« Comme un cri » : exorciser le naufrage du Joola
Pièce coup de poing, Comme un cri revient sur le drame du Joola et pointe une nouvelle fois la responsabilité des autorités sénégalaises.
Un espace blanc de 9 m2 sous le feu des projecteurs. Une prison de lumière étroite, étouffante, dans laquelle un comédien seul va revivre pendant une heure trente le drame du Joola. Rejouer l’inclinaison lente, fatale, de ce navire surchargé qui se retourna le 26 septembre 2002 à 40 km au large, causant la mort de près de 2 000 passagers.
Si la pièce est particulièrement éprouvante, c’est qu’elle s’appuie sur le témoignage douloureux de l’un des 64 rescapés de cet accident tragique. Cet homme est un Français vivant au Sénégal qui s’appelle Patrice Auvray, d’autant plus meurtri qu’il a perdu sa compagne dans le naufrage. De son propre aveu, il rejoue inlassablement le drame, tente de se remémorer ses moindres détails pour faire en sorte qu’il ne tombe pas dans l’oubli. Il a ainsi publié dix ans après la tragédie
Souviens-toi du Joola, un récit à la première personne de ce qu’il a enduré. Et c’est son éditeur, Laurent Lecrest, qui l’a incité à accepter une adaptation pour le théâtre. En résulte un drame documentaire : Comme un cri, un monologue assez proche du texte initial interprété par le comédien Jean-Christian Leroy, mais qui fait entendre les voix de Patrice Auvray lui-même et d’autres victimes. Témoignages terribles, troublants, que les autorités sénégalaises ont pendant longtemps tenté d’étouffer.
Black-out
"Tout a été fait dans le pays pour conclure à un non-lieu, accuse Patrice Auvray. Le capitaine du bateau est censé avoir disparu dans le drame… Opportunément, on lui a mis toutes les responsabilités sur le dos. Aucune enquête sérieuse n’a été menée. Quant à nos témoignages de survivants, les médias en ont diffusé le moins possible, il y a eu un black-out total de l’information." Le rescapé a eu le plus grand mal à trouver un éditeur. Et depuis que son livre existe, il n’a jamais pu le présenter à l’Institut français de Dakar.La pièce non plus ne devrait pas être jouée dans l’établissement, pour ne pas froisser l’État sénégalais.
Il faut dire que le livre comme la pièce pointent directement du doigt les autorités politiques de l’époque. Et posent d’importantes questions. Comment a-t-on pu faire monter 2 000 personnes sur ce bateau, alors qu’il était conçu pour en transporter quatre fois moins ? Pourquoi les secours français ont reçu l’ordre d’attendre avant d’intervenir, condamnant à mort les centaines de personnes se trouvant sous la coque du navire retourné ? Comment expliquer que les pirogues et les chalutiers, pourtant à quelques kilomètres du Joola lors du drame, n’ont pas non plus porté secours aux victimes plus rapidement ?
Selon Patrice Auvray, le gouvernement sénégalais de l’époque et l’ex-président Wade portent une lourde responsabilité. "L’arrivée au pouvoir de Macky Sall a délié les langues, certains rescapés osent aujourd’hui témoigner", note l’auteur. Mais le naufrage du Joola reste un drame tabou. Aucun procès sérieux n’a permis de rendre justice. Seul un monument commémoratif, à Ziguinchor, aujourd’hui à l’état d’abandon, rappelle la date anniversaire de l’événement. Et Patrice Auvray, qui, de livre en pièce, tente d’exorciser la catastrophe, de faire remonter à la surface les tragiques événements de 2002.
Comme un cri, de Patrice Auvray, au théâtre Les déchargeurs, à Paris, jusqu’au 21 mars. www.lesdechargeurs.fr
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