Damas liquide les Frères musulmans
Nous sommes à la fin des années 1970. Les Frères musulmans font régner un climat d’insécurité dans toute la Syrie. Le 16 juin 1979, un de leurs commandos parvient à « exécuter » trente-deux élèves officiers à l’intérieur de l’école d’artillerie d’Alep. Bénéficiant de complicités au sein de l’armée, ils multiplient les attentats contre les cadres du parti Baas et les personnalités alaouites proches du régime.
Lors du 7e congrès du Baas (22 décembre 1979-5 janvier 1980), Rifaat el-Assad, frère du président et commandant des Brigades de défense, déclare que quiconque ne soutient pas l’État baasiste est considéré comme un ennemi, appelle à une campagne nationale d’« épuration » et demande que les membres de l’opposition, notamment les Frères musulmans, soient envoyés dans des camps de travail en plein désert.
Les Frères répliquent par de nouveaux attentats. Sont visés l’ambassade syrienne à Paris (24 janvier 1980), un dignitaire sunnite proche du régime en pleine mosquée d’Alep (2 février) et même le chef de l’État lui-même, sauvé in extremis par un garde du corps (26 juin).
D’abord débordées, les autorités parviennent à s’organiser pour lancer une offensive d’envergure contre tous les opposants, sans distinction aucune, perpétrant des massacres contre des populations civiles, notamment à Jisr el-Shaghrour (200 morts), à Souq el-Ahad (42 morts), au quartier de Hananou, à Alep (83 morts), au quartier d’el-Boustan, à Hama (200 morts), et à Palmyre (où 600 prisonniers islamistes furent sommairement exécutés). Dans la foulée, le régime fait voter, en juillet 1980, la loi n° 49 dont l’article premier stipule : « Est considéré comme criminel et sera puni de la peine capitale quiconque est affilié à l’organisation de la communauté des Frères musulmans. »
À Hama, la révolte gronde et la résistance s’organise… Le 3 février 1982, vers 3 heures du matin, les 300 000 habitants de la ville, en majorité sunnites, sont réveillés par des appels à l’insurrection lancés des mosquées. Les Frères musulmans, qui se sont rendus maîtres de la cité pendant quatre jours, tuent plus de 300 militants baasistes et taillent en pièces une unité de parachutistes dépêchée par l’armée. Plusieurs milliers d’hommes des Forces spéciales et des Brigades de défense assiègent la ville, qu’ils pilonnent à l’artillerie lourde avant de donner l’assaut. Une fois dans Hama, les soldats se livrent aux pires exactions « sans aucune distinction de religion ou d’appartenance politique », écrit Pierre Guingamp dans Hafez el-Assad et le parti Baas en Syrie (éd. L’Harmattan, Paris, 1996). Pendant près d’un mois, les habitants de Hama vont connaître l’enfer. Bilan : 15 000 morts, selon Amnesty International, en majorité des civils. L’opposition parlera de 30 000 morts, 15 000 disparus et 100 000 déportés.
Le président avait donné carte blanche à l’armée, autorisant le recours à toutes les armes et à tous les moyens de répression et de dissuasion, même si cela devait mener à la destruction de pans entiers de la ville. Résultat : les quartiers de Baroudi, Kilani, Hamidiya et Khadr sont rasés. D’innombrables mosquées, églises et sites archéologiques sont détruits et pillés, dont le musée Qasr el-Azm.
Interrogé à de nombreuses reprises sur ce sanglant épisode, Assad fait valoir la raison d’État et en rejette la responsabilité sur Washington. « Alors qu’elle parle de défense des libertés, des droits de l’homme et de lutte contre le terrorisme international, l’Amérique soutient les Frères musulmans et les charge de commettre des actes de sabotage dans notre pays. Les aveux de certains Frères musulmans, le matériel saisi d’origine américaine et les déclarations du département d’État sont les preuves de cette collusion », déclarera-t-il à Patrick Seale (cité par Lucien Bitterlin, Hafez al-Assad, le parcours d’un combattant, éd. du Jaguar, Paris 1986).
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