CAN 2015 : comment le Maroc s’est mis hors jeu

La Coupe d’Afrique des nations ne se jouera pas au Maroc, qui avait demandé un report en invoquant le « péril Ebola ». Récit de ces folles semaines qui ont mis Rabat et la CAF au bord de la crise de nerfs.

Supporters marocains s’en prenant au patron de la Confédération africaine de football. © Fadel Senna/AFP

Supporters marocains s’en prenant au patron de la Confédération africaine de football. © Fadel Senna/AFP

Publié le 18 novembre 2014 Lecture : 6 minutes.

Après un mois de bras de fer, la Confédération africaine de football (CAF) a décidé, le 11 novembre, de prendre acte du refus du Maroc d’organiser la Coupe d’Afrique des nations en janvier-février 2015. Rejetant catégoriquement la demande de Rabat de reporter la compétition pour cause de "risque sanitaire majeur", elle a, trois jours plus tard, confié à la Guinée équatoriale le soin d’accueillir cet événement.

Cet Ebolagate qui ne dit pas son nom a vu se succéder des couacs de communication, des tractations secrètes, et surtout provoqué un choc des ego entre le royaume chérifien, représenté par Mohamed Ouzzine, son ministre de la Jeunesse et des Sports, et Issa Hayatou, le président de la CAF.

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Intervenant devant la Chambre des conseillers (la chambre haute du Parlement marocain) quelques heures après la sentence venue du Caire, Ouzzine a répété que "l’intérêt du Maroc et des Marocains prime toute autre considération". Pour lui, le risque de propagation du virus Ebola constitue un "cas de force majeure" – un argument juridique sur lequel Rabat entend désormais bâtir sa défense devant les instances, notamment le Tribunal arbitral du sport, qui devront trancher sur la question des sanctions et autres réparations. Une menace que la CAF agitait depuis des semaines et qui a eu le don d’agacer en haut lieu.

>> À lire : CAN 2015, comment la Guinée équatoriale s’est imposée

Résultats médiocres de la sélection marocaine

Quoi qu’il en soit, le comité exécutif de la CAF a rapidement décidé d’exclure de la compétition les Lions de l’Atlas, alors qu’ils étaient qualifiés d’office. Au regard des résultats médiocres de la sélection marocaine lors des dernières éditions de la CAN, cette décision, que Mohamed Ouzzine a jugée "normale", n’a pas été très commentée. Certes, les mordus de foot se faisaient une joie de voir les rouge et vert jouer à domicile, mais leurs attentes n’étaient en rien comparables à l’enthousiasme que suscitent les Fennecs algériens auprès de leur public.

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Plus que l’aspect sportif, ou même financier, c’est la question de santé publique qui alimente le débat. D’autres motifs de demander le report de la CAN avaient été avancés par Rabat, ces dernières semaines, de manière très officieuse : risque terroriste – en particulier les menaces de Daesh contre le Maroc -, impréparation technique… Des arguments difficiles à soutenir alors qu’une autre compétition, le Mondialito, coupe du monde des clubs, est toujours prévue en décembre, dans le royaume…

Pourtant, la peur est bel et bien présente. "À quoi bon organiser cette Coupe d’Afrique si c’est pour nous retrouver avec des milliers de malades touchés par Ebola ? Au diable l’argent et les retombées économiques. Les risques vont nous venir de toutes parts, par les airs, par la terre et même par voie maritime", explique sans ciller Lahcen, employé dans le secteur touristique.

Dès octobre, la communication marocaine a pris comme leitmotiv le principe de précaution.

Le "risque Ebola", dont les responsables marocains ne cessent de souligner la gravité, prend des proportions fantastiques. Depuis le mois d’octobre, ce mot a été employé à tort et à travers. Pour le sociologue Mehdi Alioua, spécialiste des migrations, "en demandant unilatéralement le report de la CAN, le gouvernement a adopté un ton de crise alors qu’il n’y a aucun danger réel. On fait peur aux Marocains. En voulant se prémunir de la propagation du virus Ebola, le gouvernement a aidé à en propager un autre : celui de la bêtise raciste !"

