Présidentielle togolaise 2015 : Faure Gnassingbé, comme dans un fauteuil ?
Faure Gnassingbé n’a peut-être pas réussi à faire oublier qu’il était le fils de son père, mais il a gagné en popularité. Merci l’économie. De quoi envisager sans trop d’inquiétudes la présidentielle togolaise de 2015.
Depuis 2010 au Togo, élection ne rime plus avec violence. Prévue pour début 2015 (la date précise n’a pas encore été arrêtée), la présidentielle à venir cause bien moins d’insomnies à la communauté internationale que les rendez-vous des années 2000. La joute politique n’a plus d’autre arme que le verbe, et, même sur ce terrain, on est descendu d’un ton : les discours de l’opposition ont perdu de leurs accents révolutionnaires d’antan. Ils ne promettent plus de "balayer" le régime, mais de se battre pour obtenir des réformes.
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En face, le pouvoir a lui aussi changé de méthode. Naguère réputée pour avoir la main lourde pour empêcher ou canaliser des manifestations de rue, la police a troqué le fusil d’assaut contre des aérosols lacrymogènes. Le contexte n’a plus rien à voir avec les scènes de guérilla urbaine qui ont endeuillé le scrutin de 2005, avec ses 500 morts et ses milliers de déplacés.
Le Togo a changé. On y fait moins de politique. Les priorités sont davantage économiques et sociales. Le symbole de ce renouveau se laisse admirer de nuit depuis les trottoirs brillants de mille feux du boulevard du Mono, l’axe bordant la ligne côtière de la capitale. Nul visiteur ne rate le spectacle de cette procession d’imposants navires marchands qui mouillent les uns derrière les autres à quelques centaines de mètres du rivage.
Dans un pays où à peine 5 % de la population dispose d’un compte bancaire, la microfinance offre de nouvelles perspectives aux pauvres.
L’infrastructure portuaire est si sollicitée que l’augmentation de ses capacités est devenue une priorité : le 14 octobre, le groupe Bolloré a inauguré un quai de 450 m de longueur, et des ouvriers travaillent déjà à la construction d’un autre quai beaucoup plus long (1 050 m). Alors qu’il était de 2,5 millions de tonnes en 2000, le trafic est passé à 8,7 millions de tonnes en 2013. "Mon grand regret, c’est de ne pas avoir atteint les 9 millions de tonnes", fait mine de se plaindre le contre-amiral Fogan Adegnon, directeur général du Port autonome de Lomé.
Le Togo d’aujourd’hui, ce sont les acteurs économiques qui en parlent le mieux. "L’environnement des affaires a été considérablement amélioré", se félicite Ramanou Nassirou, patron de Wages, deuxième établissement de microfinance du pays, qui se vante d’avoir accordé pour 14 milliards de F CFA (21,3 millions d’euros) de crédit à près de 30 000 femmes. "Avant, on hésitait à financer des projets en raison de l’absence ou du délabrement des infrastructures.
Ce n’est plus le cas : les ouvrages qui se construisent incitent la microfinance à mieux soutenir la croissance", assure-t-il. Dans un pays où à peine 5 % de la population dispose d’un compte bancaire, la microfinance offre de nouvelles perspectives aux pauvres, avec des facilités d’emprunt sans garantie et sans épargne préalable.
Les nouvelles sont encourageantes
Ce tableau encourageant, et le vent d’optimisme qu’il suscite, pourrait peser lourd dans la prime au sortant, Faure Gnassingbé, 48 ans, très probable candidat à sa propre succession. Mais rien n’est joué. Devenu président à la suite de son père, le général Gnassingbé Eyadéma, décédé en février 2005, Faure n’est pas encore parvenu à faire oublier d’où il vient. Il est toujours perçu par une partie des Togolais comme l’héritier d’un régime autoritaire, lui-même issu du tout premier coup d’État perpétré en Afrique subsaharienne après les indépendances.
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D’autres ne voteront pas pour lui parce qu’ils veulent une alternance. "Le Togo n’appartient ni aux Gnassingbé ni aux Olympio", s’insurge un journaliste, qui apprécie peu que les descendants de ces deux familles se disputent le pouvoir depuis quarante ans. Quant aux jeunes, dont l’avenir est compromis par le chômage, ils trouveront toujours à redire sur cette croissance qui ne leur profite pas faute de créer des emplois en quantité suffisante. Mais pour eux, ce qui a changé, c’est l’espoir. Les nouvelles sont encourageantes : l’augmentation du volume d’activités du port de Lomé n’a-t-elle pas favorisé la création de 400 emplois ?
