Mali – Ibrahim Boubacar Keïta : « Mon honneur n’est pas à jeter aux chiens »

Affaire Tomi, Touaregs, népotisme, corruption, avion personnel, France… Pour sa première interview accordée à J.A. depuis son investiture, en août 2013, IBK n’a évité aucun sujet. Un entretien recueilli le 3 mai et publié dans J.A. n° 2784, avant les récents combats à Kidal entre l’armée malienne et le MNLA.

IBK au palais de Koulouba, le 3 mai 2014. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

IBK au palais de Koulouba, le 3 mai 2014. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

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Publié le 22 mai 2014 Lecture : 21 minutes.

En ce mois de mai où le mercure flirte avec les 45 °C, il arrive que l’électricité vous lâche, même quand vous êtes chef de l’État. Sur les hauteurs du palais de Koulouba, qui domine Bamako, Ibrahim Boubacar Keïta sourit, à sa manière pateline et subjonctive, de ce contretemps : "J’eusse préféré que cela ne survienne point, mais cela vous donne une idée supplémentaire de l’ampleur du chantier", dit-il, avec cette politesse cardinalice de la langue française qui, sous ces latitudes et depuis la mort de Senghor, n’appartient qu’à lui. À 69 ans, l’élu des quinze millions de Maliens s’est fixé un objectif vital : se réapproprier, tout en le reconstruisant, un État sinistré par une bonne décennie de gabegie et d’effondrement progressif, au point d’y perdre son identité, son intégrité et une part de sa légitimité. Très vite pourtant et bien qu’il ait réuni, en août 2013, 77 % des suffrages autour de son nom lors d’une élection incontestable, IBK a dû faire face aux critiques : lenteur, autosatisfaction, népotisme, voire soupçons de corruption. Après s’être longtemps recroquevillé dans sa carapace, le natif de Koutiala a décidé d’y répondre, quitte à sortir ses griffes de matou.

L’entretien que vous allez lire, recueilli le 3 mai, s’est prolongé le lendemain dans sa résidence privée du quartier de Sébénikoro, en plein chantier d’agrandissement – plutôt modeste, au regard de ce qui se fait ailleurs. Ici, les abeilles bourdonnent sous le toit, les petits-enfants du patriarche jouent à l’ombre d’un manguier, et, sur la table du salon, au milieu d’un empilement de livres et de dossiers, traîne un exemplaire de La Chute, chef-d’oeuvre noir d’Albert Camus, où le héros tente d’explorer sa propre vie, dont il ne saisit pas la vérité. IBK l’a-t-il lu pour ne pas perdre de vue le sens de la sienne ? C’est possible. L’animal politique voulait être président. Il lui reste maintenant à ressusciter le Mali.

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Jeune Afrique : L’état de grâce, c’est fini ?

Ibrahim Boubacar Keïta : A-t-il seulement commencé ? J’en doute. Dès mon investiture, j’ai eu à faire face aux urgences. L’Assemblée générale des Nations unies tout d’abord, suivie d’une visite d’État à Paris fin septembre, abrégée pour cause d’accès de fièvre au camp de Kati. J’ai dû revenir aussitôt à Bamako pour nettoyer ce qui restait des écuries d’Augias. Et puis la situation dans le Nord, bien sûr. Je savais que mon élection n’était qu’une simple étape sur la longue marche qui mène à la réhabilitation du Mali. Je ne m’attendais donc pas à jouir d’une période de grâce. Je suis tout sauf naïf.

Votre ancien Premier ministre, Oumar Tatam Ly, a rendu son tablier début avril après six mois d’exercice, en diffusant une lettre de démission critique à l’égard de votre gouvernance. C’est un coup dur ?

En politique, il faut s’attendre à tout. Nous sortions des législatives et un remaniement du gouvernement s’imposait. Les vues du Premier ministre et celles du chef de l’État ne se sont pas accordées sur les choix à opérer. Or il n’y a pas deux élus, mais un seul. Il a donc fallu en tirer les conclusions. La page est tournée. Le Mali continue d’avancer.

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Le nouveau chef du gouvernement, Moussa Mara, a 39 ans et il n’est pas membre de votre parti, le Rassemblement pour le Mali. Pourquoi lui ?