C’est d’ailleurs sur la question du risque sanitaire que les discussions ont achoppé avec la CAF. Dès octobre, la communication marocaine a pris comme leitmotiv le principe de précaution, par la voix notamment de Lhoussain El Ouardi, le ministre de la Santé, lui-même urgentiste réputé. Mettant en avant des prévisions épidémiologiques alarmantes, Rabat a excipé aussi d’un avis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandant "d’éviter les grands rassemblements". Las, dans son communiqué du 3 novembre, la CAF a répliqué et démonté l’argumentaire marocain en six points, en rappelant très justement que l’OMS n’avait visé que les grands rassemblements dans les trois pays les plus touchés par l’épidémie, c’est-à-dire la Guinée, la Sierra Leone et le Liberia.

La position de Rabat est également affaiblie par d’autres décisions contradictoires. La compagnie Royal Air Maroc maintient encore ses vols réguliers vers ces trois pays, et la sélection nationale guinéenne a même déplacé ses matchs de qualification à domicile à… Casablanca – le dernier étant prévu le 19 novembre, contre l’Ouganda. "Au cours de la discussion, la confédération africaine a proposé de tenir des matchs sans public", croit savoir un journaliste sportif. Info ou intox ?

Une gigantesque partie de poker

"La partie marocaine a fait une annonce fracassante, en octobre, avant de commencer à négocier. C’est une erreur stratégique. Il fallait envoyer les diplomates avant les communiqués", estime Moncef Lyazghi, spécialiste des politiques du sport au Maroc. En interne, tous les acteurs n’ont visiblement pas poursuivi la même stratégie face à une CAF très remontée. "La Fédération royale marocaine de football (FRMF) a plaidé jusqu’au bout le maintien de l’organisation en cas de refus de Hayatou", explique un parlementaire proche du dossier.

Mais la demande initiale avait déjà été annoncée comme une "décision irrévocable" (par le ministre de la Santé, El Ouardi) et un "choix souverain" (par la voix de son collègue de la Jeunesse et des Sports, Ouzzine). "Tout s’est joué comme une gigantesque partie de poker, analyse une source proche de la fédération. Les Marocains n’ont pas voulu dévier d’une posture de négociation, très ferme, en pariant sur le fait que la CAF ne trouverait pas d’autre pays hôte et qu’elle finirait par accepter le report."

Du côté du ministère de la Jeunesse et des Sports, on explique que tous les scénarios ont été étudiés avant de réitérer, le 8 novembre, la décision de report. "Hayatou ne nous a pas laissé le choix. Soit nous renoncions à notre demande de retrait, en perdant toute crédibilité future, tant auprès des organisations internationales qu’auprès de nos concitoyens. Soit nous nous retirions de l’organisation en reconnaissant une rupture du contrat à nos dépens."

En maintenant sa demande de report, Rabat espère préserver ses intérêts dans la phase contentieuse qui va suivre. Indépendamment de l’issue de ces procédures, le Maroc devra aussi gérer cet échec, même s’il n’est pas encore perçu comme tel, tant est fort l’unanimisme autour des "décisions souveraines" prises à Rabat. Beaucoup pensent en effet que si l’affaire a été gérée par le gouvernement dans les détails, la décision initiale n’a pas pu être rendue publique sans un aval royal. Fierté nationale mise à part, ce bras de fer perdu aura quelque peu terni l’image du Maroc sur le continent.

Sponsors dans les starting-blocks

Plusieurs marques ont conclu des partenariats de long terme avec la Confédération africaine de football (CAF), pour la CAN comme pour d’autres compétitions (Championnat d’Afrique des nations, Ligue des champions africaine…). Orange, PepsiCo, Standard Bank et Nàsuba Express se sont engagés jusqu’en 2016. La CAF a également recruté Samsung, PanAtlantic, Doritos et IFD Kapital. Partenaire-titre de la compétition depuis 2010, Orange a investi 60 millions d’euros auprès de la CAF pour le naming [attribution du nom d’une marque à une enceinte ou à un événement sportifs] des principales compétitions africaines, ce qui en fait de loin le principal bailleur de fonds de la CAF. L’opérateur téléphonique français, qui se flattait de compter près de 100 millions de clients dans 21 pays d’Afrique et du Moyen-Orient à la fin 2012, entend s’imposer comme une marque panafricaine à l’égal de MTN ou Vodafone. Geoffroy Maurice

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