Incarcéré à la prison de Tsévié
Faure Gnassingbé s’est peu à peu octroyé plus de libertés dans la conduite de l’État. En créant son propre parti, l’Union pour la République (Unir), en 2012, il s’est affranchi de ses "coachs" de la première heure que furent les caciques de l’ancien parti unique – le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Parmi eux, Pascal Bodjona, ancien ministre et ex-directeur de cabinet du président, autrefois très influent.
Tombé en disgrâce, il est incarcéré à la prison de Tsévié, non loin de Lomé, pour une affaire d’escroquerie. Faure a aussi réduit l’influence tutélaire de l’armée, même si elle n’est pas pour autant hors jeu. L’arrestation de son demi-frère, Kpatcha Gnassingbé, et sa condamnation en 2011 à vingt ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État, fut un avertissement. Ex-ministre de la Défense et chouchou d’une partie de l’armée, Kpatcha a sous-estimé Faure. Il en paie le prix.
Mais ces évolutions sont difficilement mesurables, Faure ayant choisi de gouverner en low profile : le président sort peu, parle peu. Aux grands raouts il préfère les audiences en son palais. Le 14 octobre, au port de Lomé, il a laissé au Premier ministre, Arthème Kwesi Ahoomey-Zunu, le soin de lire à sa place le discours que ses conseillers avaient préparé ! Il accorde très peu d’interviews et se méfie des journalistes, au point, parfois, de déconseiller à ses ministres la participation à des émissions de télévision.
Si le président met si peu d’empressement à faire reluire la marque Faure dans les médias, son challenger, Jean-Pierre Fabre, président de l’Alliance nationale pour le changement (ANC), ne se prive pas d’occuper le terrain. Tout à son projet de candidat unique de l’opposition, il soigne son image de présidentiable. "Nous ne pourrons gagner que si nous restons unis, prédit Éric Dupuy, le porte-parole de l’ANC. Mais il n’est pas question de tirer à la courte paille. Nous travaillons à l’élaboration de critères objectifs pour le choix du candidat unique." Pour lui bien sûr, Fabre, l’ancien compagnon de route de Gilchrist Olympio, qui avait recueilli plus de 33 % des suffrages lors de la présidentielle de 2010, part favori.
Mais, à 62 ans, Fabre ne parvient pas à rassembler derrière lui les ténors de l’opposition. Le Comité d’action pour le renouveau (CAwR), de Yawovi Agboyibo, s’est retiré des discussions. Il souhaite que le pouvoir engage des réformes (sur la composition de la commission électorale par exemple) avant de réfléchir à un candidat unique. Et il n’est pas le seul à manifester des réticences : le 19 octobre, le parti de l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo a officialisé sa rupture avec le Collectif sauvons le Togo (CST), la coalition cornaquée par Fabre, dénonçant la "force de la manipulation et la campagne de désinformation orchestrée par ceux qui ont choisi l’hégémonisme et une vision court-termiste de la lutte".
Il n’est pas sûr non plus que Kofi Yamgnane, l’ancien secrétaire d’État de François Mitterrand et probable candidat à la présidentielle, accepte de se retirer au profit du président de l’ANC. Alors que sa candidature à l’élection de 2010 avait été rejetée par la Cour constitutionnelle du Togo en raison d’un doute sur sa date de naissance, l’ancien maire de Saint-Coulitz (Finistère) est cette fois décidé à aller jusqu’au bout : "J’ai déjà levé toutes les entraves administratives, et si le peuple togolais veut que je sois son candidat, je le serai", assure-t-il crânement. Assurément, il y aura du monde sur la ligne de départ. Comme d’habitude.
>> Lire aussi : le Franco-Togolais Kofi Yamgnane mis en examen pour trafic d’influence
Depuis la modification constitutionnelle du 31 décembre 2002, le président de la République togolaise est élu à un scrutin uninominal à un seul tour pour un mandat de cinq ans renouvelable indéfiniment. La Constitution initiale, votée en septembre 1992, fut ainsi modifiée pour permettre à Gnassingbé Eyadéma de rempiler à la tête du pays pour un troisième mandat, prématurément interrompu en 2005 par son décès. Depuis la signature de l’accord politique de 2006, pouvoir et opposition se livrent un bras de fer. Les opposants exigent notamment un retour à la Constitution de 1992, qui prévoyait un mandat de cinq ans renouvelable une fois et un scrutin présidentiel à deux tours. En juillet dernier, le gouvernement a fini par déposer un projet de loi en ce sens à l’Assemblée nationale. Le texte a été rejeté par les députés de la majorité… Unir, le parti au pouvoir.
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