Je n’ai pas eu d’états d’âme. Dès réception de la lettre de démission de M. Tatam Ly, ce choix s’est imposé comme une évidence. Je suis Moussa Mara depuis ses débuts en politique et je l’ai toujours tenu en haute estime, même quand il me combattait. Je suis ainsi fait. Le Premier ministre est un homme solide, travailleur, compétent. Je veux croire que, cette fois, mon choix sera le bon.

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>> Lire "Moussa Mara Premier ministre, le sens d’un remaniement"

Fin mars, le quotidien Le Monde a publié une enquête sur l’homme d’affaires français Michel Tomi, lequel fait l’objet d’une information judiciaire du parquet de Paris depuis juillet 2013 pour "blanchiment aggravé". Selon les enquêteurs de police cités par ce journal, vos liens avec Tomi sont multiples et avérés. Reconnaissez-vous l’avoir fréquenté ?

Michel Tomi est resté mon ami. Mais jamais, au grand jamais, il n’a été question d’argent entre nous.

Oui. Je le considère comme un frère. J’ai rencontré Michel Tomi par l’intermédiaire du défunt Omar Bongo Ondimba, dont il était très proche. C’était ici, à Bamako, en 1995. Bongo était venu nous rendre visite et Tomi l’accompagnait. J’étais alors Premier ministre. Depuis lors, Michel Tomi est resté mon ami. Mais jamais, au grand jamais, il n’a été question d’argent entre nous. Je ne suis d’ailleurs dans aucune affaire, avec qui que ce soit. La famille Tomi et la mienne se fréquentent, c’est vrai. Il m’a toujours témoigné amitié et fraternité. Tous les chefs d’État qui le connaissent m’en disent du bien, et ses activités dans le domaine des jeux n’ont, que je sache, rien d’illégal. Ce qu’il a pu faire auprès de tel ou tel homme politique en France ne me concerne pas, d’autant qu’il a, je crois, payé pour cela. Rien en tout cas ne justifie que je le renie. Je suis un homme d’honneur.

Soyons précis. Michel Tomi a-t-il réglé la note d’hôtel de vos séjours à Paris, avant et après votre élection ?

Faux. Je détiens les factures qui le prouvent.

A-t-il payé et accompagné votre déplacement privé à Marseille, pour raisons de santé, en décembre 2013 ?

Faux. Je suis allé à Marseille à mes frais, en avion privé loué. Puis de l’aéroport directement à l’hôpital Clairval, pour une infiltration. C’est la police française qui est venue m’accueillir au pied de l’avion et qui m’a escorté au retour. À moins d’imaginer que les policiers marseillais et le professeur Ange Vincentelli, qui m’a soigné, sont des hommes de Tomi, dire que j’ai été "pris en main" par ces derniers est tout simplement grotesque.

Reconnaissez-vous avoir emprunté les avions d’Afrijet, la compagnie de Michel Tomi, lors de la campagne pour la présidentielle de 2013 ?

Pas emprunté. Loué. Et uniquement pour certains vols régionaux. Où est le problème ?

Détenez-vous des parts dans la salle de jeux Fortune’s Club de Bamako, propriété de M. Tomi ?

Faux et ridicule. Je ne suis actionnaire d’aucune société, au Mali ou ailleurs.


L’homme d’affaires Michel Tomi dans le bureau du juge Courroye au
palais de justice de Paris, lors de l’enquête sur le financement du
parti de Charles Pasqua, en janvier 2002. © JACK GUEZ / AFP

Pourquoi ces imputations, selon vous ?

Soyons clairs. Je crois qu’IBK dérange. Voilà un homme singulier, qui ne parle pas le français petit nègre et qui n’est pas fâché avec le subjonctif. Un homme au nationalisme sourcilleux, à qui répugne tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’Africain et qui a en horreur l’appât du gain. Oui, ce genre d’homme existe en Afrique. Certains, apparemment, ne l’ont pas encore admis.

Vous semblez faire le lien entre ces accusations et certaines de vos déclarations critiquant l’action de la communauté internationale au Mali…

Je voudrais n’y voir aucun lien. J’ai de très vives amitiés à Paris, en très haut lieu, à commencer par le président Hollande, qui a comme moi un profond respect de l’éthique. Chercherait-on à les effaroucher ? C’est possible.

Vos opposants ne se privent pas pour faire le procès de ce qu’ils appellent les "atteintes à la morale publique". L’ancien ministre Tiébilé Dramé a ainsi diffusé il y a un mois un document dans lequel il revient sur le contrat de 69 milliards de francs CFA (105 millions d’euros) signé il y a six mois entre votre ministre de la Défense et la société Guo-Star, portant sur la livraison d’équipements militaires à l’armée malienne. Selon lui, il y a délit d’initié.

