Guinée : Ebola, la fièvre monte à Conakry
Ebola tue maintenant au Liberia et en Sierra Leone, mais c’est toujours la Guinée qui paie le plus lourd tribut. Reportage dans un hôpital de Conakry, où l’on se bat pour sauver des vies.
Dans les interminables couloirs défraîchis de l’hôpital public Donka, à Conakry, le temps semble s’être arrêté. Dehors, il y a encore quelques petits vendeurs à la sauvette, mais à l’intérieur, les bancs sont déserts. Donka, comme l’appellent communément les Guinéens, n’est plus le même. En temps normal déjà, c’est un endroit que l’on préfère éviter : si on en a les moyens, mieux vaut aller se faire soigner ailleurs.
Mais ces jours-ci, c’est encore pire. Certains chauffeurs de taxi refusent même de s’y rendre. Pas question de s’approcher du centre de traitement des malades de la fièvre Ebola que l’ONG française Médecins sans frontières (MSF) a installé dans l’enceinte de l’hôpital depuis le mois de mars.
Dans son bureau, Hadja Fatou Sikhé Camara, la directrice générale de Donka, s’en désole. Tirée à quatre épingles, soigneusement maquillée même en ces temps de crise, elle admet qu’il y a eu "une baisse importante de la fréquentation de l’hôpital". "Au départ, les gens pensaient qu’à Donka on pouvait être contaminé ne serait-ce que par l’air, raconte-t-elle. Il y a eu une véritable psychose, y compris chez les professionnels de santé."
Depuis le début de l’épidémie, début 2014, Donka a perdu un médecin, victime du virus. Où et comment a-t-il été contaminé ? La directrice dit ne pas le savoir. "Mais une chose est sûre : cela ne s’est pas passé ici."
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Un taux de mortalité qui peut atteindre 90%
D’énormes seaux d’eau chlorée ont été disposés à l’entrée de l’hôpital, dans la cour et dans les étages de l’établissement. "Il faut se laver les mains !" entend-on à intervalles réguliers. En longeant les coursives, on se prend à imaginer ce à quoi pouvait bien ressembler cet endroit il y a quelques décennies. Peut-être les ventilateurs de plafond, aujourd’hui figés, fonctionnaient-ils. Peut-être la peinture ocre tenait-elle sur les murs… Mais Donka, construit en 1959, est aujourd’hui le symbole de la faillite du système de santé guinéen.
C’est dans la cour de l’hôpital, au pied d’un arbre immense et majestueux, que MSF a installé son unité de prise en charge. Interdiction d’entrer sans être accompagné d’un guide ou de se serrer la main. Il faut s’habituer à la forte odeur de chlore, puis se désinfecter les mains et les semelles des chaussures. "Il n’y a pas de traitement contre Ebola, explique Sam Taylor, porte-parole de MSF en Guinée [la souche Zaïre, présente en Guinée, est la plus pathogène avec un taux de mortalité qui peut atteindre 90 %].
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Mais cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire : on peut traiter les symptômes, en hydratant les patients et en leur donnant une alimentation spécifique. Le but est d’améliorer leur état de santé général pour que leur corps puisse produire des anticorps qui vont combattre le virus. Leurs chances de survie augmentent alors de 10 % à 15 %."
Ce jour-là, treize médecins sont présents. Ils sont étrangers ou guinéens, travaillent pour MSF, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’hôpital Donka. Deux d’entre eux, secondés par des infirmiers, s’apprêtent à faire leur ronde – ils en effectuent au moins quatre par jour. Ils enfilent combinaison, bottes, gants, lunettes et masque… Une préparation minutieuse qui dure plus d’une dizaine de minutes et qui leur a valu le surnom de cosmonautes.
"Ils y vont à plusieurs pour se surveiller les uns les autres, explique Sam Taylor. Et puis avec tout cet attirail, ils sont moins agiles et ont très chaud. Ils ne peuvent pas passer beaucoup de temps avec les malades." Macenta, en pleine Guinée forestière, est considérée comme l’un des épicentres de l’épidémie. Dans cette ville qui n’avait jamais connu Ebola, les gens ont pris peur lorsqu’ils ont vu les agents vêtus de combinaisons de protection débarquer pour isoler certains de leurs proches ou de leurs voisins. En avril, le centre de soins de l’OMS a même été attaqué.
"Certains ne veulent pas croire qu’ils sont malades"
À Donka, les patients testés positifs au virus sont confinés dans la zone dite à "haut risque". Les cas suspects, en attente des résultats d’analyses, sont dans la zone à "bas risque". Ce jour-là, dans la première des deux zones, quatre cas confirmés, tous de la même famille. Chacun a été installé dans une chambre individuelle, avec douche, toilettes, radio et téléphone portable. Angéline Tenguiano, psychologue, rend visite chaque jour aux malades. "En arrivant, certains ne veulent pas croire qu’ils sont malades, raconte-t-elle. Ils refusent les traitements, ils ne veulent plus manger. Il faut essayer de les convaincre. Leur expliquer les symptômes de la maladie et leur donner espoir."
Angéline garde des souvenirs de tous les patients : il y a ceux qui recevaient beaucoup de visites, ceux qui ont été seuls du début à la fin, faute d’avoir pu ou voulu prévenir leur famille. Il y a ceux qui sont morts et ceux qui ont miraculeusement survécu. Mais même pour eux, tout n’est pas gagné. "Nous donnons aux malades qui s’en sont sortis une attestation pour prouver qu’ils sont guéris. Mais souvent, leurs proches et amis ne viennent plus les voir, continue Angéline. Certains s’isolent, ne fréquentent plus que les personnes rencontrées ici. Il faut donc continuer de les suivre, aller voir les chefs de quartier et leur expliquer qu’ils ne sont plus contagieux."
Les soignants finissent leur ronde en sueur, tandis que leurs combinaisons, masques et protège-têtes sont brûlés. Tout ce qui peut être réutilisé est soigneusement lavé et désinfecté. Carissa Guild, une jeune infirmière américaine, veut garder confiance : "C’est formidable de voir des patients sortir d’ici guéris, dit-elle. Ce qu’il faut maintenant, c’est former le personnel guinéen et étranger pour qu’il puisse faire face."
À ce jour, vingt-neuf hommes et femmes ont été guéris à Donka. Dix-neuf sont décédés – mais ce n’est pas à Conakry qu’Ebola a fait le plus de ravages. Mi-juin, l’OMS recensait 264 morts dans tout le pays. Pour la directrice de l’hôpital, l’heure n’est d’ailleurs pas au bilan. "Pour l’instant, on gère l’épidémie, affirme Hadja Fatou Sikhé Camara. On verra après comment améliorer la gestion de ce genre de crise sanitaire et la formation du personnel."
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