Cosmétiques : l’Afrique peut-elle devenir l’eldorado espéré ?

Difficultés de distribution, fixation des prix, atomisation des marchés… Pour les géants mondiaux des produits de beauté, le continent n’est pas (encore) l’eldorado annoncé.

Publié le 5 juin 2014 Lecture : 6 minutes.

Un marché africain estimé à 6,9 milliards d’euros en 2012 et qui devrait croître de 8 % à 10 % par an pour atteindre 10,5 milliards d’euros en 2017, cela aiguise forcément les appétits.

Géants

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Unilever, L’Oréal et Procter & Gamble (P&G), géants des biens de consommation en général et des produits de beauté et de soins en particulier, affichent ouvertement leurs ambitions sur un continent vu comme la « nouvelle frontière et la dernière grande zone géographique à conquérir », selon Jean-Paul Agon, le PDG du groupe français.

JA2785p103-info1Ce dernier entend écouler 50 millions d’unités de plus en 2014, tandis que l’américain P&G veut quadrupler ses ventes d’ici à 2020 et que l’anglo-néerlandais, déjà numéro un – et de loin -, souhaite les doubler d’ici à 2017. L’indien Godrej Consumer Products injecte plusieurs centaines de millions d’euros sur un continent qui représente déjà 11 % de ses revenus totaux.

Irréalistes ? Trop ambitieux ? Pour justifier leur offensive, ces géants avancent le discours habituel : une croissance économique supérieure à 5 % pour 2014 et 2015 et une classe moyenne estimée à 300 millions de personnes. Et ne révèlent l’envers du décor que plus discrètement.

En réalité, la moitié de ces personnes se situe dans le segment bas de la classe moyenne, celui qui peut basculer très facilement et rapidement dans la pauvreté. Pas forcément la cible idéale des vendeurs internationaux de produits cosmétiques.

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« En Afrique, le nombre de consommatrices pouvant s’offrir un produit comme ceux de L’Oréal Paris est relativement modeste. Un foyer doit gagner en moyenne 5 000 dollars (3 640 euros) par an pour s’offrir un produit L’Oréal, reconnaît Geoff Skingsley, directeur Afrique et Moyen-Orient. Une bonne partie de la population n’a pas atteint ce stade. »

Le marché africain est estimé à 6,9 milliards d’euros en 2012 et devrait croître de 8 % à 10 % par an.

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Marques locales

De surcroît, les goûts et les exigences de la clientèle sont de plus en plus sophistiqués. « Les Africaines de ma génération sont beaucoup plus compliquées et exigeantes qu’on ne le croit », constate Murielle, une Ivoirienne de 29 ans travaillant dans une ONG au Kenya. Si celle-ci ne jure que par le maquillage de la marque canadienne MAC (de l’américain Estée Lauder), le succès ne va pas de soi pour les marques occidentales.

Partie intégrante de cette classe moyenne qui dépense entre 1,5 et 15 euros par jour, la Camerounaise Plamielle refuse ainsi d’acheter aveuglément les produits des grandes marques étrangères. « Je fais attention à la composition de tous les produits. Il ne faut surtout pas que les crèmes soient éclaircissantes par exemple, explique cette jeune responsable en ressources humaines d’une chaîne de télévision à Yaoundé dont le budget beauté mensuel s’élève à 50 000 F CFA en moyenne (76 euros). Je privilégie des marques locales et des huiles naturelles avec lesquelles il y a moins de risques. »

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Lot de revers

Résultat, face à des acteurs locaux comme Biopharma au Cameroun, dont les produits et les gammes de prix sont plus adaptés au marché africain, les majors internationales subissent leur lot de revers. Même Unilever, pourtant leader sur nombre de marchés, a bien du mal à imposer Motions, sa marque phare pour cheveux (afro) au Nigeria. « Il a fallu du temps à la plupart des grands acteurs du secteur pour connaître ces marchés complexes et hétérogènes, et pour réfléchir aux différentes manières de les aborder », explique Laurent Dusollier, associé au sein du cabinet de conseil Roland Berger. Il existe plus d’une trentaine de carnations pour la seule peau noire (contre sept pour la peau blanche) ; les chevelures vont du lisse au crépu ; goûts et tendances sont souvent aux antipodes d’un pays à l’autre du continent.

Logiquement, les internationaux ont fini par comprendre la nécessité de s’africaniser. D’abord en Afrique du Sud, premier marché beauté du continent, évalué à 2,97 milliards d’euros en 2012. Et puis, ces dernières années, les marques ont décidé de s’ancrer dans leurs pays prioritaires en ouvrant des filiales et des sites de production au Nigeria (second marché, avec 1,6 milliard d’euros), au Ghana et au Kenya. Les grands noms du domaine ont adapté leurs produits aux besoins spécifiques du continent. La crème Nivea Naturally Even de l’allemand Beiersdorf estompe les tâches brunes par exemple, quand celle d’Unilever, Pond’s Age-Miracle, lutte contre les rides des peaux noires, plus tardives mais plus profondes.

