Vatican : fumée blanche pour pape noir ?
Depuis la renonciation de Benoît XVI, le 11 février, les paris reprennent de plus belle. Et si un Africain occupait le siège de Saint-Pierre ? La vitalité du catholicisme en Afrique et les indéniables qualités de ses cardinaux plaident en ce sens.
La scène se passe au Vatican, le 5 octobre 2009. Rapporteur général du synode des évêques africains, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson fait face à la presse. Un journaliste lui demande s’il est possible qu’un jour l’Église catholique romaine soit dirigée par un pape africain. « Pourquoi pas ? répond le Ghanéen avec aplomb. Tel est le défi de la foi : être capable de transcender certains préjugés culturels, historiques ou ethniques. […] Si, par une intervention providentielle, Dieu fait en sorte que cela arrive, qu’il en soit alors remercié. »
Un pape africain, un Noir, sur le siège de Saint-Pierre ? Ce n’est pas la première fois que la question se pose. Ce fut le cas en 1978, lors du décès de Jean-Paul Ier. Le prélat béninois Bernardin Gantin faisait partie des papabili. Mais le conclave élit finalement le Polonais Karol Wojtyla. À la mort de ce dernier, en 2005, les Africains reprirent espoir : et si le tour du Nigérian Francis Arinze était venu ? Las, ce fut l’Allemand Joseph Ratzinger qui fut élu.
Depuis l’annonce, le 11 février, que Benoît XVI renonçait à son pontificat, les paris ont repris de plus belle. Et la question devient lancinante : l’heure de l’Afrique a-t-elle enfin sonné ? Même si, à Rome, les préjugés ont la vie dure et même si les conservateurs, beaucoup plus nombreux qu’on ne le croit, font de la résistance, on entrevoit beaucoup de signes encourageants.
Le trio de tête des "papabili"
- Francis Arinze : Nigérian, 80 ans, créé cardinal en 1985 par Jean-Paul II.
Plus : Il connaît parfaitement les rouages de la curie puisqu’il réside à Rome depuis 1984. Il est préfet émérite de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2008.
Moins : Son âge avancé.
- Robert Sarah : Guinéen, 67 ans, créé cardinal en 2010 par Benoît XVI.
Plus : Connaît très bien les missions de l’Église (a été secrétaire de la congrégation pour l’évangélisation des peuples, préside le conseil pontifical Cor Unum, qui coordonne l’action humanitaire de l’Église).
Moins : S’exprime peu sur les relations avec les autres religions et les non-croyants.
- Peter Kodwo Appiah Turkson : Ghanéen, 64 ans, créé cardinal en 2003 par Jean-Paul II.
Plus : S’est vu confier des postes clés au Vatican, dont la présidence du conseil pontifical Justice et Paix (qu’il occupe toujours).
Moins : A projeté une vidéo islamophobe au Vatican lors du synode sur l’évangélisation, en octobre 2012, suscitant une polémique.
Ils se fondent en premier lieu sur le principe de l’universalité de l’Église catholique romaine. L’époque de la colonisation de l’Afrique, où les missionnaires européens étaient les auxiliaires des gouvernements de leurs pays conquérants, faisant partie de la célèbre trilogie administration-religion-affaires, est totalement révolue. Hier imposé, le christianisme a fini par s’enraciner, s’africaniser. On ne peut plus dire – à moins de renier son message de fraternité et d’amour – que le catholicisme est l’apanage du seul Occident. Il appartient à tous ceux qui l’ont adopté, assimilé. La papauté ne peut donc plus rester la chasse gardée de l’Italie et d’une poignée d’autres pays européens.
Tam-tam
La vitalité du catholicisme africain plaide également en faveur d’un pape issu du continent. En perdition en Europe, qui connaît une grave crise des vocations, il ne cesse de progresser en Afrique – malgré la concurrence féroce que lui livrent les Églises évangéliques – et en Amérique latine. Alors que les Églises du Nord sont en quête de fidèles le dimanche, elles sont pleines à craquer au sud du Sahara, où l’on en construit davantage. Et cette foi communicative est vécue dans la joie et la bonne humeur, au son d’instruments locaux comme le tam-tam.
