Arabie saoudite : périls sur la maison Saoud
Le roi Salman a donné les commandes du gouvernement à une nouvelle génération. Qui devra être audacieuse et éclairée pour répondre aux menaces qui pèsent sur le royaume.
Un vent nouveau semble souffler sur l’Arabie saoudite depuis le couronnement de Salman, qui a succédé à feu son demi-frère Abdallah en janvier. Certes, le monarque cumule 79 printemps, mais il a imposé une cure de jouvence à la gérontocratie saoudienne : le 29 avril, Mohamed Ibn Nayef, prince de 55 ans, était fait héritier du trône, tandis que Mohamed Ibn Salman, le fils trentenaire du roi, ceignait la couronne de vice-prince héritier.
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Une petite révolution dans ce royaume ultraconservateur, qui depuis 1953 n’a vu se succéder que des fils d’Ibn Saoud, le fondateur de l’État saoudien moderne, en vertu du principe de transmission adelphique – de frère à frère.
La voie royale est désormais ouverte aux princes dits de la deuxième et de la troisième générations. Ce rajeunissement très remarqué n’a pourtant rien d’une surprise pour les initiés, remarque Nabil Mouline, chercheur au CNRS et fin connaisseur de l’État saoudien :
"Cette mise en scène du changement n’est en fait que le dernier acte d’un processus de transition générationnel débuté en 1991-1992, dans le contexte de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein et de la guerre du Golfe – mais aussi d’un mouvement de contestation intérieur, notamment islamiste. On a commencé alors à parler de la nécessité du rajeunissement, non seulement du trône, mais de l’ensemble des élites saoudiennes, et la loi fondamentale de 1992 a intégré pour la première fois la troisième génération dans la ligne de succession."
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Autre départ en retraite inattendu et symbolique, celui du ministre des Affaires étrangères, le prince Saoud Ibn Fayçal, qui, à 75 ans, régnait depuis quatre décennies sur la diplomatie du royaume. Il est remplacé par le vert Adel al-Jubeir, 53 ans, qui était ambassadeur depuis 2007 à Washington et qui, fait rare, n’est pas membre de la famille royale des Saoud.
Si le prince héritier Mohammed Ibn Nayef, aujourd’hui ministre de l’Intérieur, jouit d’une grande popularité depuis ses succès contre Al-Qaïda dans les années 2000, le jeune Mohammed Ibn Salman, nommé ministre de la Défense en janvier, est pour sa part en train de se tailler une réputation sur le champ de bataille yéménite, où le royaume, à la tête d’une coalition arabe, mène depuis le 25 mars une guerre pour empêcher la prise de contrôle du pays par la milice des houthistes.
Offensif
Il s’agit là de la première opération militaire extérieure d’envergure menée par Riyad depuis les conquêtes d’Ibn Saoud. La régénération du royaume semble avoir amené un dynamisme offensif, voire agressif à sa politique internationale.
En Syrie, où les Saoud s’acharnent depuis 2011 à vouloir faire tomber la maison Assad, une alliance discrète avec les rivaux qataris et turcs a abouti à la prise par l’insurrection, entre mars et avril, des places stratégiques d’Idlib et de Jisr al-Choughour.
Ces victoires d’un front unifié par l’entente des trois parrains de la rébellion seraient, avancent nombre d’observateurs, un signe annonciateur de la déroute du régime de Damas.
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Au Yémen comme en Syrie, le royaume wahhabite (le wahhabisme, interprétation rigoriste de l’islam sunnite, est la doctrine officielle de l’État saoudien) se mesure à son ennemi juré, l’Iran des ayatollahs, sur fond de discorde confessionnelle entre sunnites et chiites.
Et les nouvelles figures au pouvoir à Riyad voient d’un très mauvais oeil le rapprochement qui s’opère entre Washington, leur grand allié, et Téhéran dans le contexte des négociations sur le programme nucléaire iranien.
Inquiète de voir les Américains se désengager de la région, la famille Saoud prend les devants et n’a pas jugé bon de se concerter avec son grand protecteur pour tenter de ramener, par la force, l’ordre au Yémen.
"Il est temps pour les Arabes et les musulmans de dire à l’Arabie : "Assez"", tempêtait le 17 avril Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, le grand mouvement chiite libanais. En guerre indirecte avec l’Iran, l’Arabie saoudite doit aussi réagir au nouveau péril de l’État islamique (EI), qui menace sa frontière nord mais qui essaime aussi des cellules dormantes dans le royaume.
