Mohamed Talbi : « L’islam est né laïc »
L’auteur tunisien de « Ma religion c’est la liberté » n’en démord pas : le Coran est porteur de modernité et de rationalité, mais son message a été altéré par les hadiths et la charia. Rencontre avec le doyen de la pensée critique musulmane, Mohamed Talbi. Une interview parue dans « Jeune Afrique » n° 2793 (20-27 juillet 2014).
Né en 1921 à Tunis, Mohamed Talbi est considéré comme l’un des historiens et penseurs les plus éminents du monde arabo-musulman. Agrégé d’arabe en 1952, premier doyen, en 1966, de la faculté des lettres et sciences humaines de Tunis, il soutient sa thèse de doctorat sur les Aghlabides (première dynastie arabo-musulmane fondée en Tunisie) en 1968, à la Sorbonne. Devenu opposant au régime de Ben Ali, il rejoint au début des années 1990 le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT, non reconnu alors).
Salué comme un penseur tolérant et ouvert, il n’en heurtera pas moins nombre de ses coreligionnaires en raison notamment de sa critique radicale des hadiths (traditions relatives aux actes et aux paroles du Prophète), seconde source de la législation après le Coran aux yeux des sunnites. Pionnier du dialogue interreligieux, Talbi ne s’est pas non plus privé de reprocher aux chrétiens de méconnaître l’islam.
Ardent défenseur de la liberté de penser, il dénonce le passéisme du wahhabisme, tout en livrant un combat acharné contre ceux qui osent remettre en question la véracité du Coran, qu’il nomme les "désislamisés". Personnalité à la fois tolérante et sans demi-mesure, ouverte et radicale, Talbi déroute.
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En réalité, l’homme qui aime à dire qu’il est "historien et non pas passeur de pommade" est attaché au parler vrai. S’il réclame le droit d’être intransigeant, il ne voue pas pour autant aux gémonies ceux qu’il estime être dans l’erreur, restant à l’écoute de ses contradicteurs, au point de qualifier de "sympathiques" certains pourfendeurs de l’islam tel Michel Houellebecq. Sa liberté de ton, il affirme la tenir du Coran : "Je ne cesserai jamais de dire que l’islam nous donne la liberté, y compris celle d’insulter Dieu…" (Le Monde, 2009).
Son ami le père Michel Lelong le défend en ces termes : "Son sens de la justice et sa quête de la vérité le conduisent parfois à des jugements excessifs. Mais c’est un homme sincère, fondamentalement croyant et profondément attaché au message du Coran."
En éternel ennemi du wahhabisme et du fondamentalisme, l’auteur du Plaidoyer pour un islam moderne (1998) dénonce l’intention des islamistes d’instaurer des dictatures théocratiques. Et va encore plus loin dans ses déclarations – certains diront ses provocations – en qualifiant par exemple la deuxième épouse du Prophète, Aïcha, de "femme de petite vertu", ou en affirmant que l’islam n’a jamais interdit la prostitution et que les péripatéticiennes ne commettent aucun péché. Mais le tollé soulevé par ses propos n’émeut pas outre mesure Mohamed Talbi, qui continue, depuis sa petite maison du Bardo, de penser et d’écrire comme si de rien n’était.
Jeune Afrique : Vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que nous conduisions notre entretien en français ?
Mohamed Talbi : Pas du tout. Le français est une belle langue, nuancée, fine. Pourquoi la récuserait-on ? Par chauvinisme ou je ne sais quel déni incongru ? C’est notre langue d’ouverture. Nous ne pouvons le nier. C’est une langue de l’islam aussi. Car l’islam n’a pas de langue précise, pas plus que Dieu. Toutes les langues du monde sont les langues de l’islam.
Les musulmans pensent qu’Allah parle arabe…
C’est plutôt le contraire que dit Allah : "Si le Coran avait été révélé ailleurs, il serait descendu dans la langue de la communauté réceptrice." Cela aurait pu être un Coran non arabe.
Justement. Comment expliquer le manque d’ouverture du monde arabo-musulman et son repli identitaire ?
