Côte d’Ivoire : présidentielle 2015, les lièvres et la tortue
Alors que la présidentielle de 2015 se dessine, les grands leaders politiques s’apprêtent à se lancer dans la course. Alassane Ouattara, déjà candidat, préfère, lui, rester en retrait.
La présidentielle approche à grands pas en Côte d’Ivoire. Dans un peu plus d’un an, en octobre 2015, les électeurs seront appelés aux urnes afin d’élire leur président. Dans un pays encore traumatisé par la longue crise postélectorale de 2010-2011, qui a entraîné la mort de 3 000 personnes et l’envoi devant la Cour pénale internationale (CPI) de l’ex-président Laurent Gbagbo, dire que cette échéance est attendue avec quelque inquiétude serait un doux euphémisme.
Les politiques sont déjà dans les starting-blocks et prêts à en découdre lors d’une campagne qui s’annonce mouvementée. Seul le chef de l’État, Alassane Dramane Ouattara (ADO), élu en 2010, s’est pour l’instant déclaré candidat.
Quant aux deux grands partis ivoiriens qui structurent, avec le Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel), la vie politique nationale depuis près de vingt ans – le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) d’Henri Konan Bédié, allié du pouvoir, et le Front populaire ivoirien (FPI) de Pascal Affi N’Guessan, principal parti d’opposition -, bien malin celui qui prédira s’ils présenteront ou non un candidat. Une chose est sûre, les appétits s’aiguisent dans les deux formations. État des lieux de ces guérillas intestines dont les enjeux sont bien plus importants qu’il n’y paraît.
Malaise au PDCI
Le 19 juillet, dans un maquis réputé du sud d’Abidjan. Kouadio Konan Bertin, dit KKB, député de Port-Bouët, débriefe avec une partie de son équipe – et non sans une certaine satisfaction – l’épisode politico-médiatique qu’il vient une nouvelle fois de provoquer.
Deux jours plus tôt, le président français, François Hollande, entamait sa première visite officielle en Côte d’Ivoire et KKB, membre du PDCI, allié du RDR, en profitait pour organiser une conférence de presse afin de lui souhaiter akwaba ("bienvenue") et de réaffirmer que sa formation présenterait bien son propre candidat à la présidentielle de 2015. "Tout parti est créé pour conquérir et exercer le pouvoir d’État. L’accompagnement n’est pas la règle", a-t-il déclaré.
Autrement dit, hors de question de participer au scrutin sous la bannière du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP, qui rassemble PDCI et RDR) avec ADO pour seul candidat. Une stratégie qui a permis à ce dernier d’être élu au second tour en 2010, et qu’il souhaite cette fois appliquer dès le premier tour.
Le "soldat perdu" KKB – comme l’avait qualifié Henri Konan Bédié, l’inamovible président du PDCI – est-il le seul à défendre cette position au sein de son parti ? Pas si sûr… Car si le 12e congrès, en octobre 2013, a ressemblé à un plébiscite pour Konan Bédié, réélu avec 93 % des votes, il a aussi laissé entendre des voix dissonantes, notamment chez les jeunes.
Droit de réserve
Depuis le début de l’année, différents mouvements (plus ou moins importants) du parti expriment farouchement leur opposition à une candidature unique du RHDP et mettent la pression sur Konan Bédié. Le 16 août, une conférence de presse organisée par "la coalition des militants du PDCI-RDA pour la sauvegarde des résolutions du 12e congrès" annonçait également qu’il allait remettre la formation "en ordre de bataille". Il y a donc malaise au sein du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, où les caciques se font de plus en plus discrets. Même le très critique Alphonse Djédjé Mady, ancien secrétaire général du PDCI et candidat malheureux contre Konan Bédié en 2013, avance désormais "un droit de réserve".