L’Afrique compte aujourd’hui quelque 186 millions de catholiques, dont 36 millions pour la seule RDC, qui dépasse la Pologne (35 millions) et l’Allemagne (25 millions). Depuis quelques années, un phénomène inédit a vu le jour : les pays européens, dont les paroisses manquent cruellement de prêtres, font de plus en plus souvent appel à des Africains. Cette évangélisation du Nord par le Sud a séduit les fidèles, qui ont découvert une manière différente, plus vivante, de se rapprocher de Dieu. Peut-être sera-ce grâce à ces « missionnaires » d’un nouveau genre que le catholicisme sera sauvé du naufrage sur le vieux continent. Plus dynamiques, les Églises africaines, matériellement démunies mais spirituellement riches, se bâtissent sur une vraie solidarité, le partage et la tolérance. Un pape africain serait pour elles une juste récompense.
Progressiste
Pédophilie, malversations financières ou scandale Vatileaks – ces fuites orchestrées par le proche entourage du pape… En Occident, de nombreuses affaires ont ébranlé l’Église et terni son image. Cette perte de crédibilité n’a pas atteint l’Afrique. Au contraire, beaucoup de cardinaux africains ont fait leurs preuves, que ce soit dans leurs archidiocèses ou au sein de la curie romaine. Même s’ils ne sont pas nombreux, ils ne passeront pas inaperçus lors du prochain conclave, qui doit se réunir entre le 15 et le 20 mars pour élire le successeur de Benoît XVI au plus tard le 31. Ayant atteint la limite d’âge (80 ans), le cardinal Francis Arinze ne pourra participer au conclave et donc au vote, mais cette figure très appréciée à Rome comme en Afrique peut théoriquement être élue par ses pairs. Parmi les papabili dont le nom est souvent cité, le Camerounais Christian Tumi, connu pour ses critiques sans complaisance du pouvoir temporel dans son pays. Ou le Congolais Laurent Monsengwo Pasinya, présenté comme « intelligent et capable de se frayer un passage, même s’il lui manque l’expérience de la curie romaine » et dont l’implication dans les problèmes politiques de son pays depuis les années 1990 est bien connue.
On parle aussi beaucoup du Ghanéen Peter Kodwo Appiah Turkson. À 64 ans, ce prélat est considéré comme progressiste. Son discours est fondé sur le réalisme et une certaine compréhension. Par exemple, il ne condamne pas l’usage du préservatif lorsque l’un des deux partenaires est séropositif. Et, s’agissant des homosexuels, il préconise le respect à leur égard sans pour autant approuver leur mode de vie. Ceux qui le connaissent parlent d’un homme « très humble, compétent, sympathique, équilibré », dont le « charisme inspire la joie, l’espérance et la paix ». Le cardinal Turkson a une idée bien précise sur la crise financière qui frappe le monde et sur la manière de redistribuer les richesses de la planète. Il n’hésite pas, également, à dénoncer les OGM. Par ailleurs, sa médiation a évité une crise politique au Ghana au lendemain des résultats très serrés des élections de 2008 opposant John Atta-Mills à Nana Akufo-Addo.
Défaveur
Autre personnalité très respectée et apte à exercer la mission papale, le Guinéen Robert Sarah – même si le fait que son pays compte moins de catholiques que de musulmans pourrait jouer en sa défaveur lors de l’élection. Le Sénégalais Théodore Adrien Sarr a lui aussi toutes ses chances… et le même handicap. L’un de ses collaborateurs le qualifie d’« homme d’ouverture et de dialogue, préoccupé par les valeurs de paix, qui a lancé un vaste chantier pour la modernisation de la vie pastorale et se bat pour une société plus morale et plus droite ». Tous ont un grand avantage par rapport à leurs homologues occidentaux : leur double culture, africaine et romaine. Certains sont originaires de pays où différentes religions cohabitent dans la plus grande tolérance.
Qu’un Africain soit élu ou non, le prochain souverain pontife devra de toute urgence réparer un certain nombre d’injustices qui affectent les Églises catholiques du continent. Par exemple, susciter la création d’un concile africain, demandé de longue date par les intéressés, et chargé de traiter les questions spécifiques aux Églises locales. Et créer plus de cardinaux en Afrique. Il n’est pas normal, en effet, que de nombreuses villes italiennes, peu peuplées, en comptent davantage que Kinshasa, qui n’en a qu’un seul, malgré sa dizaine de millions d’habitants.
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