On ne peut pas empêcher l’homme d’être imbécile, c’est ce qui fait d’ailleurs son charme. L’idiotie est un aspect de l’humain. Imaginez un monde fait d’êtres superintelligents. Il serait insipide. Nous avons besoin d’imbéciles, à condition qu’ils ne deviennent pas explosifs, dans le sens littéral et figuré du terme. J’ai entendu un jour un certain Gassas [député tunisien qui s’est illustré par ses sorties misogynes au sein de l’Assemblée nationale constituante, NDLR] déclarer que, selon la religion, les femmes doivent rester à la maison et qu’elles ne sont que le tiers de l’homme. Comment cela se peut-il dans le monde actuel ? Mais cela est. Ce monsieur croyait dire la vérité.
L’Occident a sa part aussi dans la bêtise. George W. Bush est-il un homme intelligent ? Je me le demande. Il n’a fait que se tromper, alors qu’il était entouré des plus grands experts et intellectuels de la planète. Qui l’a poussé à aller en Irak ? Pourquoi a-t-il menti sur les prétendues armes de destruction massive qu’aurait détenues Saddam ? Voilà le chef du pays le plus puissant du monde qui se révèle être l’un des plus grands imbéciles ! Notre Gassas est folklorique. Mais Bush est dangereux, et il l’a démontré. Les musulmans n’ont pas l’apanage de la bêtise.
En juin 1957, des dizaines de jeunes filles se présentent au premier baccalauréat tunisien organisé après l’indépendance. © Studio Kahia/Archives Jeune Afrique
Qu’est-ce qu’être musulman, selon vous ?
Être musulman, c’est se revendiquer de l’islam. C’est naître d’une cellule musulmane. C’est s’assumer comme tel en toute liberté et en toute intelligence. Lorsqu’on est musulman, on est conditionné, on ne peut pas le nier. C’est idiot, mais c’est comme ça. On est condamné à être ce que l’on est. C’est une sorte de code génétique. Vous me direz, est-ce qu’on est libre dans ces conditions ? Non. Est-ce qu’on devient libre ? Oui, on le peut. Mais on ne le devient pas forcément.
Pensez à tous ces automates commandés par leur naissance et qui ont des convictions en béton, au point de tuer. Ceux-là ne se considèrent pas comme des terroristes, il s’agit selon eux de convictions. Des convictions que nous considérons, nous, comme du terrorisme. Et c’est là tout le problème. Celui de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ?
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Quel jugement portez-vous sur le terroriste qui invoque des convictions musulmanes ?
Je peux d’autant plus porter un jugement sur lui qu’il ne se prive pas d’en porter sur moi. Personnellement, j’ai été accusé de kofr ["apostasie"] et condamné par trois mouvements islamistes, qui ont réclamé ma mise à mort. La sentence a même été taguée sur les murs de ma maison. Cela ne m’a pas effrayé. J’en ai informé la police, qui d’ailleurs ne s’est pas déplacée.
De toute façon, je suis appelé à disparaître un jour. Je n’ai pas demandé une protection particulière. Mon jugement sur le terroriste est qu’il n’agit que par agressivité et que toute agressivité est à condamner. On doit répondre à l’agression par l’autodéfense. Il me semble que c’est juste et rationnel. Il ne s’agit même pas de religion. Aucun dieu ne dit de porter atteinte à la vie de l’autre. En l’occurrence, il s’agit simplement de défendre le droit à la vie. Il y a là quelque chose de parfaitement fondé. Ceux qui prétendent que l’islam est violent se trompent.
Partout dans le monde, il y a toujours eu des terroristes avec des visées différentes. L’Europe a eu ses terroristes avec ou sans Dieu, athées ou au service d’un idéal. Le terrorisme n’est pas uniquement religieux. C’est une déformation de la structure de la pensée qui nie la liberté. C’est cela le terrorisme : une négation de la liberté.
Je prétends que l’islam est un humanisme. Il n’y a pas dans le Coran un chapitre sur l’extermination sacrée.
Certains accusent l’islam d’avoir une propension à la violence…
C’est faux. C’est plutôt dans la Bible qu’on trouve des incitations à la violence. Car la Bible parle d’extermination sacrée. J’ai cité le passage relatif à cette incitation quand il y a eu l’opération israélienne Plomb durci à Gaza avec toutes sortes d’armes d’extermination [décembre 2008-janvier 2009]. Pourquoi ne parle-t-on pas de la violence des autres religions dans ce cas ? Est-ce qu’il y a différentes manières de tuer, les unes plus pacifiques que les autres ? Est-ce qu’il y a des armes autorisées ? Cela me fait rire.
