François Hollande, le vengeur masqué

Tout comme ses prédécesseurs sous la Ve République, le président français a recours aux éliminations ciblées dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. Sans états d’âme. Une facette peu connue de sa personnalité que révèle le journaliste Vincent Nouzille dans sa dernière enquête.

 © Vincent Fournier/J.A.

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Clarisse

Publié le 7 mai 2015 Lecture : 7 minutes.

Donner l’ordre d’éliminer sous le couvert du secret-défense, hors donc de tout cadre juridique et sans aucun contrôle du Parlement, tel ou tel ennemi présumé de la France est une prérogative occulte du chef de l’État. Dans ce registre, François Hollande ferait même beaucoup mieux – ou pire – que tous ses prédécesseurs. C’est ce que prétendent Les Tueurs de la République, un livre que le journaliste français Vincent Nouzille a publié au mois de janvier aux éditions Fayard.

Il y retrace l’histoire des "opérations homos" (pour "homicides", dans le jargon du renseignement) depuis les débuts de la Ve République, en 1958. Ces meurtrières opérations clandestines sont confiées au groupe Alpha, une cellule du service action de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) composée d’une petite dizaine d’agents surentraînés capables, sur ordre de l’Élysée, de frapper à tout moment en n’importe quel point de la planète. Entretien.

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Jeune Afrique : Les "opérations homos" ne sont nullement une exclusivité des services secrets français. Pourquoi en avoir fait un livre ?

Vincent Nouzille : Il ne s’agit pas de dénoncer, mais d’évoquer les coulisses des guerres secrètes menées par la France. De démontrer que l’extrême opacité qui caractérise le monde du renseignement et l’action clandestine peut avoir des conséquences directes sur la sécurité des citoyens, qui n’en sont pas informés. Qui sait par exemple que, plusieurs années avant le déclenchement de l’opération Serval au Mali, en janvier 2013, les Français menaient déjà une guerre de l’ombre au Sahel ?J’ai voulu souligner la continuité qui existe entre l’action visible et celle qui ne l’est pas, la frontière entre les deux étant parfois très floue.

Quand il ordonne un assassinat ciblé, François Hollande ne manifeste, dites-vous, aucun état d’âme…

De tous les présidents de la Ve République, il est celui qui a déclenché le plus d’opérations clandestines, y compris les plus violentes. Sa détermination lorsqu’il les ordonne étonne jusqu’aux militaires. Et, surtout, il les assume, du moins en privé, ce qui est une nouveauté. Jamais jusqu’ici les autorités françaises n’avaient admis que l’État puisse faire exécuter des gens à l’étranger dans un cadre extrajudiciaire.

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Cela tient-il à sa personnalité ?

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Contrairement à l’image de mollesse et d’irrésolution qu’il donne, Hollande est un homme froid, ferme, à l’occasion implacable. Lors du déclenchement des opérations militaires au Mali ou en Centrafrique, il n’a pas hésité une seconde. Et il a fallu que les Américains le freinent pour l’empêcher d’intervenir en Syrie. On sait qu’il a fait son service militaire, alors qu’il aurait pu en être dispensé. Et qu’il s’est entouré à l’Élysée de faucons comme le général Pujat, le patron de la DGSE (Bernard Bajolet) ou le ministre de la Défense (Jean-Yves Le Drian).

Mogadiscio, septembre 2014. À l’écran, Ahmed Godane, le chef des Shebab somaliens, que Hollande aurait voulu "dégommer" © Mohamed Abdiwahab/AFP

 

Il est donc le vrai chef d’orchestre des guerres secrètes ?

Dès son arrivée, il a décidé de ne plus verser de rançon pour les otages, quitte à les sacrifier. Il a mis en place une politique de réplique quasi systématique aux opérations terroristes visant la France. Soupçonné d’être le principal instigateur d’une embuscade qui coûta la vie à une dizaine de soldats français dans la vallée d’Uzbin, en août 2008, le mollah afghan Hazrat a été tué en septembre 2012. Quelques semaines plus tard, Hollande a donné son accord à un raid de la DGSE en Somalie visant à libérer l’agent Denis Allex, retenu en otage par les Shebab depuis trois ans. L’opération ayant tourné au fiasco, il a ordonné de "dégommer" – c’est le terme qu’il aurait employé – Ahmed Godane, alias Mokhtar Abu Zubeyr, le chef des Shebab. Considéré comme le responsable de l’attaque contre le centre commercial Westgate, à Nairobi, en septembre 2013, celui-ci figurait aussi sur la kill list des Américains, qui, au moyen d’un drone, ont fini par le pulvériser dans sa voiture, en septembre 2014.

Mais c’est le Sahel qui cristallise son attention ?

