Ces Africaines chefs d’entreprise

D’origine maghrébine ou subsaharienne, elles ont choisi de voler de leurs propres ailes pour satisfaire leurs ambitions professionnelles. À l’occasion de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, coup de projecteur sur quelques-unes de ces battant

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 9 minutes.

Femmes et issues de l’immigration, elles se heurtent, soulignait un récent rapport de l’Afij (Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés), à une sorte de double plafond de verre qui les empêche de réussir leur vie professionnelle. Pour contourner ce double handicap et donner libre cours à leur esprit créatif, certaines
ont choisi de créer leur propre entreprise. Et toutes ne voient pas en la discrimination positive, et donc l’instauration de quotas, la solution idéale.
Voici, en huit portraits, le parcours de quelques-unes de ces self-made women africaines animées par la même rage de réussir.

Soumia Malinbaum, 42 ans
Vendeuse de matière grise
La petite quarantaine, Soumia Malinbaum, née Belaïdi, dirige depuis 1991 Spécimen, une société de services en ingénierie informatique (SSII) florissante qu’elle a elle-même créée à la suite du dépôt de bilan de l’entreprise où elle travaillait auparavant.
Spécimen emploie vingt-cinq salariés en CDI et compte parmi ses clients Sony Music, YSL ou le groupe Accor. Située au coeur du 16e arrondissement parisien, cette SSII, qui vend donc de la « matière grise », a enregistré en 2004 un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros.
« Fille d’immigrés algériens », Soumia, qui a vu le jour à Saint-Quentin, a-t-elle rencontré des difficultés particulières en tant que femme d’origine étrangère ? « Vous savez, la discrimination est quelque chose d’insidieux. Je n’y ai pas été directement confrontée. Je suis passée à travers les mailles du filet, mais de là à dire que ça n’existe pas… Personnellement, j’ai davantage eu à me battre en tant que femme chef d’entreprise et en tant que femme dans un métier, l’informatique, assez masculin. Mon origine étrangère ne fut qu’une sorte de « cerise sur le gâteau » qui m’a à la rigueur permis de me différencier », explique cette juriste de formation. Quid de la discrimination positive ? « Le débat actuel a au moins le mérite de mettre un mot sur le phénomène », poursuit celle dont la plus grosse fierté aujourd’hui est de pouvoir « redistribuer » et « transmettre » un peu de sa réussite, et en « faire profiter » ceux de sa communauté.

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Mylène Innocent, 34 ans
« Paris by night »
Mylène Innocent a vu le jour voici trente-quatre ans à Pointe-Noire, au Congo. Cette fille de diplomate qui a passé son enfance à Moscou a toujours baigné dans le cosmopolitisme. Elle dirige aujourd’hui un lieu mythique de la nuit parisienne : l’Opus Latina, ex-Bal nègre, où Joséphine Baker a fait ses premiers pas de danseuse.
Mylène règne sur un effectif de vingt personnes, des hommes pour la plupart. Rencontre-t-elle, en tant que femme, des difficultés particulières à diriger un lieu de nuit ? « On pourrait le penser, explique-t-elle, mais en réalité non. Je suis une femme, donc maternelle et patiente. J’entretiens avec mes employés des rapports tels qu’ils n’ont pas envie de décevoir la « grande soeur » qu’ils voient en moi. »
De manière plus générale, est-il difficile de réussir lorsqu’on est une femme étrangère en France ? « On m’a toujours appris à ne pas justifier les obstacles et les échecs que je rencontrais par ma couleur. De par mon dynamisme, je suis toujours arrivée à convaincre mes interlocuteurs de regarder au-delà de la couleur de ma peau. Cela étant, je suis consciente que de nombreuses personnes sont confrontées aux préjugés raciaux et qu’elles ne sont pas toujours bien armées pour faire en sorte qu’ils soient transcendés. » L’ambitieuse Mylène a l’intention de créer sa propre boîte d’événementiels, Innocent Events. En attendant, elle règne sur l’Opus Latino, bar-restaurant du 15e arrondissement de Paris, qui génère un chiffre d’affaires mensuel de quelque 70 000 euros.

