Au Maroc, c’est la « festival fever » !
Au mois de juin, le Maroc vibrera au rythme de quatre événements musicaux devenus des références internationales. Des temps forts, qui ne masquent pas complètement l’absence d’une véritable politique culturelle. Tournée au coeur de ces rendez-vous très show !
Ils sont presque tous nés après l’avènement de Mohammed VI et ont réussi à s’imposer dans le monde grâce à une ingénierie culturelle développée au fil des années. Gnaoua, Mawazine, Timitar et Musiques sacrées du monde ne sont pas seulement l’émanation d’une volonté royale, mais le résultat d’un cheminement politique bien maîtrisé par l’État.
"Avant les festivals modernes, il y avait les moussems, ces rencontres festives populaires organisées après les récoltes agricoles et qui étaient encouragées par le Makhzen car ce dernier voulait contrôler l’accumulation des richesses", rappelle Mohammed Bakrim, analyste culturel. Pendant les années 1980, ce même Makhzen organise, en mobilisant d’importants moyens financiers, des compétitions musicales entre les régions et les provinces, retransmises chaque samedi à la télévision nationale.
La musique adoucit les moeurs, mais, au Maroc, elle permet en outre de donner une bouffée d’oxygène au peuple alors que le pays traverse une période de durcissement politique. Depuis 1996, soit les dernières années du règne de Hassan II, profitant d’une nouvelle dynamique, la société civile commence à prendre le relais de l’État pour créer des festivals. Mais ces initiatives gardent la marque royale, les conseillers du souverain – ou leurs proches – usant toujours de leur influence pour attirer les financements.
Malgré tout, si chaque festival a des retombées régionales et internationales, il serait erroné d’en déduire que le Maroc a amorcé un véritable décollage culturel. Avec un budget qui n’excède pas 570 millions de dirhams (50,2 millions d’euros), soit 1 % du budget de l’État, le ministère de la Culture reste extrêmement pauvre. Il faudra donc un signal politique fort pour que toutes les initiatives locales puissent disposer de la même attention que les grands festivals, afin de permettre un éveil culturel digne de ce nom.
>> Lire aussi : Neila Tazi Abdi, Brahim El Mazned, Aiziz Daki, Mohamed Kabbaj et Faouzi Skali : portraits de ceux qui mettent l’été en musique
Mawazine
Le méga-show
Du 30 mai au 7 juin, à Rabat
Mawazine s’impose comme une référence internationale. En 2007, le roi confie à Mohamed Mounir El Majidi, son secrétaire particulier, la direction de ce festival jusque-là assurée par Abdeljalil Lahjomri, ancien directeur du Collège royal. Le souverain voulait un événement capable de sortir Rabat de son image de ville administrative "où rien ne se passe" et de proposer un show monumental, sélect et accessible à tous. D’où l’idée de créer quatre scènes à ciel ouvert. Celles-ci sont libres d’accès, mais proposent des carrés VIP négociés au prix fort. L’idée est d’assurer une péréquation selon laquelle les riches paient pour les pauvres.
De Sting à B.B. King en passant par Stevie Wonder, Mika, Elton John, Justin Timberlake ou Stromae, Mawazine se targue d’être le rendez-vous des stars mondiales, où les cachets peuvent atteindre 700 000 euros.
Fort de l’influence de Mounir Majidi, Mawazine a pu réaliser un exploit : financer 63 % de son budget grâce aux recettes de la billetterie. "Il fallait en finir avec la gratuité de la culture. Les gens se montrent sceptiques au départ, mais ils finissent par acheter leurs billets pour voir des spectacles de qualité", tranche Aziz Daki, directeur artistique de Mawazine et porte-parole de Maroc Cultures, l’association organisatrice.
Logée dans une somptueuse villa du quartier Souissi à Rabat, l’association compte une vingtaine de permanents en plus des bénévoles qui organisent aussi Génération Mawazine, une sorte de Star Ac’ pour les jeunes talents. Les gagnants de ce concours se voient offrir une scène pour se produire pendant le festival ainsi que la production de leur album.
Musiques sacrées du monde
Lieu de dialogue
Du 13 au 21 juin, à Fès
Vingt ans après avoir créé le festival des Musiques sacrées du monde, Faouzi Skali a toujours le regard qui brille quand il parle de ses débuts. "Dès la première guerre du Golfe, j’ai compris que le monde allait s’engager dans une guerre des identités. J’ai alors décidé de faire venir une dizaine de cinéastes internationaux pour projeter leurs films, en plein désert marocain, sur le dialogue des civilisations." En 1994, conscient que "la musique a une mémoire émotionnelle plus importante que les films", il crée le festival des Musiques sacrées. Hassan II le soutient, car il prise les initiatives où le Maroc s’affirme comme terre de dialogue. En 1996, en plein conflit des Balkans, il mettra même à sa disposition un avion militaire pour ramener l’orchestre de Sarajevo dans lequel jouaient Croates, Serbes et Bosniaques. "En arrivant, au milieu des décombres et de la guerre, j’ai aperçu un groupe de musiciens vêtus de leurs plus beaux atours. J’avais l’impression de vivre une scène à la Kusturica", raconte Skali. C’est ainsi qu’à Fès musulmans et chrétiens de ce pays déchiré ont joué ensemble.