Là encore, je n’ai aucune gêne. Ce contrat existe bel et bien. Chacun sait que l’armée malienne est à reconstruire et je voulais que rapidement, dès le 20 janvier, jour de la fête de l’armée, nos militaires puissent défiler dans des uniformes neufs. Ce contrat, dont je ne me suis pas occupé, a été conclu dans les règles avec la société Guo-Star, connue sur la place de Bamako, qui a obtenu la garantie des banques. Les trois fournisseurs sont français et ont eux aussi pignon sur rue. Tout cela est clair.

Pourquoi avoir appelé l’homme d’affaires Sidi Mohamed Kagnassi à vos côtés en tant que conseiller spécial ?

C’est un entrepreneur malien qui a réussi, un bon spécialiste de l’ingénierie financière. Il a d’ailleurs géré cet aspect dans le contrat en question. Il peut nous être utile et de bon conseil. Je n’ai, par ailleurs, aucun lien particulier avec lui.

L’acquisition d’un nouvel avion présidentiel, un Boeing 737, pour près de 30 millions d’euros (19,5 milliards de francs CFA), était-elle indispensable, alors que le précédent, acquis sous Amadou Toumani Touré, est apparemment toujours disponible ?

Est-il besoin de préciser que cet aéronef est la propriété de la République du Mali, pas la mienne ?

Disponible peut-être, mais hors d’état de voler. Ce 727 a en effet été obtenu dans des conditions d’opacité telles que nous ne disposons d’aucun document ni d’aucune facture le concernant : il semble qu’il aurait transité par la Libye. Le risque de tomber en panne sur un aéroport étranger, voire en plein vol, était réel. J’ai donc décidé de louer, puis, pour de simples raisons d’économie, d’acheter. Est-il besoin de préciser que cet aéronef est la propriété de la République du Mali, pas la mienne ?

Comment et auprès de qui le nouvel appareil a-t-il été acquis ?

Ce 737 appartenait à un couple de producteurs de cinéma australiens qui l’utilisait deux fois par an. Il était sur le marché de l’occasion avec 6 000 heures de vol au compteur. Les experts que nous avons envoyés pour l’examiner à Saint-Louis, aux États-Unis, nous ont certifié son bon état. L’avion aujourd’hui n’est pas un luxe pour un chef d’État, c’est une nécessité de souveraineté. Nous avons déjà eu ce débat au Mali dans les années 1960, sous Modibo Keïta. Un député proche de ce dernier s’était exclamé : "Alors, comme ça, vous voulez que le président du Mali voyage à dos de chameau !" Quant au financement, il a été assuré à 85 % par un emprunt auprès de la Banque de développement du Mali, les 15 % restants étant directement réglés par l’État. Comme il s’agit d’un avion dit de commandement, le signataire est le ministre de la Défense.

Certains Maliens trouvent que vous voyagez trop souvent hors du pays et avec des délégations pléthoriques. Bref, que cela coûte cher au Mali. Votre réaction ?

Ce sont des histoires. Je ne bouge pas pour faire du tourisme et tous mes déplacements sont utiles. Certains d’entre eux ont d’ailleurs été effectués à bord d’un appareil de la Royal Air Maroc, mis à ma disposition par Sa Majesté Mohammed VI. Koweït, Qatar, Éthiopie, Belgique, France, Allemagne : pas un franc n’a été payé par le Mali pour ces voyages, grâce à la générosité du roi et à l’avion de la RAM.

La facture des travaux de rénovation du palais présidentiel de Koulouba, partiellement endommagé pendant le putsch du 22 mars 2012, serait passée de 2 à 10 milliards de F CFA. Confirmez-vous ces chiffres ?

Ce sont des chiffres fantaisistes, pour la bonne raison qu’aucun contrat n’a encore été signé pour leur attribution. Les ingénieurs chinois auxquels nous nous sommes tout d’abord adressés nous ont conseillé de raser Koulouba, jugé par eux "insauvable". Je ne saurais m’y résoudre : ce palais est un monument historique, avec une vue imprenable sur Bamako. Nous nous sommes donc tournés vers d’autres sociétés, notamment françaises, qui se disent prêtes à relever le défi. Nous attendons leurs offres, et l’équipe technique ad hoc chargée de les étudier décidera.