Fatéma Hal, 52 ans
Le goût du risque
Fatéma Hal n’avait que 17 ans lorsqu’elle rejoint en France un mari qu’elle n’a pas vraiment choisi. Aujourd’hui, à 52 ans, cette native d’Oujda peut avoir bien des motifs de fierté. Elle est à la tête, depuis 1984, de La Mansouria, le restaurant marocain le plus couru de Paris. Cet établissement réalise un chiffre d’affaires proche du million d’euros et emploie une vingtaine de personnes.
Mme Hal, qui, dans une autre vie, a rédigé un mémoire sur la prostitution des Marocaines en France à l’École pratique des hautes études, est également l’auteur de quatre ouvrages consacrés à la gastronomie. La Mansouria commercialise également une gamme d’épices. Dernière prouesse de cette femme qui s’inscrit sans cesse dans le mouvement : le lancement de plats cuisinés qui seront distribués dans des chaînes du type Lafayette Gourmet. L’industrialisation du tajine, vendu en barquette, c’est un peu risqué, mais Mme Hal n’aime rien tant que se « mettre en danger ». Le confort l’ennuie.
S’est-elle heurtée à des obstacles en tant que femme étrangère ? « Oui, bien sûr, nous ne rencontrons que des obstacles. D’ailleurs, c’est bien parce que je cumulais, comme tous les immigrés, des contrats à durée déterminée que j’ai eu envie de créer ma propre affaire ! En fait, il y a deux catégories de personnes : celles qui sont obnubilées par les entraves et celles qui vont se débrouiller pour les franchir ! Celles-ci finissent par ne plus les voir. Leur secret ? Travailler beaucoup, trouver les choses qui les font vibrer et les réaliser ! » À bon entendeur…

Rachida Belliard, 47 ans
Pertinemment vôtre
« Je ne rencontre pas de problème particulier en tant que femme. La difficulté, depuis le 11-Septembre, c’est d’être arabe. Cette appartenance suscite une énorme méfiance », confie Rachida Belliard, El-Khoulti Abou Khadija de son nom de jeune fille. Ex-animatrice sportive, diplômée en littérature française et reconvertie dans la communication, cette MRE (Marocaine résidant à l’étranger) se dit favorable à la « charte de la diversité culturelle », qui vise à refléter la diversité ethnique de la société dans l’entreprise. Elle adhère en cela aux mêmes idées que Yazid Sabeg, PDG de Communication et Système et chantre du « volontarisme républicain » en la matière.
À 47 ans, Rachida Belliard dirige Pertinence, une société spécialisée en conseil et formation qui emploie trois salariés et un réseau de formateurs, dont douze à plein temps. Poursuivant le parcours assez atypique qui est le sien, cette native de Meknès, qui a quitté son Maroc natal à 23 ans, a créé en banlieue parisienne sa propre entreprise voilà dix ans, après plusieurs années de salariat au sein de groupes de communication (Actiphone, Bernard Julhiet, Obea). En 2000, Pertinence a participé à la mise en place du premier Centre de relations clients (gérant des appels pour des pays étrangers) à Rabat.
L’atout majeur d’une femme manager ? « Notre force à nous, c’est que nous sommes d’abord des mères, y compris lorsque nous ne le sommes pas biologiquement, nous en avons l’instinct. Et sur le plan humain, et donc de la gestion des ressources humaines, cela se traduit par une plus grande qualité d’écoute. »

Sakina M’sa, 32 ans
Poétique de la mode
Sakina M’sa a tout juste 7 ans quand elle arrive à Marseille avec ses parents. Sept ans plus tard, cette jeune Comorienne organisait son premier défilé de mode. En 1992, son diplôme de l’Institut supérieur de mode, à Marseille, en poche, elle travaille pour une radio associative à Paris. Parallèlement, elle continue de créer des vêtements pour le théâtre et organise des ateliers de stylisme dans les quartiers sensibles.
Encouragée par la bourse Défi Jeune et le Grand Prix de la Biennale internationale du design de Saint-Étienne, Sakina M’sa décide un beau matin de consacrer sa vie à ce qu’elle aime. C’est ainsi qu’en 2002 cette jeune femme, qui considère la mode comme un « vecteur pour marquer sa différence », crée sa propre entreprise, Trevo, une SARL au capital de 10 000 euros qui compte deux salariés et une pléthore de sous-traitants. Près de deux ans plus tard, son nom et ses créations d’une poésie rare commencent à s’imposer non seulement en France, dans sa boutique-atelier de la très créative rue des Gardes du 18e arrondissement parisien, mais aussi au Japon dans des magasins multimarques. À 32 ans, elle vient de présenter sa cinquième collection, Poetik Jungle, au Who’s Next, salon international des nouvelles tendances mode. Elle reconnaît évoluer dans un métier plutôt masculin, mais qui reste ouvert et où la différence et l’origine étrangère sont de véritables atouts.

