Freestyle ball : Amine Ksassoua, libre jongleur
À 24 ans, le Franco-Marocain Amine Ksassoua est un retraité du freestyle ball, une discipline hybride, parfois ingrate, à laquelle il n’a pas voulu tout sacrifier.
La balle tourne sur elle-même à pleine vitesse sur le bout de l’index, dévale le long du bras, rebondit, vole vers la nuque, se bloque dans le creux de la cuisse et fait « le tour du monde » sans jamais toucher le sol, autour d’un pied lui-même en pleine chorégraphie. Amine Ksassoua pratique le freestyle ball, une discipline mêlant danse, acrobatie et sport, née dans les années 1990 et popularisée la décennie suivante par les jonglages de Ronaldinho ou de Cristiano Ronaldo.
Ksassoua les a découverts à la télévision dans les publicités de Nike, en 2006. Il avait 16 ans et vivait à Courbevoie, dans l’Ouest parisien, où sa famille s’était installée deux ans auparavant en provenance du quartier Hay Salam, à Salé (Maroc). « J’étais maigrichon, alors quand les copains jouaient au football, je m’entraînais au jonglage sur le terrain de basket », explique le jeune homme de 1,70 m, dont le corps est désormais sculpté par les heures d’entraînement.
C’est sur l’esplanade parisienne du Trocadéro qu’Amine Ksassoua débute ses spectacles de rue. La première fois, intimidé par les pionniers, qui ne sont qu’une poignée en France, il ne sort pas le ballon de son sac. Mais au fil des mois, il construit ses performances, interagit avec les passants, achète une sono avec Malik, son partenaire de scène. Passionné, l’adolescent se cache de son père pour sortir jongler en douce, tandis que sa mère le rappelle à ses études, un bac pro restauration.
« Je voulais avoir mon blase sur un flyer, comme dans un cirque ! » explique Amine, blouson noir et gel dans les cheveux, pour qui le freestyle est un spectacle, et le freestyler un artiste. « Je devais créer mon style, urbain, ne surtout pas être habillé en footballeur. Je voulais jongler en jean, et j’ai bossé dur pour y arriver. Chaque performance doit raconter une histoire, parfois sur de la musique classique, parfois sur de l’électro. Aujourd’hui, on voit sur internet des clashs très techniques entre freestylers. Les Polonais sont les meilleurs, mais il n’y a rien d’artistique dans ce qu’ils font. »
Le soir de Noël 2007, sur les Champs-Élysées, il compte dans sa casquette 400 euros en pièces de 1, et envisage de construire une carrière. Mais c’est l’époque où breakdancers et freestylers doivent jouer au chat et à la souris avec la police, qui les chasse des sites touristiques. Amine se déplace partout pour des particuliers ou des associations – souvent gratuitement. Yacine, son ami depuis le lycée, se souvient de sa détermination.
« Même quand il se séparait d’un binôme, il ne lâchait jamais. C’est quelqu’un de joyeux, et son objectif c’est avant tout de donner du plaisir au public. » Son acharnement paie. Héros de films publicitaires pour des produits coiffants de L’Oréal, artiste invité dans un clip du rappeur Sefyu, Ksassoua est reconnu dès 2010. « J’ai tapé la balle avec Zidane, lors d’un gala de l’équipe de France 1998 ! » raconte-t-il avec le regard d’un garçonnet émerveillé, amoureux du beau sport et des sportifs respectables.
La concurrence entre amis, les mauvais coups ou l’argent roi, ce n’est pas pour lui.
La concurrence entre amis, les mauvais coups ou l’argent roi, ce n’est pas pour lui. Arrivé deuxième de la première édition du championnat de France de freestyle ball en 2010, il préfère rester en retrait par la suite : la Fédération de foot en salle s’oppose aux pionniers et à leurs gros sponsors pour la tutelle de la compétition. « Chacun voulait sa part du gâteau. Et il y a beaucoup de copinage entre jurés et participants », explique Amine derrière ses lunettes Redbull, mécène historique du freestyle. « Je me les suis payées moi-même », précise-t-il en souriant.
En France, il est très difficile de vivre d’une discipline qui compte à peine quelques centaines de pratiquants. Malgré quelques bons cachets, le métier reste marginal, les contrats rares. « C’est parti de rien et l’on ne sait pas quand cela s’arrêtera. Les gens vont peut-être se lasser », analyse le Franco-Marocain, qui regrette un peu ce bac jamais passé qui l’aurait aidé à devenir éducateur sportif. Ce jour-là, il ne s’était pas rendu aux épreuves mais à un show bien rémunéré. En 2012, il crée son autoentreprise, Amaynevent, pour offrir des prestations de freestyle mais aussi de danse, de diabolo ou de magie.
Il entreprend en parallèle une formation dans la sécurité incendie et y travaille à plein temps depuis 2013. « J’ai pris ma retraite ! Les autres freestylers sont souvent à Dubaï maintenant, mais pour avoir une vie de famille, ce n’est pas possible. » Marié en 2012 avec une admiratrice rencontrée au pied de la tour Eiffel, Amine Ksassoua est un réaliste sans regret. Ce qui ne l’empêche pas d’espérer créer une école de freestyle, ou de donner un jour une prestation au Maroc, où il ira bientôt présenter son enfant, à naître en juillet.
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