Mali : Moussa Mara, tout feu tout flamme
Le Premier ministre est jeune, fougueux même, et sa visite à Kidal a déclenché une crise sécuritaire aiguë… Mais pour l’opinion, Moussa Mara est surtout le nouveau héraut de la fierté nationale.
Tout semble les séparer. La taille, le verbe, les manières, l’époque qui les a vus naître et dans laquelle ils ont pioché leurs références intellectuelles. Ibrahim Boubacar Keïta, 69 ans, diplômé en histoire et en relations internationales, est un homme de lettres. Moussa Mara, 39 ans, expert-comptable et savant communicant, est un homme de chiffres. Ils se sont même affrontés dans les urnes lors des élections législatives de 2007.
Mais aujourd’hui, alors qu’ils se trouvent à la tête de la même galère – ce Mali en proie à un vent de tous les diables depuis trois ans – et qu’ils affrontent la première crise politico-sécuritaire aiguë depuis l’avènement du nouveau régime, en septembre 2013, ce qui rassemble le président et son Premier ministre est plus fort que tout : un délicat mélange de souverainisme à fleur de peau, que la débâcle de Kidal, le 21 mai, n’a fait que renforcer, et de calcul politique.
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Certains ministres dénoncent un "coup de com"
Aujourd’hui, Mara répète à qui veut l’entendre qu’il a "le soutien plein et entier" du président – lequel l’apprécie – et que, sur la question du Nord, ils sont sur la même longueur d’onde. Plusieurs sources affirment qu’il aurait présenté sa démission au lendemain de la bataille de Kidal, mais qu’IBK l’aurait refusée. "On ne va pas ajouter une crise à la crise", explique-t-on dans l’entourage du président. Difficile en effet pour ce dernier de se débarrasser de son Premier ministre un mois et demi après l’avoir nommé.
Difficile, aussi, d’expliquer à la frange de Maliens qui ont fait de Mara le nouveau porte-drapeau de la fierté nationale – le thème favori de la campagne d’IBK – pourquoi il ne le conserve pas.
En se rendant à Kidal le 17 mai, ce qu’aucun autre ministre d’IBK n’avait réussi à faire en neuf mois, en faisant face à l’ennemi avec un certain courage, en dormant à même le sol dans le camp militaire qui se trouve au sud de la ville, puis en déclarant la guerre aux groupes armés lors de son retour à Bamako et en accusant à demi-mot la France et les Casques bleus d’être les complices des irrédentistes, Moussa Mara a gagné ses galons de héros de la nation dans le sud du pays et s’est fait un nom sur le continent.
En mettant le feu aux poudres, Moussa Mara a gagné ses galons de héros de la nation dans le sud du pays mais s’est aussi fait beaucoup d’ennemis.
Mais en mettant ainsi le feu aux poudres, en partageant la responsabilité avec les groupes armés d’une bataille qui a coûté la vie à de nombreux soldats maliens et qui a anéanti plusieurs mois d’efforts pour que le fief des rébellions touarègues revienne dans le giron malien, il s’est aussi fait beaucoup d’ennemis.
Dans l’opposition évidemment, qui juge sa visite "inconsidérée" et demande sa tête. Dans une frange de l’armée, où l’on s’irrite de sa manoeuvre : "Il n’avait rien à annoncer, alors pourquoi y aller ?" déplore un officier supérieur. Et jusqu’au sein de son gouvernement. Certains ministres dénoncent "un coup de com" d’un Premier ministre qui serait, selon eux, "obnubilé par son agenda personnel". "Il se voit déjà président", affirme l’un d’eux.
C’était une fixation depuis sa nomination, le 5 avril : Mara voulait aller à Kidal, la seule ville qui échappait encore à l’autorité malienne, avant tout le monde. Dès la mi-avril, il en informe ses partenaires français et onusiens. Les réunions préparatoires débutent. Des ministres lui conseillent de prendre son temps. Les diplomates étrangers lui parlent des menaces qui pèsent sur une telle visite.
Mais rien n’est simple dans le Mali d’aujourd’hui. Selon une source à la présidence, il était prévu que le Premier ministre se rende à Tombouctou puis à Gao. "Personne n’aurait compris qu’il ne se rende pas à Kidal dans la foulée." Des mesures ont été prises. Mara n’est pas arrivé par avion, ce qui l’aurait contraint à atterrir sur une piste à plusieurs reprises envahie par des manifestants, mais par hélicoptère, ce qui lui a permis de se poser dans le camp des Casques bleus.
