Maroc : vivons heureux, buvons cachés

Chaque jour, des milliers de Marocains consomment de l’alcool au mépris des règles. Mais l’État ferme les yeux.

Au Maroc, seuls les étrangers auraient le droit d’acheter de l’alcool. © Laurent Parienty pour J.A.

Au Maroc, seuls les étrangers auraient le droit d’acheter de l’alcool. © Laurent Parienty pour J.A.

Publié le 1 décembre 2014 Lecture : 3 minutes.

"Il est interdit à tout exploitant d’un établissement soumis à licence de vendre ou d’offrir gratuitement des boissons alcooliques ou alcoolisées aux Marocains musulmans." Si on se réfère à cet arrêté du directeur général du cabinet royal datant de 1967, au Maroc, seuls les étrangers ont le droit d’acheter de l’alcool et d’en consommer. Mais la réalité est tout autre. Une étude réalisée en 2013 par Euromonitor pour le magazine britannique The Economist a révélé que les Marocains consomment chaque année pas moins de 131 millions de litres d’alcool par an, dont 400 millions de bouteilles de bière, 38 millions de bouteilles de vin, 1,5 million de bouteilles de whisky, 1 million de bouteilles de vodka et 140 000 de champagne.

Le Maroc est aujourd’hui le premier producteur et exportateur de vin dans le monde arabe, selon une étude réalisée en 2013 par Euromonitor.

Des boissons produites, importées et distribuées par des sociétés de droit marocain, dont certaines sont même cotées en Bourse et travaillent dans une transparence totale (Société des brasseries du Maroc, notamment). Mieux encore, avec ses 37 000 ha de terres réservées exclusivement aux vignobles, le Maroc est aujourd’hui le premier producteur et exportateur de vin dans le monde arabe, toujours selon la même étude. Entre la loi et la réalité existe donc un immense fossé. "Si on appliquait les textes à la lettre, il faudrait mettre des millions de Marocains en prison, fermer tous les bars, pub et boîtes de nuit, sanctionner les épiceries et les grandes surfaces qui distribuent de l’alcool. Faute de le faire ou de changer ces règles, on ferme les yeux", explique un avocat casablancais.

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Et jusqu’à récemment cette attitude existait même au plus haut sommet de l’État. Mohammed VI, le Commandeur des croyants et le premier imam du pays, était encore il y a quelques mois le premier vendeur d’alcool du pays, via la chaîne de grande distribution Marjane-Acima, appartenant à son holding SNI. Une donne qui vient de changer, Marjane ayant décidé en août de supprimer tous ses rayons alcool. Et Acima devrait lui emboîter le pas dans quelques semaines. "Nous attendons seulement de liquider notre stock. En 2015, plus une goutte d’alcool ne sera vendue par la chaîne", confie un cadre de l’entreprise.

Épée de damoclès

Le groupe royal abandonne donc l’alcool, pour le plus grand bonheur des épiciers de quartier et des guerrabas (vendeurs informels), mais aussi des autres enseignes de grande distribution comme Label Vie. Appartenant au groupe à capitaux marocains Best Financière, cette chaîne franchisée Carrefour Market est aujourd’hui la seule grande surface à servir les buveurs du royaume chérifien. Sans pour autant l’assumer totalement. Dans les supermarchés Carrefour, on peut certes acheter de l’alcool, mais aucun ticket de caisse n’est délivré en contrepartie. Une manière d’effacer toute preuve. "Certes, la loi n’est pas appliquée, mais elle est là, telle une épée de Damoclès. Nous ne donnons pas de ticket à nos clients par prudence. Il constituerait une preuve matérielle que nous violons la loi", analyse un responsable de magasin Carrefour.

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Officiellement, l’État interdit donc la vente d’alcool. Mais en même temps, il est le premier à profiter de cette manne. Le secteur emploie en effet des milliers de personnes et génère chaque année quelque 4 milliards de dirhams (près de 358 millions d’euros) de chiffre d’affaires. Sans oublier les recettes fiscales. En 2013, la taxe intérieure sur la consommation appliquée aux produits alcoolisés a rapporté à elle seule plus de 1 milliard de dirhams à l’État. Des revenus dont même le gouvernement dirigé par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) ne peut se passer en ces temps de disette budgétaire. Santé !

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