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Qui finance les travaux d’agrandissement de votre résidence privée de Sébénikoro ?

Cette propriété, acquise par mon père en 1960, abrite la maison familiale que j’occupe depuis des décennies et dans laquelle je continue de dormir chaque nuit depuis mon élection. Contrairement à mes prédécesseurs, je ne vis pas dans une résidence d’État. Il y a de l’espace dans la concession et j’ai donc, en 2003, entrepris d’agrandir peu à peu la surface habitable. Pas plus aujourd’hui qu’hier je n’ai pris un seul centime de l’État pour financer ces travaux. Des amis m’ont aidé, ma belle-famille libanaise, les Fadoul, aussi, et j’ai contracté des emprunts auprès de la Banque malienne de solidarité. Tout est transparent. Je n’ai rien à cacher.

Y compris la piscine couverte ?

Laissez-moi rire ! Venez visiter mon chantier : il y a une piscine pour mes petits-enfants, tout ce qu’il y a de modeste et bien évidemment découverte. Vous imaginez, vous, une piscine couverte et chauffée au Mali ? J’ai beau être un Mandingue un peu lourd, je ne suis si pas stupide !

Dernier point – et pas le plus agréable : le népotisme. On vous accuse de favoriser votre famille au sein du gouvernement et d’avoir aidé votre fils Karim à devenir député puis président de la commission de défense de l’Assemblée nationale. C’est gênant…

C’est le chérif de Nioro qui m’a convaincu, au nom de la démocratie, de laisser mon fils karim se présenter.

Aucunement. Le gouvernement tout d’abord : l’un de mes neveux, Moustapha Ben Barka, gérait le département investissements à la Banque marocaine du commerce extérieur. Mon ancien Premier ministre Oumar Tatam Ly l’a repéré pendant la campagne électorale de 2013 et il est venu me dire tout le bien qu’il en pensait, ajoutant qu’il souhaitait que lui soit confié le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements. "Attention, lui ai-je répondu, c’est mon neveu." Réaction de Tatam Ly : "Certes, mais vous prônez l’excellence." J’ai donc accepté, dans l’intérêt du Mali. Autre cas, celui du ministre de la Solidarité et de la Reconstruction du Nord, Hamadou Konaté, qui se trouve être mon beau-frère. C’est lui qui, pendant la crise, a géré la coopération luxembourgeoise à Kidal. Auparavant, il a été pendant près de deux décennies le directeur des Affaires sociales du Mali. Je ne vois pas pourquoi nous nous serions privés de la double compétence de ce philosophe de formation. J’en viens à mon fils Karim. Lorsqu’il a voulu se faire élire député, j’ai tout fait pour l’en dissuader. C’est le chérif de Nioro qui m’a convaincu, au nom de la démocratie, de le laisser se présenter. Je n’ai pas mis un franc dans sa campagne. Il a été élu avec près de 60 % des suffrages face au secrétaire général du parti de Soumaïla Cissé. Je dois reconnaître qu’il s’est bien battu.

Puis Karim a brigué – et remporté – le poste sensible de président de la commission de défense. Là aussi, vous étiez contre ?

Totalement contre. J’avais un autre candidat, un officier général de la police. On m’a rétorqué que l’armée n’aurait pas supporté qu’un policier accède à ce poste et que son candidat à elle, c’était Karim. C’est ainsi que les choses se sont passées. Même topo en ce qui concerne le président de l’Assemblée nationale, Issaka Sidibé, le beau-père de Karim. Je ne souhaitais pas qu’il occupe ce poste et j’avais là aussi un autre candidat, mon ancien directeur de campagne, Abderrahmane Niang, un expert auprès des Nations unies. Les cadres de mon parti sont aussitôt montés au créneau pour exiger que ce soit l’un des leurs, en l’occurrence Sidibé, qui prenne le perchoir. Allais-je humilier mon propre parti ? Là encore, j’ai bien dû céder. Que tout cela prête à controverse et à réflexion, j’en conviens. Mais est-ce un crime ? Je ne le pense pas. Êtes-vous sous l’influence de votre famille, ou de votre belle-famille ? Les Maliens le savent. IBK n’est sous l’influence de personne. Mon épouse, que j’ai connue sur les bancs du lycée, est d’une parfaite discrétion. Je l’eusse écoutée d’ailleurs que je n’aurais jamais été candidat à la présidentielle. Elle est la première étonnée qu’on lui prête tant d’influence.