Je prétends que l’islam est un humanisme. Il n’y a pas dans le Coran un chapitre sur l’extermination sacrée. Il y a toujours cette règle de distinction dans l’exercice de la violence : "N’agressez pas. Si vous êtes agressés, ripostez de la même manière dont vous avez été agressés et, toutefois, restez pieux envers Dieu." C’est ça la règle. Les autres versets qui parlent de violence sont l’exception. Au début, les musulmans ont tout supporté de la part des Mecquois sans riposter. On leur a confisqué leurs biens et ils se sont abstenus de répondre. Il est vrai qu’ils étaient trop faibles. Mais, à un moment, Dieu les a autorisés à répondre à la violence par la violence. Ce fut la première fois que le Coran autorisa la riposte.
Vous avez toujours dit que votre seule référence était le Coran.
Oui. Je ne crois qu’au Coran et pas à la charia. Je ne retiens comme hadith vrai que celui qui concorde avec le Coran. Par exemple, ce hadith : "Le musulman est celui qui ne porte aucun préjudice aux autres ni par sa langue ni par sa main." C’est un propos qui définit exactement le Prophète, homme pacifique s’il en est. Et qui est en parfaite adéquation avec le Livre, lequel dit, en quelque sorte : "Foutez-vous la paix mutuellement." Autre exemple, on a rapporté au Prophète cette histoire : "Nous avons vu unetelle fricoter avec un homme." Et le Prophète de répondre : "Pourquoi ne l’avez-vous pas couverte de votre manteau ?" Là, j’achète.
C’est un hadith qui converge avec l’islam tel que je le conçois : porté sur la confiance mutuelle et le respect de l’autre. Pour le reste, je dis que seul le Coran oblige. La charia est oeuvre humaine. Il faut lutter contre elle par la critique, la rénovation de la pensée, la revendication des droits de l’homme et la laïcité.
La laïcité ?
Oui. L’islam est né laïc. "Nulle contrainte en matière de religion." Le Coran est le seul livre sacré qui dise cette phrase, si claire, si laïque. Chacun pratique la religion qu’il veut. L’État n’a pas à s’immiscer dans les affaires religieuses. Il a une seule fonction : créer une atmosphère de paix pour tous. Or qu’ont fait les États islamiques ? Ils ont exercé la contrainte religieuse. Et le Coran dit non aux États islamiques.
Du temps du Prophète, il y avait des juifs et des chrétiens. Mohammed n’y voyait pas d’inconvénient. On ne l’a jamais vu courir dans les rues armé d’un gourdin, demandant "qui est chrétien ?" pour asséner des coups. C’est le conservatisme arabe qui a triomphé en la matière, et on a attribué cette dérive à l’islam. L’islam est venu apporter la modernité et la rationalité. Le Coran, c’est l’appel à la raison, donc à la laïcité.
Nous avons pour nous le Coran, les islamistes ont pour eux une charia de fabrication humaine. Nous avons un texte fondateur de l’islam, ils ont une série de commentaires rédigés au IIe siècle de l’hégire (VIIIe siècle ap. J.-C.). Jusque-là, les musulmans avaient vécu sans charia et s’en portaient très bien. Leur malheur a commencé à partir du moment où ils ont élaboré une loi islamique au profit de despotes désireux avant tout de commander et de pouvoir tuer légalement. La charia n’est rien d’autre que cela.
Se référer au Coran veut-il dire observer toutes ses recommandations et obligations sans possibilité de les faire évoluer ?
Pas du tout. Le Prophète lui-même avait modifié certaines dispositions durant les vingt premières années, en disant "celle-ci est bonne" ou bien "aujourd’hui, je vous donne une meilleure recommandation". La lecture du Coran doit être vectorielle. D’ailleurs, le mot "charia" n’existait pas à l’époque. On utilisait le mot "hidaya", "orientation". Et l’orientation est dynamique par définition. Il est dit : "Le Coran oriente vers ce qui est le plus droit." Dans la vie humaine, l’orientation est toujours à parfaire et il faut tenter d’aller vers le plus droit, selon son époque et son temps.
Il faut actualiser certaines lois coraniques. C’est dans l’esprit du Livre que de corriger ce qui est perfectible.
Peut-on, par exemple, revenir sur la loi coranique concernant l’héritage ?
