Nigeria : contre Boko Haram, y a-t-il un pilote dans l’armée ?

Corruption, désertions, exactions… Les forces nigérianes se sont littéralement délitées face à la montée en puissance de Boko Haram. Loin de faire partie de la solution, elles sont aujourd’hui l’une des composantes de la crise qui ensanglante le pays.

Le 2 octobre, à Abuja, des soldats ont comparu devant la cour martiale pour mutinerie. © AFP Photo/Stringer

Le 2 octobre, à Abuja, des soldats ont comparu devant la cour martiale pour mutinerie. © AFP Photo/Stringer

Publié le 9 février 2015 Lecture : 3 minutes.

Avec 80 000 hommes, une vingtaine d’avions de combat et des officiers hautement qualifiés, pourquoi l’armée nigériane ne parvient-elle pas à mater Boko Haram ? En théorie, elle en a tous les moyens. En théorie toujours, le groupe terroriste n’aurait jamais dû devenir autre chose que ce qu’il était au départ : une secte locale, en guerre contre les symboles de l’État.

Mais en pratique, l’armée nigériane elle-même a fortement contribué à sa montée en puissance… Divisée, corrompue, elle est le plus gros pourvoyeur de troupes des islamistes. Alors que sa gestion désastreuse sur le terrain a harassé les populations du Nord, ces dernières n’ont pas trouvé d’autre solution que de se tourner vers les combattants jihadistes, pour leur propre protection.

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Sur les 11 000 victimes cumulées depuis six ans (au moins 4 000 rien qu’en 2014, selon Amnesty International), combien sont à mettre au compte de l’armée ? Dans cette guerre qui se tient à huis clos, impossible d’affirmer avec exactitude les circonstances de leur mort. Une seule chose est sûre : les civils sont les premières victimes, par cynisme ou manque de discernement, des hommes censés les protéger. En encourageant la création de milices d’autodéfense, sur lesquelles elle s’appuie pour obtenir des renseignements sur un terrain qu’elle maîtrise mal, l’armée a poussé Boko Haram à se retourner contre les populations, qu’elle épargnait relativement jusqu’alors.

Samuel Nguembock, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), à Paris, explique : "Avant Boko Haram, l’armée était certes corrompue, mais coordonnée, rigoureuse, professionnelle, et la chaîne de commandement était respectée. L’expansion de Boko Haram en 2009, puis les tensions postélectorales de 2011 ont porté un coup à son organisation." À tel point qu’il devient difficile désormais de la qualifier de corps unifié. "Goodluck Jonathan ne contrôle pas l’état-major de l’armée, et l’état-major de l’armée ne contrôle pas les troupes sur le terrain", affirme Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Paris, et spécialiste du Nigeria.

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Déroutes des soldats

Nombreux sont les récits d’officiers fuyant les opérations menées par Boko Haram. Comment s’étonner ensuite des déroutes régulières des soldats ? En abandonnant le combat – et ses armes -, l’armée est devenue le premier fournisseur de matériel du groupe islamiste, quand il ne les achète pas directement aux soldats qui, parfois privés de leur salaire passé dans les mains de supérieurs peu scrupuleux, trouvent là une manière de se nourrir sur la bête.

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"Il n’y a guère de doute que certains militaires nigérians, mécontents, sympathisants ou corrompus, informent Boko Haram sur les mouvements de l’armée, note un diplomate en poste à Abuja. À l’inverse, les militaires ont des informateurs au sein du groupe terroriste, mais ils les utilisent surtout pour se protéger eux-mêmes, pas pour se coordonner."

Résultat : alors que la communauté internationale réfléchit à une opération sous la houlette des Nations unies, l’armée nigériane n’a jamais été aussi seule. Craignant que des soldats nigérians formés par eux ne commettent des crimes de guerre ou ne rejoignent des unités connues pour leur corruption, les Américains ont préféré stopper leur formation militaire, en décembre dernier.

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Avec la France et le Royaume-Uni, en revanche, le Nigeria a mis en place une cellule de renseignements. Las : "On ne sait pas quel usage est fait des informations qu’on leur fournit", s’agace un officier français.

Amnesty International affirme même que les attaques de Mubi, Baga et Monguno auraient pu être évitées : "Des responsables de la base militaire de Baga ont régulièrement informé les quartiers généraux de l’armée, en novembre et décembre 2014, de la menace d’une attaque de Boko Haram, et ont demandé des renforts à maintes reprises", note l’ONG. La Grande Muette serait-elle aussi sourde ?

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