Certains vont jusqu’à évoquer l’existence d’un "clan de Bourem" – la localité d’où est originaire la première dame – niché au coeur de l’appareil de l’État…

Un clan de Bourem ? Quel délire ! Je vais rapporter cela à mon épouse, cela va l’amuser.

Est-ce que vous n’avez pas, au fond, un vrai problème de communication avec les Maliens ?

Vous touchez du doigt l’essentiel. Depuis le début, y compris sur les problèmes du Nord, notre communication a été lamentable. Alors que, je le répète, nous n’avons rien à cacher et que, sur le plan de l’éthique, ce serait à moi d’en remontrer à mes adversaires. Je me suis laissé calomnier, en me disant que tout ce qui est excessif est insignifiant et que j’ai le cuir épais. Mon père, qui fut premier fondé de pouvoir de la Banque du Mali et qui n’hésitait pas à enfermer ses collaborateurs jusqu’à ce qu’ils puissent justifier du moindre sou dépensé, m’a fait jurer de ne jamais convoiter les biens publics. Je suis de cet homme-là.

Jureriez-vous que tous vos ministres sont honnêtes ?

Non. Mais tous savent que nul n’est à l’abri au motif qu’il m’est proche. Je n’aurai aucun état d’âme. Un audit est d’ailleurs en cours au niveau de la présidence et j’appliquerai ses conclusions de façon drastique. J’ai mon honneur. Et mon honneur n’est pas à jeter aux chiens.

Le chef de l’opposition, Soumaïla Cissé, a été un perdant plutôt élégant à l’issue de la présidentielle. Et depuis ?

M. Cissé a certes pris acte de ma victoire parce que la communauté internationale l’y obligeait. Mais dès le lendemain, il a convoqué une conférence de presse au cours de laquelle il est revenu sur toutes les dispositions affichées la veille. J’appelle cela une comédie, une imposture totale, dont tous les Maliens ont été témoins. À lui et à d’autres je dis : armez-vous de patience, IBK est là, si Dieu le veut, pour au minimum quatre ans et demi encore. À vouloir le déstabiliser, vous risquez de vous épuiser. IBK est imperturbable. Et il connaît mieux que vous la musique.

Pourquoi ne pas avoir voulu, pu ou su ramener à vos côtés un opposant tel que Tiébilé Dramé ?

Le lundi 23 septembre 2013 au soir, après avoir raccompagné à l’aéroport le roi du Maroc, qui m’avait fait l’honneur d’assister à mon investiture, j’ai reçu au salon officiel, à leur demande, Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé. Après m’avoir félicité, ils m’ont demandé de repousser la date prévue pour les législatives – ce que j’ai immédiatement refusé, pour des raisons évidentes de crédibilité internationale. Tiébilé Dramé a alors pris la parole pour m’assurer de leur disponibilité commune à m’accompagner dans toute mission dont je les estimerais dignes. J’ai répondu que j’en étais fort aise et que le temps nous donnera à voir. Je n’en dirai pas plus.

Alpha Oumar Konaré ? Hélas, je ne sais ce qui aujourd’hui nous maintient éloignés l’un de l’autre. Cela me peine.

Pourquoi n’avez-vous pas saisi la perche qu’ils vous tendaient ?

Je le répète : je ne vous en dirai pas plus.

Quatre de vos prédécesseurs à la tête de l’État sont encore en vie. Quelles sont vos relations avec chacun d’entre eux ? Moussa Traoré ?

Très bonnes.

Dioncounda Traoré ?

Excellentes.

Alpha Oumar Konaré ?

J’eusse aimé que s’impose l’un ou l’autre de ces qualificatifs. Hélas, je ne sais ce qui aujourd’hui nous maintient éloignés l’un de l’autre. Cela me peine.

L’aviez-vous invité à votre investiture ?

Tous l’ont été. Il n’est pas venu. Sans doute était-il trop occupé pour cela.

Reste Amadou Toumani Touré, en exil à Dakar. La Cour suprême du Mali a saisi l’Assemblée nationale du chef de haute trahison à son encontre. Le mérite-t-il ? Est-ce nécessaire ? Quel est votre sentiment ?

Je ne commente pas les affaires judiciaires en instance. C’est une règle que je me suis fixée.