Bien sûr. Il faut l’actualiser. C’est dans l’esprit du Coran que de corriger ce qui est perfectible. Il nous dit sans cesse d’aller plus loin. La société doit légiférer pour plus de justice en matière de droits de l’homme et de la femme. La loi doit être constamment adaptée à chaque lieu et à chaque époque. Ce qui est bon aujourd’hui ne le sera pas forcément demain.
Et la lapidation ?
Elle n’existe pas dans le Coran. Elle fait partie de la tradition juive. Aucun verset n’en parle. La lapidation est une "perle" de la charia. L’appliquer est une aberration. Ce serait comme si un juge légiférait selon une loi en disant qu’elle n’existe pas dans le code mais qu’elle est toujours valable.
La polygamie ?
Le Coran ne l’a pas inventée. Loin de là. Il l’a trouvée, et elle était illimitée. Elle était en usage surtout en Afrique. À tel point que même l’Église a permis aux Subsahariens de multiplier les épouses. Idem en Perse et en Inde. Le Coran a limité et conditionné la polygamie. Et notre Bourguiba a très bien vu les choses en l’interdisant. En effet, comment être juste avec trois ou quatre femmes, comme le recommande le Coran ?
Peut-on avoir un regard critique sur l’islam, d’une manière générale ?
Oui. C’est ce que nous faisons. Cependant, le regard qui prétend que le Coran n’est pas vrai, ou qu’il n’est pas authentique, n’est pas admissible. À partir du moment où l’on déclare l’irrecevabilité de la révélation, on cesse d’être musulman. Parce que l’islam commence par cette phrase : "Ceci est le Livre qui ne souffre aucun doute." Le musulman est celui qui ne doute pas du Livre.
Le musulman croit que le Coran est la parole de Dieu. Vous pouvez être en désaccord, dire que ce texte est écrit, fait de fragments, a été forgé au cours de l’Histoire, etc. Vous êtes libre de quitter l’islam. Je recommande même à qui se sent mal à l’aise dans cette religion ou doute de la révélation de ne pas être musulman. Celui qui ne trouve pas ses repères en islam, qu’il en sorte !
Mais il risque la mort pour apostasie…
Comme la lapidation, l’apostasie n’existe pas dans le Coran. Elle a été créée par la charia pour permettre aux tyrans de sévir et d’assassiner. Durant l’époque des califes, on pouvait être ce qu’on voulait, à condition de ne pas se rebeller contre le souverain. Mais à partir du moment où l’on se rebelle, on peut vous trouver n’importe quel prétexte pour vous tuer.
Peut-on être ou rester musulman en vivant ailleurs qu’en terre d’Islam ?
On l’est souvent malgré soi. L’islam a cessé d’être une religion pour devenir une identité. Il est devenu une appartenance à une communauté. Regardez, l’État français vous qualifie de musulman dès lors que vous êtes basané ou que vous portez un nom arabe. N’est-ce pas là forcer les musulmans à se considérer comme tels même s’ils sont sans foi ni religion ?
Seulement parce qu’ils constituent une communauté venue se greffer sur le peuple français qui, lui, n’est pas communautaire ? Les juifs posent d’ailleurs le même problème. Ils constituent eux aussi une communauté, et même quand ils ne sont plus juifs, ils continuent d’être vus comme tels. Une Rachida Dati, par exemple, peut déclarer en France : "Je suis française de parents étrangers." Point. Elle n’est pas forcément musulmane.
Je conseille fortement aux musulmans identitaires de dire qu’ils ont quitté l’islam, qu’ils ne sont plus musulmans, et de s’intégrer dans les sociétés laïques où ils se trouvent ! Il n’y a pas de mal à cela. De même, 60 000 Tunisiens se sont convertis au christianisme. Ils ont renié l’islam, c’est leur droit. Je les ai visités dans leurs églises. Il n’y a là aucun mal.
Peut-on être musulman et ne pas pratiquer ?
Non. Si on rejette la pratique, on rejette le Coran et on n’est donc plus musulman. Dieu dit : "Cette communauté qui est la vôtre est une et je suis votre Seigneur. Adorez-moi !" Les obligations religieuses font partie de la foi. Si l’on ne pratique pas par omission ou par faiblesse, cela veut dire qu’on croit encore aux obligations. Cette désobéissance est censée être provisoire. Cependant, si l’on ne pratique pas par principe, il s’agit d’un rejet. L’islam est foi et pratique. Quitter la pratique, c’est quitter la foi.