"Le dernier congrès a émis une résolution exigeant que le PDCI présente un candidat en 2015, tient à rappeler Kramo Kouassi, député PDCI de Bocanda (Centre). Une position très claire pour la majorité des militants. À moins de revenir sur nos propres textes ?" Ou que Konan Bédié, qui souffle le chaud et le froid depuis plusieurs mois, ne le décide, tout simplement…
"Personne ne sait quelle sera sa position. Le "Sphinx" restera énigmatique le temps nécessaire, déclare un baron du parti, amusé. S’il est sûr de ses liens avec ADO, qui semblent très solides, il sait aussi que son électorat sera divisé s’il choisit d’effacer le PDCI en 2015." Pour d’autres, l’ancien chef de l’État, qui rencontre régulièrement l’actuel président mais reçoit également Pascal Affi N’Guessan, le patron du FPI, ne fait que gagner du temps afin d’obtenir le maximum d’"ajustements" de la part du pouvoir.
Que négocie exactement Konan Bédié ? Si, depuis plusieurs mois, beaucoup pensaient à un poste de vice-président de la République, ils sont aujourd’hui plus réservés.
"Cette alliance est probablement la seule manière de permettre au plus grand nombre, au PDCI comme au RDR, de rester aux affaires. Tous s’en souviendront lorsque la question de la candidature unique devra être tranchée. Je suis sûr que la sagesse prévaudra…", ironise le même baron.
Alors, que négocie exactement Konan Bédié ? Si, depuis plusieurs mois, beaucoup pensaient à un poste de vice-président de la République (qui reviendrait donc à un membre du PDCI), ils sont aujourd’hui plus réservés. D’abord parce que, à un an de l’élection, cela ajouterait un nouveau débat à ceux existant déjà, mais aussi parce que cette fonction poserait un problème de taille : Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale, perdrait son statut de dauphin constitutionnel au profit du nouveau vice-président.
Un scénario qui fait grincer des dents dans l’entourage de l’intéressé tout en faisant naître des sourires chez les observateurs de longue date de la vie politique ivoirienne : "ADO a-t-il le moindre intérêt à créer ce poste ? s’interroge l’un d’eux. En politique comme au football, on ne fait pas la passe à l’adversaire. Dans le cas présent, ADO a plutôt intérêt à donner le ballon à ses "petits", soit Guillaume Soro ou Hamed Bakayoko, son ministre de l’Intérieur."
Selon les tenants d’une candidature PDCI, qui attendent avec impatience la convention nationale prévue en octobre pour faire entendre leur voix, tout cela n’a guère d’importance. Si le parti décidait de désigner un candidat, les intéressés pourraient être nombreux, étant donné que Konan Bédié, 81 ans en 2015, est théoriquement inéligible.
Entre autres : Charles Konan Banny, 71 ans, ancien Premier ministre et président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR), dont le mandat prendra fin en septembre ; KKB, bien sûr, mais aussi "une pléthore d’autres cadres prêts à sortir du bois au moment opportun", selon Kramo Kouassi. De là à dire que ces derniers auront le charisme et les soutiens nécessaires pour rassembler le parti et son électorat, il y a un pas que peu osent encore franchir.
Rien ne va plus au FPI
Au sein du Front populaire ivoirien, les jours passent et se ressemblent surtout par leur agitation. Depuis qu’il a décidé début juillet de remanier son secrétariat général, Pascal Affi N’Guessan, le président du principal parti d’opposition, a provoqué une crise interne qui fait chaque jour les choux gras de la presse.
D’un côté, il y a les tenants d’une ligne dite pragmatique, représentée par Affi N’Guessan lui-même. "Rajeunissement", "redynamisation", réintégration progressive dans le jeu politique ivoirien… Selon eux, il est temps d’aller de l’avant. De l’autre, il y a les "ultras", portés entre autres par Laurent Akoun et Alphonse Douati. S’estimant floués dans la nouvelle équipe, ils ont décidé de boycotter les réunions du parti et d’exprimer haut et fort leur mécontentement. L’ex-première dame, Simone Gbagbo, en résidence surveillée à Odienné (Nord), a quant à elle démissionné, reprochant aux instances dirigeantes de ne l’avoir même pas consultée. Pour ces ultras, la libération du fondateur, Laurent Gbagbo, en attente de jugement à la Cour pénale internationale, doit rester la priorité du FPI et le préalable à toute normalisation de sa relation avec le pouvoir.
