soient, les cultures sud-américaine et africaine sont l’une et l’autre "à la périphérie". Le pape n’a pas d’itinéraire personnel sur notre continent, mais il partage avec de nombreux Africains une même expérience de la pauvreté. À Lampedusa, en juillet 2013, il est allé à la rencontre de cette pauvreté à travers les migrants subsahariens, au coeur d’une humanité en naufrage. Il sait que la pauvreté nie la culture et nous réduit parfois en esclavage.
A-t-il un "agenda africain" ?
Le pape va rencontrer de nombreux évêques du continent dans le cadre des visites ad limina que les conférences épiscopales nationales sont tenues de faire à Rome tous les cinq ans. Une dizaine d’entre elles auront lieu cette année, celles notamment de la Côte d’Ivoire, du Rwanda, de la Guinée, de la RD Congo et de Madagascar. Cela lui permettra de nourrir sa réflexion. Je sais aussi qu’il attache une importance particulière à la contribution de l’Afrique au Synode des évêques sur la famille [5-14 octobre].
Quel impact a son élection sur la gouvernance de l’Église en Afrique ?
Ce pape sud-américain n’a pas une vision européocentrée. Il appelle l’Église à sortir d’elle-même pour aller en mission, en prenant en compte la diversité des cultures. Il veut que la papauté se définisse avec les évêques du monde entier. La réforme de la curie romaine [l’administration vaticane] n’est plus une affaire uniquement européenne ! Nous sommes davantage en collégialité et en interculturalité.
Mgr Laurent Monsengwo, qui représente l’Afrique au "C8", le conseil spécial du pape, semble avoir une place cruciale…
C’est une figure catholique africaine de premier plan, il était un choix logique. Mgr Monsengwo s’est beaucoup impliqué dans les questions de justice et de paix dans son pays, la RD Congo. Et il a longtemps présidé le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar, qui rassemble tous les évêques du continent.
Cinquante ans après le concile Vatican II, où en est le processus d’inculturation en Afrique, qui vise à davantage ancrer la foi dans les cultures locales ?
Le saint-père pousse le monde, et donc l’Afrique, à sortir de la culture occidentale dominante. Cela signifie que nous, catholiques africains, devons nous approprier notre propre culture, avoir une conscience historique et, même, ne pas rejeter en bloc les religions traditionnelles, d’où nous venons, dans lesquelles on peut déceler des éléments d’attente du christianisme.
Les mouvements charismatiques catholiques et les églises évangéliques protestantes, qui s’appuient sur une foi expressive et joyeuse, ont le vent en poupe en Afrique. Qu’en pense-t-on au Vatican ?
Ils ont eu ces dernières années un impact souvent positif, mais pas toujours. Protestants ou catholiques, certains se sont laissé entraîner par une attirance trop forte pour le merveilleux et l’idée d’un bonheur sans effort, parfois au détriment des combats pour la justice, qui demandent persévérance et, parfois, souffrance. Mais il y a d’autres tendances en Afrique, tant dans l’Église catholique que chez nos frères protestants. Je suis frappé par la contribution au débat public des commissions Justice et Paix mises en place par les épiscopats de nombreux pays, auxquelles participent des laïcs et des croyants de toutes obédiences.
La Centrafrique et le centre du Nigeria sont le théâtre de violences entre chrétiens et musulmans…
Des témoignages de fraternité entre chrétiens et musulmans nous viennent aussi de Bangui et de Jos. J’ai été marqué par le discours d’un imam musulman de Freetown, en Sierra Leone, que nous avions invité à une réunion de la conférence des évêques d’Afrique de l’Ouest. Il nous a expliqué qu’il puisait dans sa culture la force de résister aux intégrismes importés d’Arabie saoudite, qui voudraient nous pousser à la violence. Au Bénin, cela fait des années que nous dialoguons avec des imams et des praticiens du vaudou. Musulmans et chrétiens africains, nous pouvons nous retrouver sur la base d’un "génie culturel" commun et résister aux tentations de repli sur nous-mêmes.
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Propos recueillis par Christophe Le Bec
>> Lire aussi : le pape François tente de mobiliser la communauté internationale sur la Centrafrique
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