Centrafrique : Jean-Serge Bokassa croit en son « destin politique »

Un brin mégalo, Jean-Serge Bokassa ose tout. Y compris se rêver en homme providentiel dans ce pays que son père dirigea jusqu’en 1979. La présidentielle de 2015 ? Il y pense très sérieusement.

Jean-Serge Bokassa chez lui à Bangui, le 9 juillet. © Tanya Bindra pour J.A.

Jean-Serge Bokassa chez lui à Bangui, le 9 juillet. © Tanya Bindra pour J.A.

Publié le 22 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Mis à jour le 07/10/2014 à 12:46. (Voir courrier à la fin du texte)

Un verre de vin rouge à la main, Jean-Serge Bokassa a l’accent des fils de bonne famille. Vite emporté par la colère, il se contient et laisse échapper un "purée de patates !" – son juron favori. Et des motifs d’emportement, le fils du dernier empereur d’Afrique en a à la pelle. Tout d’abord, Jean-Serge, 42 ans, assure qu’il n’est pas qu’un fils à papa (même si c’est à cette filiation qu’il doit aujourd’hui sa petite notoriété).

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Il insiste pour que l’on s’en souvienne. Pourtant, ce qu’il appelle son "destin politique" n’est pas sans lien avec l’histoire de Jean-Bedel Bokassa. Sauf que ce dernier ne l’aurait jamais encouragé dans cette voie "parce que la politique lui a tout pris".

Quinzième rejeton officiel, Jean-Serge se targue d’être le seul parmi les 55 enfants qu’aurait eus l’ancien président à être revenu s’installer en Centrafrique – et à ne pas l’avoir quittée depuis, même en pleine offensive de la Séléka, début 2013. À l’en croire, il est aussi le seul à avoir vécu avec son père à Bangui depuis sa sortie de prison, en 1993, jusqu’à sa mort, en 1996.

Missionnaire pendant trois ans

Sur la chronologie exacte, Jean-Serge entretient le flou. Avant de s’occuper de son père, il s’est cru appelé par Dieu et a été missionnaire pendant trois ans. Et encore avant ? Il y a eu la pension en Suisse, puis le Gabon, pays d’origine de sa mère, Marie-Joëlle Aziza-Eboulia (l’une des dix-huit épouses de son père), puis la Côte d’Ivoire, où l’empereur déchu avait trouvé refuge… De ces années chahutées, il se contente de dire qu’elles ont été "extrêmement dures".

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En 2003, à la faveur du dialogue politique national lancé par François Bozizé, qui vient de renverser Ange-Félix Patassé, il s’engage en politique. Il est élu député de Mbaiki, dans la Lobaye, avant de devenir ministre de la Jeunesse et des Sports entre 2011 et 2013. Il n’est affilié à aucun parti mais soutient le Kwa Na Kwa (KNK) de Bozizé. Les deux hommes se tutoient et, aujourd’hui encore, Jean-Serge Bokassa dit porter de "l’estime" à celui qui a réhabilité son père en 2010.

Maintenant que Bozizé n’est plus au pouvoir, il affirme aussi se sentir plus libre d’exprimer son ambition. Si cela ne l’avait pas empêché d’être candidat à la présidentielle en 2015, il se serait bien vu ministre au sein du gouvernement de la Transition (son nom aurait d’ailleurs été proposé par les anti-balaka à la chef de l’État, Catherine Samba-Panza). Un brin mégalo, il se rêve en cet "homme nouveau" dont la Centrafrique a besoin.

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C’est sans doute cette ambition qui l’a rapproché de Patrice-Édouard Ngaïssona, coordinateur des anti-balaka. Mais sur ses affinités politiques, Jean-Serge Bokassa veut rester discret. Frileux, il refuse de nommer ses alliés : il faut savoir naviguer… Sur ses ennemis, en revanche, il est plus disert. Et à mesure que le temps passe, dans sa modeste villa de Bangui, il oublie peu à peu son "aversion pour la violence" : il prône le principe de réciprocité. On oublie trop vite, martèle-t-il, ce qu’ont subi les chrétiens sous la présidence de Michel Djotodia, chef de la Séléka et tombeur de Bozizé. "Le fait que les musulmans soient une minorité leur donne-t-il le droit de tuer si massivement ?"

Fin mai, il a coorganisé une marche exigeant le désarmement du quartier musulman PK5, le départ des forces burundaises, jugées proches de la Séléka, et le réarmement de l’armée centrafricaine. La manifestation présentée comme "pacifique" a fait des blessés et une mosquée a été saccagée. Convoqué par le procureur de la République, il dénonce une "tentative d’intimidation" de la part d’un gouvernement volontiers qualifié de laxiste. Soudain, il se tait. Comment pourrait-il critiquer davantage une équipe au sein de laquelle il n’exclut pas de se faire une place ?

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Suite à la publication de cet article, Jean-Serge Bokassa a souhaité répondre à J.A.

"J’ai pu constater que des faits inexacts et non conformes à mes déclarations ont été mentionnés dans l’article publié dans votre journal après l’interview que j’ai accordée à votre envoyée spéciale. De prime abord, pour ce qui est de ma famille, je ne suis pas le seul parmi les enfants de mon feu père à être revenu m’installer en Centrafrique et à avoir vécu avec lui après sa sortie de prison. Je n’ai pas tenu de propos contraires au cours de l’interview.

Par ailleurs, je ne me considère pas comme un "messie" pour la Centrafrique ou encore "appelé par Dieu", selon les termes de l’auteure de l’article. Mais je revendique tout simplement le fait d’appartenir à une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui veulent oeuvrer pour leur pays. S’agissant de mes relations politiques, il est faux de soutenir que je me suis rapproché de M. Patrice-Édouard Ngaïssona, coordinateur des anti-balaka, pour des visées particulières.

Il est également faux d’alléguer que je ménage le gouvernement dans mes critiques car, dit l’article, "[je n’exclus] pas de [m’y] faire une place". J’ai par exemple été on ne peut plus clair pour souligner les insuffisances de son action en matière sécuritaire et formuler des propositions. Quant au déroulement de la marche en faveur du PK5, votre journal fait encore un amalgame regrettable avec d’autres manifestations. La nôtre a, en effet, été pacifique et sans incident. Ainsi, l’instruction judiciaire ouverte par le procureur n’a aucunement conclu à une quelconque responsabilité nous concernant."

Jean-Serge Bokassa, Bangui, Centrafrique

Réponse :

"Comme le messie" est un choix de titre incitatif, qui souligne votre engagement de chrétien pratiquant. Il fait également référence à vos ambitions politiques. S’agissant de votre famille et de votre retour en Centrafrique, c’est vous-même qui avez insisté sur ce point, soulignant votre proximité avec votre père et votre attachement à votre pays, en comparaison avec vos autres frères et soeurs.

Vos liens avec les anti-balaka m’ont été confirmés par plusieurs sources politiques, militaires et judiciaires, et au sein même du mouvement. Lequel vous avait d’ailleurs proposé pour une entrée dans le gouvernement. Quant à la chute de l’article, "un gouvernement au sein duquel il n’exclut pas de se faire une place" : vos prises de position sont claires, critiques, celles d’un homme politique indépendant. Le gouvernement de transition centrafricain réunit toutes les tendances.

Votre nom, à l’époque où cet article a été rédigé (avant le remaniement), a souvent été évoqué, par des proches comme par des ennemis politiques.

Dorothée Thienot

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