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Hymane Ben Ayoun, 38 ans
Ressources naturelles
La discrimination positive, Hymane Ben Ayoun ne veut pas en entendre parler. Pourtant, cette dynamique jeune femme, née à Paris de parents tunisiens, reconnaît que réussir une carrière « quand on est maghrébine, c’est plus compliqué », mais avoue qu’elle n’a jamais pensé devoir se battre contre ça. Elle admet aussi que devenir cadre dans un paysage managérial très masculin n’est pas non plus aisé parce qu’on « nous fait moins confiance ».
Et c’est très probablement – mais comment en être sûr ? – ce qui l’a incitée à créer Diaphane, sa propre société de conseil en ressources humaines dès 1996. À l’époque, elle avait tout juste 28 ans, une licence de langues étrangères appliquées en poche, une expérience professionnelle pas forcément adaptée à ses ambitions et, surtout, une volonté farouche d’y arriver. « Je n’ai pas attendu que le monde change, et je ne me suis jamais battue contre des moulins à vent », résume la lauréate du coup de coeur Clicquot 1998, prix décerné par la maison Veuve Clicquot aux jeunes créatrices d’entreprise. D’où lui vient une telle détermination ? « De ma mère, une femme qui est arrivée en France sans savoir ni lire ni écrire, mais qui a su s’imposer pour avoir la vie à laquelle elle aspirait. »
À 38 ans, Hymane Ben Ayoun dirige l’antenne française d’Aravati (ex-Diaphane), un réseau international de cabinet de conseil en recrutement né en 2001 de sa propre initiative. En 2004, Aravati France a facturé 700 000 euros d’honoraires, mais le plus gros motif de fierté de sa patronne n’est autre que sa fille, tout juste 11 petits mois.

Léonie Mekehi Gnegbo, 44 ans
Vouloir, c’est pouvoir
Léonie n’est pas une femme ordinaire. Cette Ivoirienne rêve depuis l’âge de 11 ans de devenir mécanicienne ! Elle n’a certes pas concrétisé cette ambition, mais elle évolue dans un métier, celui du bâtiment, où les femmes ne sont pas légion. Arrivée en France en 1983, Léonie a d’abord cumulé les petits boulots avant de décrocher, en 1997, un CAP d’équipement électronique. Elle n’avait qu’une ambition : être embauchée sur un chantier. « Chaque fois, je me heurtais à la même réponse : nous ne recrutons pas de femmes, car nous n’avons pas de vestiaire réservé aux femmes. »
Léonie a donc dû se contenter de petits boulots harassants jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, elle décide de créer sa propre entreprise : Sawouah BTP (installation et entretien en électricité). Depuis août dernier, Léonie, qui élève seule ses deux filles, est devenue, à 44 ans, la patronne d’une société dont elle ambitionne de faire un « Bouygues » ! Elle a déjà plusieurs chantiers sur son carnet de commandes.
« Ce que je pense de la discrimination positive ? C’est une autre forme de racisme ! Il faut se contenter de donner à chacun sa chance », professe-t-elle. La devise de Léonie Gnegbo ? « Quand tu veux, tu peux », et c’est ce message qu’elle s’échine à transmettre à d’autres femmes d’origine africaine au sein de l’association Africagora, dont elle est membre.

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Sally Bennacer, 37 ans
Soif d’ascension
Native de Bejaïa, en Algérie, Sally Bennacer est arrivée en France à l’âge de 7 ans. Elle est, depuis 2000, à la tête d’Art and Blind, une entreprise qui commercialise notamment des stores et des rideaux. Comment est-elle devenue chef d’entreprise ? « J’ai toujours eu envie de diriger ma propre affaire. Et puis, il y a cinq ans, j’ai décidé de démissionner de l’entreprise où j’étais employée depuis huit ans pour la simple raison que je n’y évoluais plus. Tous les postes de cadres étaient pourvus », explique cette jeune femme de 37 ans, qui, après un BEP et un BAC Pro, est parvenue à s’inscrire en DEUG de psychologie.
En moins de cinq ans d’existence, Art and Blind a réussi à conquérir une clientèle française mais aussi algérienne. Sa patronne a reçu pas moins de trois prix, dont Talents des cités en 2002, le Prix de la Convention France-Maghreb en 2003 et le Prix du mérite de Sève, association des femmes algériennes chefs d’entreprise. En 2004, Art and Blind, qui emploie trois salariés et fait appel à plusieurs artisans indépendants, a enregistré un chiffre d’affaires de 200 000 euros.
Même si elle estime devoir en partie sa réussite au fait qu’elle n’est pas trop typée, mais aussi à un prénom (Sallia transformée en Sally) qui laisse planer un doute quant à ses origines, cette jeune patronne se dit farouchement opposée à la discrimination positive : « C’est humiliant pour nous. Je trouve que c’est terrible d’en arriver à imposer quelque chose qui devrait se faire naturellement. »

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