« Nous voulons croître deux fois plus vite que le marché »

Interview de Geoff Skingsley, directeur général Afrique et Moyen-Orient de L’Oréal

Jeune Afrique :Pourquoi présenter votre stratégie africaine maintenant ?

Geoff Skingsley : L’Oréal est présent en Afrique depuis près de cinquante ans. Nous ne partons pas de zéro, bien au contraire. Et grâce aux recherches que nous conduisons depuis plusieurs années sur les différents types de peaux et de cheveux africains, mais aussi sur les consommateurs, nous avons acquis une expertise dont, je crois, personne d’autre ne dispose.

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Acquisitions

Ils ont aussi multiplié les acquisitions. Unilever a ainsi pris possession en 2011 de la marque afro Alberto Culver (Motions, Just For Me…). L’Oréal, propriétaire depuis quinze ans de l’afro-américaine Softsheen & Carson (Dark and Lovely, Optimum…), s’est offert en 2013 le kényan Interbeauty Products.

Godrej a pour sa part acquis en six ans deux entreprises en Afrique du Sud et une société au Nigeria.

Et reprend progressivement depuis 2011 l’ensemble des quatorze filiales subsahariennes du groupe Darling (pour 222 millions de dollars, soit 161,9 millions d’euros). Godrej, comme d’autres indiens actifs sur ce créneau, a décidé de ne proposer quasiment aucun des produits qu’il vend chez lui et se consacre presque entièrement aux cheveux africains.

« Ces marques permettent de toucher une nouvelle catégorie de population, dont le pouvoir d’achat est plus faible », décrypte Geoff Skingsley.

« La taille de nos produits varie de 10 g à 20 l, leur prix de quelques dizaines de centimes d’euros à une dizaine d’euros. Tout le monde y trouve son compte », complète Christian Nyassa, qui dirige la nouvelle filiale kényane de L’Oréal.

Au Nigeria, l’entrée de gamme domine

C’est le marché de toutes les attentions. Estimé à 2,2 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) par Euromonitor, le secteur nigérian des produits de beauté et des soins a connu une croissance de 9 % par an ces cinq dernières années. « Les produits d’entrée de gamme dominent, car peu d’habitants ont les moyens de payer des sommes importantes pour ce type de produits », explique Ronald Tinashe Mapiye, analyste chez Euromonitor.

Sur ce marché hyperatomisé, les multinationales mènent le bal, PZ Cussons et Unilever en tête (9 % de parts de marché chacun). Mais quelques locaux émergent. Parmi eux, Soulmate Industries, entré dans le top 10 du domaine.

Offre adaptée

Il traduit ainsi ce qui demeure l’un des plus grands défis du secteur : développer une offre adaptée aux capacités financières locales sans modifier la gamme internationale. Les ventes de L’Oréal sur le continent sont dorénavant réalisées à 60 % par ces marques spécialisées ou africaines en « totale complémentarité », selon Christian Nyassa, avec les marques internationales de la maison mère (Maybelline, Mixa…).

Du coup, pour Laurent Dusollier, de telles acquisitions risquent de se multiplier. Car « elles permettent non seulement de s’approprier la connaissance des équipes sur place, mais aussi et surtout d’avoir accès aux réseaux de distribution déjà existants, qui font généralement défaut aux grandes marques internationales ».

C’est là le dernier défi important auquel les spécialistes de la beauté sont confrontés en Afrique. Sur un continent où les supermarchés restent encore très rares, 90 % du commerce emprunte les circuits informels (marchés, échoppes, ou autres charrettes…).

À ce titre, les acteurs aux réseaux déjà solides, comme Unilever ou les entreprises locales, ont une longueur d’avance. Mais leurs nouveaux concurrents sont en mouvement. MAC a ouvert plusieurs grands magasins, dont un à Lagos. L’Oréal développe le marché des salons de coiffure, un important pourvoyeur d’affaires pour le groupe. Trentenaire et entrepreneuse guinéenne, Yalikha se ravitaille encore – comme beaucoup d’autres Africaines – en produits cosmétiques lors de ses voyages en Europe. Bientôt, elle n’aura sûrement plus à le faire.

Biopharma : « La concurrence ne nous effraie pas »

Numéro un sur le marché camerounais, Biopharma parie sur les cosmétiques ethniques pour consolider son leadership. Francis Nana Djomou en est fier : « Même les Chinois nous copient déjà ! »

En treize années d’existence, Biopharma, la PME du patron camerounais, a investi plus de 30 milliards de F CFA (45,7 millions d’euros) pour s’imposer dans la filière cosmétique.

En misant notamment sur une communication et un marketing agressifs : affiches publicitaires, sponsoring d’émissions, tombolas, présence aux expositions et manifestations sportives… ses produits sont visibles partout.

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