Il était en outre prévu que son convoi ne pénètre jamais dans Kidal. "J’estime n’avoir commis aucune erreur. Je n’y suis allé que pour visiter l’administration, se défend-il. Je dois pouvoir aller à Kidal comme je vais à Sikasso. Et puis, on ne m’a jamais dit qu’il y avait une menace armée. On m’a parlé de femmes et d’enfants jetant des cailloux, comme lorsque mon prédécesseur avait tenté de s’y rendre, en novembre. Moi, je ne recule pas devant des cailloux."
Mara ne veut plus en parler
Voilà tout Mara : un homme de convictions, bravache, un rien tête brûlée. Il en faut de l’inconscience pour se lancer en politique à moins de 30 ans et pour réclamer un changement de génération dans un pays où le respect dû aux aînés reste l’une des clés des rapports humains. Mara avait 29 ans quand il a mené une liste aux élections communales de 2004, 32 quand il a mis en ballottage IBK lors des législatives, 34 lors de sa conquête de la commune de Bamako IV, 35 le jour où il a lancé son parti, Yéléma ("Changement" en bambara)… "Cette fougue, c’est ce qui plaît à IBK", explique un proche du président.
Ce fils de militaire pouvait-il ignorer que sa visite provoquerait une telle réaction ?
Tout de même : ce fils de militaire pouvait-il ignorer que sa visite provoquerait une telle réaction ? Le Nord n’a pour lui que peu de secrets : s’il est né à Bamako, sa mère est mariée à un Tamasheq de Ménaka, l’une de ses soeurs est tamasheq et il compte de nombreux amis touaregs avec lesquels il a lancé les bases d’une plateforme appelant à la paix l’année dernière.
Le 18 mai, c’est pourtant lui qui a parlé de "guerre". A-t-il donné l’ordre de lancer l’assaut trois jours plus tard ? Nombreux sont ceux qui le pensent. Lui dit ne plus vouloir en parler et, pour seule réponse, se lance dans une envolée patriotique qui ne déplairait pas à son patron : "Je suis tourné vers l’avenir. Nous sommes face au plus grand défi de notre histoire. Nous devons faire des choix que l’on aurait dû faire à l’indépendance. Nous allons inventer un Mali divers, pluriel et uni pour nos enfants."
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Le grand gâchis
Le constat est d’un ministre du précédent gouvernement qui suit de près les questions sécuritaires : "Quel gâchis à Kidal !" Certes, avant la visite du Premier ministre, l’armée malienne y jouait un rôle de figurante. Les 160 soldats qui s’y trouvaient ne sortaient de leur camp que pour s’approvisionner en vivres. La sécurité était assurée par les Casques bleus, en lien avec une trentaine de soldats français et près de 80 policiers maliens, et en étroite collaboration avec les groupes irrédentistes. Mais pour le reste, Kidal semblait revenir lentement dans le giron malien. Moussa Mara lui-même le reconnaît.
Le représentant de l’État, le gouverneur Adama Kamissoko, voyait régulièrement les chefs des groupes rebelles. "Ils fonctionnaient en bonne intelligence", assure notre ancien ministre. La vie de tous les jours avait retrouvé un semblant de normalité : le marché fonctionnait, le courant était disponible six heures par jour et l’eau n’était pas plus un problème que d’habitude. L’antenne locale de la radio d’État avait recommencé à diffuser les programmes nationaux, et la chaîne de télévision nationale était à nouveau accessible. Seules les écoles et les banques ne fonctionnaient pas encore.
Depuis le 21 mai, retour en arrière. Il n’y a plus d’électricité (pas même une heure par jour) et l’eau vient à manquer. Si le marché a rouvert, la radio et le gouvernorat sont aux mains des rebelles. Les fonctionnaires sont tous partis, et il ne reste plus aucun soldat malien sur place. Le camp qu’ils occupaient est entre les mains des groupes armés, qui l’ont abondamment pillé. Le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et le Mouvement arabe pour l’Azawad (MAA) assurent la sécurité de la ville, en lien avec les Casques bleus et une centaine de soldats français.
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