Très vite, un groupe de médiation a été fondé pour mettre fin à la crise. Le 12 août, celui-ci, emmené par Philippe-Henri Dacoury-Tabley, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et proche de Laurent Gbagbo, annonce qu’un compromis a été trouvé.
Tous les caciques écartés ou rétrogradés par le dernier remaniement sont réintégrés au secrétariat général, s’ajoutant aux récents promus. Simone Gbagbo, elle, retrouve ses fonctions de deuxième vice-présidente du parti. "Même si les avis étaient très tranchés au départ, nous avons réussi à préserver l’unité et la cohésion du parti", témoigne un militant. Pourtant, beaucoup y voient une victoire des ultras…
"Pas du tout ! C’est le FPI qui a gagné", répond Laurent Akoun, qui, après s’être fait débarquer de son poste de secrétaire général, est désormais l’un des innombrables vice-présidents du parti. Il ajoute, un brin revanchard : "Nous en sommes venus à la conclusion qu’il ne fallait écarter aucune des deux lignes. Les pragmatiques ne nous gênent pas, ils sont minoritaires."
Au-delà des questions de postes, il est temps pour le FPI de se définir une stratégie pour 2015.
Mais au-delà des questions de postes, tous s’accordent à dire qu’il est temps de définir une stratégie pour 2015. En commençant par décider s’il faut ou non présenter un candidat. Sur ce point aussi, les militants sont divisés. Les ultras s’y opposent catégoriquement : pas question de participer à une élection qui, en voyant s’affronter les principaux groupes politiques du pays, risquerait de légitimer une réélection d’ADO.
Les pragmatiques, eux, sont de moins en moins hostiles à l’idée d’une candidature qui devrait légitimement être portée par leur leader Affi N’Guessan, à la tête du parti depuis treize ans. À condition que plusieurs problèmes soient résolus : le retour de tous les exilés, le dégel des comptes de militants encore bloqués, la restitution de tous les domiciles saisis ou encore la mise en place d’une Commission électorale indépendante (CEI, lire p. 21) équilibrée… Et dire que certains pensaient cette question réglée avec la désignation d’un représentant du FPI, Alain Dogou, le 9 août… "Cette personne ne représente qu’une tendance du parti, déclare Alain Akoun. Il faudra donc évidemment en reparler."
>> Lire aussi : Le FPI se déchire au sujet de la commission électorale
ADO sur la voie royale
Présenter ou non un candidat à la présidentielle… Si la question secoue le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA) et le Front populaire ivoirien (FPI), elle n’est évidemment pas à l’ordre du jour au sein du Rassemblement des républicains (RDR), le parti présidentiel. Alassane Dramane Ouattara (ADO) a annoncé il y a plus d’un an qu’il souhaitait prendre sa propre succession et il a tenu à rassurer, le 6 août : "Le président des Ivoiriens est en pleine forme. Je suis prêt pour un deuxième mandat, si les Ivoiriens le veulent bien."
Pour y parvenir, sa stratégie est double. D’abord, veiller à entretenir lui-même l’alliance de son parti avec le PDCI au sein du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Puis, face au FPI, lâcher peu à peu du lest en libérant des prisonniers pro-Gbagbo ou en appelant au retour des exilés, par exemple… Sur le terrain, l’heure est à la mobilisation. "Depuis près d’un an, nous montrons aux militants et aux Ivoiriens que le bilan de la présidence d’ADO est largement positif", explique Joël N’Guessan, porte-parole du RDR. Visites de chantiers, explication des actions du gouvernement, création de groupes de soutien… La campagne est lancée.
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