Avant même le déclenchement de l’opération Serval, de puissants moyens avaient été déployés pour détruire les bases logistiques d’Al-Qaïda, du Mujao ou d’Ansar Eddine, qui tentaient de prendre le contrôle du Sud-Mali. Hollande a décidé de "neutraliser" les chefs jihadistes figurant sur la kill list américaine en tant que High-Value Targets (HVT, "cibles de haute valeur"). Rien qu’au Mali, il en a fait exécuter une bonne quinzaine entre le début de 2013 et la mi-2014. Certains, comme Mokhtar Belmokhtar, ont réussi à passer entre les mailles du filet, mais d’autres HVT comme Abou Moghren Al Tounsi, Fayçal Boussemane, Omar Ould Hamaha ou Abou Bakr Al-Nasr ont bel et bien été éliminés. Et la liste n’est pas close ! On est aujourd’hui au Mali dans une zone grise où guerre secrète et guerre officielle s’entremêlent.

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Les opérations secrètes françaises se limitent-elles aux zones de guerre ?

C’est le cas le plus fréquent, mais la France envoie aussi des forces spéciales, voire le service action de la DGSE, en Somalie, pays avec lequel elle n’est officiellement pas en guerre. De telles opérations ne s’improvisent pas. Elles impliquent à la fois traque électronique et renseignement humain. La décision de frapper peut être prise seul ou en concertation avec un autre pays. Au Niger, par exemple, forces françaises et américaines collaborent. Comme elles disposent les unes et les autres de bases aériennes dans la région, il n’est pas invraisemblable que leurs drones interviennent pour des opérations dont on n’a pas forcément connaissance aujourd’hui. Il est possible qu’il y ait, à l’insu de tous, des frappes et des éliminations physiques.

"Les tueurs de la République", de Vincent Nouzille, éd. Fayard, 352 pages, 20€

 

Il est bien question ici de violence d’État ?

Tous les services secrets pratiquent la loi du talion. Le Mossad l’a abondamment fait dans le passé, et la CIA suit son exemple depuis 2001. Au nom de la lutte contre le terrorisme, les Américains mènent des guerres clandestines de manière quasi systématique, en particulier dans des pays où l’autorité de l’État fait défaut. Qui songerait à s’opposer à des frappes de drones en Somalie ou au Yémen ? Depuis les premières prises d’otages au Sahel, en 2010, les autorités françaises semblent à leur tour avoir adopté cette culture de la riposte immédiate. Face à la menace terroriste, les démocraties veulent démontrer à leurs populations qu’elles ne sont pas totalement démunies. Cela relève aussi d’une stratégie de dissuasion à l’intention de ceux qui douteraient de leur capacité à réagir. Il y a donc une forme de légitimation des guerres clandestines menées en riposte à des attaques. En revanche, elles sont plus dérangeantes lorsqu’elles sont conduites à titre préventif.

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Quels sont les risques collatéraux de ce type d’interventions ciblées ?

Les responsables français se vantent de pratiquer des frappes plus chirurgicales que celles des drones américains, mais c’est un leurre. Comme lors de la tentative de libération de l’otage Denis Allex, il y a presque toujours des victimes collatérales. Depuis la multiplication des tirs de drones américains au Pakistan, en Afghanistan, au Yémen et ailleurs, on se rend compte que l’hydre terroriste se renouvelle sans cesse. Ce n’est pas en tuant un chef terroriste qu’on élimine la menace. Le risque d’engrenage est patent, et la question de la méthode utilisée par les démocraties pour se défendre est posée. En France, il y a des outils judiciaires pour neutraliser les apprentis terroristes qui tentent de commettre des attentats ou de s’envoler pour la Syrie. Mais à l’étranger, dans les zones dites "grises", la question de la légitimité et de la légalité est éludée. Celle de l’efficacité aussi. Les Shebab sont-ils plus forts ou moins forts depuis qu’ils sont visés par des frappes ? La compétition entre les différentes composantes de la nébuleuse terroriste et la surenchère de violence qu’elles pratiquent ne sont-elles pas la conséquence du choix que les démocraties ont fait de répondre à la violence par la violence ?

Depuis les attentats du mois de janvier, à Paris, une partie de l’opinion française paraît favorable à une riposte musclée…

Sans doute. Mais il faut bien voir que l’image des pays qui ripostent au terrorisme de manière aveugle se détériore. Et que les tirs de missiles ne règlent aucun problème de fond, qu’il soit géopolitique, social ou religieux. Dans le cadre du programme controversé d’assassinats ciblés lancé par George W. Bush et poursuivi par Barack Obama, les frappes de drones américains auraient fait quelque trois mille morts en dix ans. Si la France adopte la même stratégie, elle prend le risque d’altérer à son tour son image, même si certains pays alliés, comme l’Égypte, sont ravis que la France soutienne aujourd’hui leur lutte contre le terrorisme. On est dans une guerre globale qui amalgame des phénomènes extrêmement divers. Quelle réponse apporter au terrorisme ? La question reste plus que jamais posée.

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