Guy Georgy

Publié le 28 juillet 2003 Lecture : 3 minutes.

C’était au pire moment des relations franco-libyennes. Kadhafi avait retiré son ambassadeur à Paris et tardait à le remplacer. Haut dignitaire de la Jamahiriya, mon ami Brahim Bshari, grâce auquel les chamailleries entre les deux pays n’allèrent jamais jusqu’à la rupture, m’avait demandé de venir voir son chef. Comme toujours, le colonel me réserva le meilleur accueil. L’ambiance était si détendue que lorsqu’il aborda, de lui-même, le problème de la représentation libyenne en France, j’osai lui dire qu’au fond, cela n’avait pas une très grande importance parce qu’un ambassadeur à Paris, il en avait déjà un : Guy Georgy !

Guy Georgy avait été le premier ambassadeur de France en Libye après le renversement du roi Idriss, le 1er septembre 1969, et l’était resté jusqu’en 1975. Pour le récompenser de la réussite de son ambassade tripolitaine, et notamment du rôle qu’il avait joué dans la solution heureuse de « l’affaire Claustre », on lui avait confié la direction des
affaires africaines et malgaches à l’administration centrale du Quai d’Orsay (où il avait eu sous ses ordres, et initié aux réalités africaines, un certain Dominique de Villepin). Après quoi, considéré comme le spécialiste des situations délicates, il avait été nommé
ambassadeur en Iran (1980), puis en Algérie (1981), avant d’être élevé à la dignité d’ambassadeur de France et de prendre une retraite que n’importe qui d’autre aurait considéré comme bien méritée, mais qui ne fut pour lui que le début d’une nouvelle vie.
Se souvenant qu’il avait été autrefois ambassadeur en Bolivie (1961), on lui proposa de
reprendre la barre d’un gros navire à la dérive, la Maison de l’Amérique latine à Paris, dont il fit, en dix ans, un paquebot magnifique. Et comme cela ne suffisait pas à remplir
les journées de cet hyperactif, il se mit à publier, au rythme de un volume par an, ses mémoires : son enfance périgourdine (La Folle avoine,1991), ses débuts aux colonies (Le Petit soldat de l’empire, 1992), ses pérégrinations latinoaméricaines (L’Oiseau sorcier,
1993). Puis, après une pause, ses expériences nord-africaines. Avec, en particulier, un ouvrage sur le numéro un libyen (Le Berger des Syrtes, 1996) qui est non pas un éloge, encore moins un panégyrique, mais une lumineuse explication d’un personnage que beaucoup d’Occidentaux ne comprennent pas.

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À l’évocation de son nom, Kadhafi eut un sourire : « Ah ! Ce bon Georgy ! s’exclama-t-il.
Que devient-il donc ? Pourquoi ne vient-il plus nous voir ? »
Les retrouvailles se firent avec effusion. Manifestement, Kadhafi était heureux de revoir, après tant d’années, ce vieil ami. Son bonheur s’accrut lorsque Georgy commença à lui demander des nouvelles des principaux membres de la tribu des Kaddafeddam, à laquelle appartient le maître de Tripoli : ses oncles, ses cousins, dont il connaissait les prénoms, les cousinages, les petits secrets familiaux. Devant tant d’intimité, Kadhafi éclata de rire, et de stupeur. Du coup, il le consulta sur les relations entre tel sous-groupe ethnique du Tchad et tel autre.
C’était cela, Guy Georgy : un puits de science, un érudit intarissable, un esprit universel.
Né le 17 novembre 1918, ancien élève de la fameuse École nationale de la France d’outre-mer, une sorte d’ENA dans laquelle on apprenait, en plus de tout ce qui s’y enseigne aujourd’hui, l’art et la manière de construire (de ses propres mains) une charpente, de
soigner une vache, voire d’aider une femme à accoucher, Guy Georgy s’est éteint le 8 juillet 2003 à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, où il avait été transféré quelques jours auparavant.
Sa disparition est une très grande perte, une perte irréparable. Non seulement pour sa
famille, bien sûr, pour ses amis, au nombre desquels je me flatte d’appartenir , mais pour l’Afrique tout entière.

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