C’est pourtant votre ministre de la Justice, Mohamed Ali Bathily, qui a initié cette démarche.

Ce n’est pas sûr. Cette affaire était dans les tuyaux depuis un certain temps. Vous savez, certains ont prétendu que, lors de mon récent voyage au Sénégal, en avril, je suis allé demander la tête d’ATT à mon frère Macky Sall. C’est totalement faux.

Mais vous en avez parlé, j’imagine.

Nous avons échangé à ce sujet, à l’initiative du président Sall.

A-t-il été question d’une éventuelle extradition d’ATT ?

Non. À ma connaissance, il n’existe aucune démarche en ce sens.

Il y a un mois, dans les colonnes de Jeune Afrique, Jean-Yves Le Drian, le ministre français de la Défense, a déploré que le processus de réconciliation dans le Nord n’avançait pas assez vite, en ajoutant qu’il vous avait fait part de son impatience. Qu’en dites-vous ?

Cela m’a un peu surpris. J’ai beaucoup de respect pour Jean-Yves Le Drian, autant qu’il en a pour moi. Il ne viendrait donc pas à l’idée de mon ami Jean-Yves de me parler sur un ton comminatoire. Lors de notre dernière rencontre à Bamako, en janvier, nous avons évidemment parlé des problèmes du Nord et des préalables à poser pour les résoudre sur le fond. Nous voulons donner toutes les chances de réussite au dialogue inclusif, pour l’organisation duquel j’ai nommé l’ancien Premier ministre Modibo Keïta. Nous souhaitons une paix des braves pour tous les Maliens, du Nord au Sud. Je sais que les militaires français ont un agenda un peu différent et sans doute moins de patience. Je veux qu’ils sachent que nous avons les mêmes préoccupations qu’eux et je leur demande de nous faire confiance. Notre objectif est commun : c’est la paix. L’image d’un IBK attentiste, jouant le pourrissement de la situation et agitant la carte nationaliste ne correspond en rien à la réalité.

Le retour de la légalité républicaine à Kidal figurait parmi vos priorités. Sept mois après, rien ou presque n’a changé. Auriez-vous acté la mise entre parenthèses de cette partie du Mali ?

En aucun cas. Avant mon arrivée, le gouverneur de Kidal dormait sur un matelas en mousse à l’abri d’un hangar, et ses collaborateurs sur des nattes. La radio était squattée par le MNLA, qui y diffusait ses messages. Aujourd’hui, le gouverneur a regagné son siège, la radio est redevenue celle de l’ORTM, le chef d’état-major de l’armée vient de séjourner dans toutes les localités de la région jusqu’à la frontière algérienne. Où est le statu quo ? Une chose est sûre : on n’accouche pas de la paix au forceps. Je veux que la naissance du nouveau Mali se fasse sans douleur. Nous prendrons le temps qu’il faut.


Au cours de l’entretien, dans un salon de Koulouba. © Emmanuel Daou Bakary pour J.A.

Vos rapports avec la Mission des Nations unies pour le Mali sont, dit-on, tendus. Vous ne supporteriez plus son chef, le Néerlandais Bert Koenders. Demandez-vous son départ ?

Non. J’aurais pu l’exiger et le déclarer persona non grata. J’ai préféré résoudre les incompréhensions entre nous par la voie du dialogue.

Pour l’instant, vous n’avez pas poussé au-delà de Mopti lors de vos tournées à l’intérieur. Quand irez-vous à Tombouctou, à Gao et, bien sûr, à Kidal ?

Dès que les conditions de sécurité seront réunies. En attendant, mon Premier ministre se rendra à Kidal avant la fin de mai.

Vous avez récemment dénoncé ce que vous appelez la duplicité des chefs touaregs du MNLA. Pouvez-vous, dans ces conditions, parler avec ce mouvement ?

Cette duplicité est réelle. Au moment où nous parlions réconciliation et décentralisation, voilà que Bilal Ag Acherif, le secrétaire général du MNLA, se rend à Moscou à la mi-mars pour y demander des armes et des instructeurs russes, en échange d’un accès privilégié au sous-sol de la région une fois l’autonomie ou l’indépendance obtenue.

En êtes-vous sûr ?

Certain. Ces gens ont été reçus par le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov. J’ai eu le compte rendu des entretiens par la partie russe elle-même, qui a eu la courtoisie de m’en informer.

Considérez-vous toujours le MNLA comme un mouvement indépendantiste ?