D’autres moments furent tout aussi inoubliables. Comme les prestations de Ravi Shankar, Paco de Lucía et Barbara Hendricks, sans parler des nombreux forums de discussion où l’on dialogue sur la mondialisation, le Printemps arabe, la cité. Le festival de Fès est aussi le seul inauguré par une princesse, Lalla Salma, une caution politique en plus de celle de Mohamed Kabbaj, ancien conseiller royal et premier parrain de ce festival. En 2006, Faouzi Skali quitte le navire à la suite d’un désaccord avec le conseil d’administration de la fondation, Spirit of Fès. Faute de meneur et en raison de la crise, le festival risquait de péricliter… jusqu’à ce que son fondateur soit rappelé, en 2010, pour remettre le festival sur sa trajectoire : celle du dialogue des cultures.
>> Lire notre article sur l’édition 2013 : À Fès, un bienheureux choc des civilisations
Gnaoua
Le Woodstock africain
Du 12 au 15 juin, à Essaouira
"Le moment est venu pour l’État d’assumer ses responsabilités dans l’accompagnement du festival Gnaoua." Munie d’une étude sur les répercussions économiques de son festival pour la ville d’Essaouira, l’infatigable Neila Tazi est aujourd’hui occupée à sensibiliser les parlementaires à cette idée. Et pour cause, dix-sept ans après la tenue du premier festival Gnaoua, la ville a complètement changé de visage. "Pour chaque dirham investi, le festival en a généré 17 pour la ville en matière de recettes touristiques, d’attractivité économique et d’emploi, soit en tout 1,7 milliard de dirhams", lit-on dans cette étude. On est bien loin de 1998, quand Neila, jeune mélomane passionnée d’art africain, réussit à rassembler 600 000 dirhams pour faire émerger l’art gnaoua, totalement méconnu à l’époque. Elle voulait rattacher le Maroc à ses racines subsahariennes en réunissant des maîtres gnaouas et des stars telles que Youssou Ndour, Salif Keita, Oumou Sangaré… Des morceaux d’anthologie sont nés dans ce festival, des fusions avec le jazz, la soul, le raï, le rock, dont ce concert inoubliable de Louis Bertignac avec Band of Gnawa. La movida marocaine est née à Essaouira, avec ces milliers de jeunes qui viennent danser sur des rythmes endiablés et dorment à même le sol.
Aujourd’hui, Neila Tazi et André Azoulay, l’ancien conseiller royal originaire de cette ville, ont réussi à attirer d’autres publics, se sont ouverts à des musiques différentes en laissant une place importante aux droits de l’homme lors des séminaires programmés pendant ce festival.
>> Lire notre article sur l’édition 2013 : Essaouira, plus qu’un festival
Timitar
La revanche des Berbères
Du 26 au 29 juin, à Agadir
En 2004, Aziz Akhannouch, patron du groupe Akwa et président de la région d’Agadir, fait appel à Brahim El Mazned, activiste culturel amazigh, pour concevoir un festival qui sortira la musique berbère de son image de musique folklorique. "Le contexte était sensible. Il fallait créer ce concept sans verser dans la polémique des revendications politiques amazighs qui pointaient à l’époque", se rappelle El Mazned. C’est Hassan Aourid, alors porte-parole du palais royal, qui baptisera ce festival Timitar : "signes", en berbère. Le festival voulait s’ouvrir aux plus grandes voix du reggae, aux sons électroniques, aux meilleurs DJ, au hip-hop, à la world music… Un mélange autour du thème de la tolérance pour déconstruire le communautarisme qui colle à la culture berbère.
La première raison du succès de ce festival est sa très forte identité régionale, qui en fait la fête annuelle de la ville. La seconde est l’influence de son parrain, Aziz Akhannouch, qui a fédéré les élus locaux dans le conseil d’administration de l’association Timitar, permettant la mise en place d’un modèle économique à l’abri des perturbations du sponsoring privé. Ainsi, 40 % du budget du festival provient de la région et de la mairie, le reste d’entreprises privées.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Émigration clandestine : « Partir, c’est aussi un moyen de dire à sa famille qu’on...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- Fally Ipupa : « Dans l’est de la RDC, on peut parler de massacres, de génocide »
- À Vertières, les esclaves d’Haïti font capituler les troupes de Napoléon
- Les « maris de nuit », entre sorcellerie et capitalisme