Il y a ceux qui confondent rituel et foi.
À l’inverse, tout musulman qui prie par contrainte ne prie pas. Une pratique réduite à un rituel sans spiritualité n’est pas l’islam. Ce sont des gestes sans valeur.
Ce qui se passe actuellement dans le monde musulman ne vous rend-il pas pessimiste ?
Si je n’étais pas confiant dans l’avenir de l’islam, est-ce que j’aurais pris la plume pour écrire ? On n’écrit pas quand on est pessimiste. Je soutiens que l’islam est fatalement condamné à revenir à sa pureté originelle.
Et vous n’avez jamais cessé d’écrire ?
En principe, à mon âge, on doit cesser d’écrire. On est déjà hors du monde. Est-ce que je peux encore me permettre d’écrire alors que je ne représente plus rien ? Le monde, c’est la jeunesse. Ce sont les jeunes qui portent la vie. Mais je continue à écrire, c’est tout. Et je me console en me comparant à un marchand de salades. Je plante mes salades, je les mets sur le marché, je ne les impose à personne. Si quelqu’un vient quand même les acheter, c’est son affaire. Il en porte la responsabilité, pas moi.
La dimension structurante de ma pensée, c’est la liberté. La mienne et celle de l’autre.
Mais vous influez sur sa pensée…
Pas forcément. La dimension structurante de ma pensée, c’est la liberté. La mienne et celle de l’autre. D’ailleurs, je n’offre pas mes ouvrages. Car les offrir, c’est les imposer. Maintenant, je suis en train de vous parler, mais c’est à votre demande. Je ne suis pas responsable. Vous me questionnez, je réponds. Si j’orientais votre pensée, je serais coupable.
Et je me dis : celui qui me lit, il a la faculté, toujours, de me refuser, et il est responsable de lui-même. Il se laisse orienter. Tant mieux ou tant pis pour lui. Moi aussi, je m’étais laissé orienter par d’autres. Si je suis ce que je suis, c’est parce que je me suis abreuvé à plus d’une source. Et je ne le regrette pas. Cela m’a permis au fond d’être moi-même. Ce qui me réconcilie avec moi, c’est que j’ai été et que je continue à être en péril dans ma connexion avec l’autre. Celui qui me lit court le même risque. Car les hommes sont en connexion. Certains d’entre eux commettent le péché d’écrire. C’est mon cas.
Vous parlez beaucoup de liberté…
Tout ce qui tue la liberté tue l’homme. Dans le monde ontologique, l’homme était un projet et Dieu lui a demandé : "Qu’est-ce que tu veux ? Être libre ou contraint ?" L’homme a répondu : "Je veux toucher l’arbre. L’arbre interdit." Car il faut avoir la possibilité réelle de désobéir, de nier Dieu. L’histoire de la tentation de l’arbre dans le Coran, c’est le moment crucial du choix.
L’homme a voulu être libre et, pour être libre, il lui faut nécessairement désobéir à Dieu. Sinon, il ne possède pas de preuve de sa liberté. Ce sont ces risques et ces possibilités de désobéissance qui ont fait que je suis devenu croyant.
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Propos recueillis à Tunis par Fawzia Zouari
Bibliographie sélective
- Ibn Khaldûn et l’Histoire, éd. Société tunisienne de diffusion, Tunis, 1965, rééd. Maison tunisienne de l’édition, Tunis, 1973, et Cartaginoiseries, Carthage, 2006
- Étude d’histoire ifrîqiyenne et de civilisation musulmane médiévale, éd. université de Tunis, Tunis, 1982
- Réflexions sur le Coran, avec Maurice Bucaille, éd. Seghers, Paris, 1989
- Études sur la tolérance (ouvrage collectif), éd. Beït El Hikma, Carthage, 1995
- Plaidoyer pour un islam moderne, éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1998
- Penseur libre en islam. Un intellectuel musulman dans la Tunisie de Ben Ali, avec Gwendoline Jarczyk, éd. Albin Michel, Paris, 2002
- Universalité du Coran, éd. Actes Sud, Arles, 2002
- Gaza, barbarie biblique ou De l’extermination sacrée et humanisme coranique, sans éd., Tunis, 2010
- L’Islam n’est pas voile, il est culte, éd. Cartaginoiseries, Carthage, 2009
- Ma religion c’est la liberté, éd. Nirvana, Tunis, 2011
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