Mbata ya bakolo
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 2 juin 2014 Lecture : 3 minutes.
Toutes proportions gardées, cet exode a quelque chose de biblique. En deux mois, près de 200 000 ressortissants du "grand" Congo (66 millions d’habitants, sans doute plus) ont fui le "petit" Congo (5 millions, sans doute moins) en retraversant non pas la mer Rouge mais le fleuve commun aux deux capitales les plus proches du monde, dans un capharnaüm de ballots ficelés à la hâte, de plaintes et de jérémiades. L’histoire est simple et banale. Depuis une dizaine d’années et la multiplication des chantiers de la "municipalisation accélérée", le Congo-Brazza, terre de fonctionnariat où le travail manuel n’a jamais eu bonne presse, attire comme une nuée de lucioles la main-d’oeuvre bon marché du "Congo d’en face". Le PIB par habitant y est onze fois plus élevé et 44 places séparent le pays de Denis Sassou Nguesso de celui de Joseph Kabila au classement de l’indice de développement humain : autant dire que, pour cet immense réservoir d’inemployés qu’est l’ex-Zaïre, l’aimant a quelque chose d’irrésistible. Si des dizaines de milliers de RD Congolais, peut-être plus d’un demi-million, dont une majorité en séjour illégal après l’expiration du délai octroyé par leur laissez-passer, ont pu s’installer au Congo B et y trouver du travail, c’est donc parce qu’une forte demande existe, surtout dans le secteur informel – mais aussi parce que le laxisme et les petits arrangements qui minent la fonction publique congolaise font que les frontières de ce pays en plein boom pétrolier sont d’une porosité alarmante, à laquelle il conviendrait de remédier d’urgence.
Le problème, c’est que, dans ce flot de migrants, outre la cohorte habituelle des faux pasteurs, des petits trafiquants de médicaments contrefaits et des séductrices professionnelles venues, s’indignent les mamans du cru, "voler nos maris", s’est glissé un noyau dur de dangereux délinquants, les Kuluna. Chassées de la rive gauche du fleuve par les opérations coups-de-poing de la police kinoise, ces bandes de détrousseurs à la machette ont trouvé refuge sur la rive droite, terrorisant des quartiers entiers de Brazzaville et de Pointe-Noire. L’indéniable popularité de l’opération Mbata ya bakolo ("gifle du grand frère"), déclenchée le 4 avril par les forces de l’ordre congolaises et qui visait d’abord à renvoyer à son expéditeur ce colis empoisonné, avant d’entraîner dans son tourbillon un flot ininterrompu de sans-papiers, vient donc de là. Ainsi s’explique également le contenu, plutôt modéré, des critiques formulées par les autorités de Kinshasa à l’égard de ces expulsions, lesquelles portent beaucoup moins sur leur justification que sur leur mode opératoire musclé et sur l’absence de concertation qui y a présidé. À l’évidence, la police congolaise ne donne pas dans la dentelle humanitaire. À l’évidence aussi, elle est loin d’être la seule : qu’elles soient africaines, européennes, asiatiques ou américaines, les polices n’ont jamais eu la réputation d’enfiler des gants en matière de refoulement d’étrangers.
Comme souvent hélas dans ce type de crise, les médias de part et d’autre ont parfois sombré dans la tourmente xénophobe. Témoignages truqués et fausses images d’atrocités imputées aux forces de l’ordre sur les chaînes kinoises. Appels en direct à la délation sur les plateaux de la télévision nationale congolaise. Au-dessus du fleuve-trait d’union devenu mur de défiance, le beau projet de pont rêvé depuis les indépendances ressemble plus que jamais, hélas, à une chimère…
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