Eux se considèrent comme tels et cette revendication était à l’ordre du jour de leur dernier congrès à Kidal. Si quelqu’un aujourd’hui ne respecte pas les accords de Ouagadougou, c’est bien le MNLA. Je suis étonné d’être le seul à le dire, tout comme je suis étonné du crédit que l’on continue de lui accorder, en dépit de toutes ses malices.

Pourtant, les Français veulent que vous négociiez avec le MNLA…

Il serait dommage que l’accueil fabuleux qui a été réservé par les Maliens à l’opération Serval soit remis en cause par certains, pour des intérêts qui m’échappent. Je répète que la place du MNLA est dans le giron malien, pas ailleurs.

Iyad Ag Ghali et Ansar Eddine sont-ils des interlocuteurs ?

Non. Sans le moindre doute.

L’armée française vous informe-t-elle des opérations qu’elle mène dans le Nord contre les groupes jihadistes ?

J’ai un contact et un courant d’information réguliers avec le président Hollande, sur ce sujet et sur d’autres.

Nous devrions conclure accord de coopération en matière de défense et de sécurité avec la France le 25 mai, à l’occasion de la prochaine visite du ministre Le Drian.

À quand la conclusion de l’accord de défense avec la France, qui donnera un cadre juridique permanent à son intervention ?

Il s’agit d’un accord de coopération en matière de défense et de sécurité. L’intitulé est important. Nous devrions le conclure le 25 mai, à l’occasion de la prochaine visite du ministre Le Drian.

Amadou Sanogo, l’ex-capitaine putschiste de 2012 devenu général, est détenu depuis plus de quatre mois. Souhaitez-vous qu’il soit jugé rapidement ?

Les faits qui lui sont reprochés sont suffisamment graves pour qu’il y ait procès. La justice malienne fera son travail jusqu’au bout, sans aucune entrave.

La Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur le massacre de militaires maliens à Aguelhok, en janvier 2012. Si elle vous demande de lui livrer tel ou tel présumé responsable, le ferez-vous ?

Le Mali est un État partie au statut de Rome, qui a fondé la CPI. Nous respecterons nos engagements. Je l’ai dit à la procureure Fatou Bensouda, non sans ajouter que j’étais solidaire des critiques formulées en Afrique quant au fonctionnement de la Cour.

Quand les bailleurs de fonds vous disent : "On veut savoir ce que vous faites de chaque centime que l’on vous donne", c’est de l’ingérence ?

Si c’est le prix à payer pour que le Mali inspire à nouveau confiance et retrouve son crédit après tant d’années de mal-gouvernance, je l’accepte.

Que pensez-vous des tentatives de modification des Constitutions initiées par certains de vos pairs soucieux de pouvoir se succéder à eux-mêmes ?

Chaque peuple a son histoire et son parcours, je ne juge pas ceux des autres.

La Constitution vous donne droit à deux mandats de cinq ans. Dix ans vous suffiront ?

Ce serait très bien pour moi.

Donc au Mali, et contrairement à ce qui se passe ailleurs, on ne touche pas à la Constitution…

Sans désobliger qui que ce soit, la réponse est non.

Quand on vous qualifie de nationaliste autoritaire, cela vous froisse ?

On m’a même dit gaullien, pourquoi pas ? J’aime mon pays, j’ai en horreur la chienlit et je recherche l’ordre dans la liberté de chacun.

Vous êtes membre de l’Internationale socialiste. C’est quoi être de gauche en Afrique ?

Je suis plus que jamais de gauche. Je crois en certaines valeurs fondamentales : partage, solidarité, respect. Je suis sensible au sort du peuple et nul n’a jamais fait appel en vain à mon aide et à mon appui. C’est tout cela qui nous unit, nous, les sociaux-démocrates du monde. Quand François Hollande me tutoie et me rappelle le déjeuner que nous avons eu ensemble au congrès de Brest du parti socialiste en 1997, ce n’est pas un artifice. Nous sommes des camarades portés par les mêmes valeurs.

Le job de président vous paraît-il plus difficile que vous ne l’imaginiez ?

J’ai 69 ans et un long chemin derrière moi. J’ai de l’expérience. J’ai du coffre. Je savais donc parfaitement à quoi m’attendre. Pourquoi voudriez-vous que je me plaigne d’être au service du Mali ?

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Propos recueillis à Bamako par François Soudan

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