Faits peu relatés dans la presse, des chiites, des policiers et des étrangers y ont été attaqués, des dizaines d’arrestations ont eu lieu, et les infiltrations sont quotidiennes. Si elle n’est pas en pointe sur ce front, l’Arabie saoudite participe à la coalition qui pilonne les positions de l’EI, faisant paradoxalement le jeu de l’Iran, grand soutien de Bagdad contre les jihadistes sunnites.
L’on pourrait être tenté de voir dans l’audacieuse politique extérieure saoudienne l’expression du rajeunissement du pouvoir, mais ce serait oublier les blindés envoyés par feu le roi Abdallah au Bahreïn voisin en mars 2011, alors qu’un bourgeonnement contestataire des Printemps arabes y faisait vaciller la monarchie, et les moyens colossaux dépensés pour chasser les Frères musulmans, honnis à Riyad, du pouvoir en Égypte en juillet 2013.
"Cette agressivité était inéluctable, car la première cause de la politique extérieure de l’Arabie saoudite est interne, explique Nabil Mouline. Les Saoudiens ne veulent pas être contaminés par ce qui se passe ailleurs et sont dans la contre-révolution préventive depuis 2011, intervenant çà et là pour éviter l’éclosion de mouvements de contestation, particulièrement dans les monarchies alliées, qui pourraient donner de mauvaises idées au peuple saoudien. Et Ryiad peut agir avec son armée, comme au Bahreïn et au Yémen, mais aussi en mobilisant les salafistes locaux. En Égypte, le coup d’État a notamment été légitimé grâce aux salafistes. Idem au Maroc et en Jordanie où, outre une forte assistance financière, les salafistes ont été mobilisés pour défendre le pouvoir."
Si des mouvements de contestation ont éclos en 2011 dans le royaume, la confessionnalisation entre chiites et sunnites de la révolution bahreïnie voisine a rapidement dissuadé la très grande majorité sunnite d’Arabie saoudite de poursuivre le mouvement et, surtout, l’État a sorti l’arme financière en octroyant 130 milliards de dollars (115 milliards d’euros) en aides diverses à la population.
Est-ce pour calmer les esprits que le nouveau roi a distribué une enveloppe de 28,2 milliards d’euros peu après son accession ? À s’être trop reposée sur sa mirifique rente pétrolière, l’Arabie saoudite n’a pas su gérer à temps la diversification de son économie, et le chômage touche une population active en pleine croissance.
Enfin, autre faiblesse structurelle, le mode de gouvernement monarchique aux règles de transmission imprécises et qui repose sur la compétition de factions de la famille royale ne pourra plus durer longtemps.
Le spécialiste de l’Arabie saoudite spécule : "Je crois qu’avec Mohammed Ibn Salman ou Mohammed Ibn Nayef, les choses risquent de beaucoup changer en Arabie saoudite ; la transmission du pouvoir pourrait devenir patrilinéaire, et on va un peu dégraisser les pouvoirs de la famille royale. Seul un prince jeune et énergique pourra faire ça. Le prochain jeune roi d’Arabie saoudite sera soit le plus grand, soit le dernier !"
Arabie… soudayrite
Avec l’arrivée de Salman au pouvoir et le placement de Mohammed Ibn Nayef et Mohammed Ibn Salman dans l’ordre de succession, l’Arabie saoudite est revenue aux Soudayri.
Cette faction, la plus puissante de la famille royale, est constituée des descendants d’Ibn Saoud et de l’une de ses épouses préférées. Les sept fils Soudayri d’Ibn Saoud ont donné deux rois et deux princes héritiers à la monarchie, et occupé pendant des décennies les ministères stratégiques de la Défense et de l’Intérieur.
Feu le roi Abdallah avait cherché à freiner leur ascension par diverses mesures comme la création du Conseil d’allégeance et de la fonction de vice-prince héritier, mais l’accession de Salman a signé leur retour en puissance.
"Mais, souligne Nabil Mouline, il y a des conflits entre Soudayri depuis plusieurs années. Les factions ne durent qu’un certain temps. Lorsqu’elles arrivent au pouvoir, elles retrouvent en leur sein les mêmes contradictions et les mêmes conflits qu’entre elles. Chacun de ses membres estime qu’il est le digne successeur." Ahmad, le septième Soudayri, a ainsi très peu goûté d’avoir été écarté de l’ordre de succession par son frère.
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