François Compaoré à l’ombre du grand frère

Le cadet du chef de l’État est de plus en plus perçu comme l’un de ses successeurs possibles. Multipliant les interventions politiques, cet homme autrefois si discret fait tout, il est vrai, pour nourrir les interrogations.

Publié le 7 juillet 2008 Lecture : 7 minutes.

Plus un jour sans que les titres de la presse burkinabè ne lui consacrent un article. François Com­paoré, le frère cadet du président Blaise Compaoré, fait l’objet de tous les commentaires. Il y a dix ans déjà, ce quinquagénaire au visage austère, qui préfère les survêtements aux costumes croisés, défrayait la chronique au lendemain de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, le 13 décembre 1998. Son nom revenait régulièrement dans cette affaire pour laquelle il a, depuis, été lavé de tout soupçon. Y aurait-il un rebondissement pour que les journaux s’emparent de nouveau de son cas avec tant de ferveur ? Il s’agit de tout autre chose. Depuis plusieurs mois, une question est sur toutes les lèvres : François Compaoré sera-t-il le prochain président du Burkina ?
L’intéressé lui-même fait tout pour nourrir les interrogations. Bien plus visible qu’à l’accoutumée, il participe à des émissions télévisées, pose aux côtés de chefs d’État et prend des bains de foule avec le Tout-Ouaga, comme le 19 avril dernier lors de l’inauguration officielle du siège de la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC). Bref, il multiplie les sorties, rompant avec la discrétion à laquelle il avait jusqu’à présent habitué les Burkinabè.
Si François Compaoré est désormais perçu comme un possible successeur du chef de l’État, c’est parce que beaucoup voient en lui la main invisible qui est en train de bouleverser l’échiquier politique national à l’approche du scrutin de 2010. D’abord en ayant obtenu, le 23 mars dernier, le départ du gouvernement de Salif Diallo, le puissant ministre de l’Agriculture, avec lequel sa mésentente était notoire. Ensuite, en siphonnant de ses forces vives (députés, militants, élusÂ) le parti présidentiel – le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) – à travers la Fedap-BC, dont il est le parrain. Cette vaste instance de soutien à Blaise Compaoré, à mi-chemin entre l’association et la formation politique, pourrait bien lui servir de tremplin.

Énigmatique
Pour l’opposition, aucune ambiguïté : derrière cette stratégie des petits pas se cache une minutieuse stratégie de conquête du pouvoir. « L’idée est loin d’être saugrenue. Il est tout à fait capable d’être candidat à la prochaine élection », affirme Bénéwendé Sankara, président de l’Union pour la renaissance/Mouvement sankariste (Unir/MS), qui admet toutefois ne pas tout connaître du personnage. Il n’est pas le seul. Car du frère du chef de l’État, on ne sait que peu de chose. En outre, sa propension à fuir les journalistes d’un célèbre hebdomadaire panafricain basé à Paris n’est pas faite pour lever le voile sur sa personnalité énigmatique. Trait de famille oblige.
Né en 1954 à Ziniaré, à une cinquantaine de kilomètres de Ouagadougou, François Compaoré a suivi des études d’économie dans les universités de Niamey et d’Abidjan avant de s’envoler pour les États-Unis afin de se spécialiser en agroéconomie. Diplôme en poche, il retourne au Burkina où il intègre les services du Fonds de l’eau et de l’équipement rural (FEER) puis est nommé, en 1989, conseiller économique à la présidence de la République, poste qu’il occupe toujours à l’heure actuelle. Cette nomination ne doit rien au népotisme. De l’avis de beaucoup, l’homme a les compétences requises. Son bureau du nouveau palais de Kossyam, à Ouaga 2000, est bien en vue, et ses avis sont écoutés. Le chef de l’État n’hésite pas à en faire un discret émissaire, à l’exemple de cette mission en Guinée équatoriale, où il s’est rendu début juin afin de raffermir les rapports entre les deux pays.
Pour le reste, celui que le rédacteur en chef du bimensuel L’Événement, Newton Ahmed Barry, a affublé du sobriquet de « petit président » consacre son temps libre à sa passion pour le football, qu’il pratique le dimanche et qui l’amène à occuper de hautes responsabilités. Membre permanent de la Confédération africaine de football (CAF), il est aussi le conseiller technique de l’Étoile filante de Ouagadougou, club phare du Burkina, qu’il soutient activement en dénichant des sponsors grâce à son carnet d’adresses. Autre socle, la famille. Ce père de cinq enfants est marié à Salah, fille d’Alizeta Ouédraogo, richissime femme d’affaires qui, en quelques années, a fait main basse sur le secteur lucratif du cuir et des peaux à travers son groupe, Tan-Aliz.
Une vie bien rangée, donc, presque sans histoire. N’eût été deux affaires qui lui ont empoisonné l’existence ces dix dernières années. Celle, d’une part, de l’assassinat de son chauffeur personnel, David Ouédraogo, pour lequel il fut inculpé de « meurtre et recel de cadavre ». Après s’être déclarée incompétente en juillet 1999, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Ouagadougou a renvoyé le dossier devant un tribunal militaire qui ne retiendra aucun chef d’inculpation. D’autre part, l’affaire Norbert Zongo, assassiné au moment où ce dernier enquêtait sur la disparition de David Ouédraogo.
Est-ce précisément parce qu’un non-lieu général a été prononcé en 2006 pour ce meurtre par le juge Wenceslas Ilboudo que le cÂur de François Compaoré semble désormais plus léger et qu’il se montre disposé à affronter la foule ? « Ce n’est pas une coïncidence. Ses premières apparitions remontent à cette décision rendue après la rétractation du principal témoin, et qui a enterré l’affaire Zongo. Libéré de l’épée de Damoclès judiciaire et de la menace d’autres instructions, il peut désormais tomber le masque », note un observateur.
Ou, du moins, préparer le terrain. Plusieurs leviers sont à sa disposition. D’abord les « Amis de Blaise Compaoré » (ABC), l’élément dominant de la nouvelle Fedap-BC. Présentée comme apolitique, cette puissante association dont François Compaoré est la cheville ouvrière exerce depuis plusieurs années un intense lobbying auprès du président de la République, mêlant aux réseaux coutumiers et associatifs de nombreuses structures issues des milieux paysan, artisan et commerçant. À travers elle, François a pu tisser ses réseaux à travers tout le pays. Non content d’afficher sa proximité avec l’empereur des Mossis, le Mogho Naba, il peut également se prévaloir de ses relations avec de puissants hommes d’affaires, à commencer par le magnat du BTP, El-Hadj Oumarou Kanazoé.

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Mémorables joutes verbales
La Fedap lui a également permis de prendre ses distances avec les caciques du régime du CDP, qui ne s’étaient pas privés de lui mettre des bâtons dans les roues. « Sa présence est vue d’un mauvais Âil. Ces hommes sont allés au-devant du peuple. Ils se sont exposés et ont pris des risques tout au long de leur carrière. Ils ne sont pas prêts à le laisser avancer sans réagir », explique un conseiller personnel du chef de l’État, sous le couvert de l’anonymat. Un conflit d’intérêts illustré par la lutte sans merci que François Compaoré livrait depuis des mois au sein du CDP, où il siège toujours, aux vieux loups que sont Salif Diallo, Simon Compaoré, le maire de Ouagadougou, ou l’actuel président de l’Assemblée nationale, Roch Marc Christian Kaboré.
Salif Diallo surtout. En témoignent les mémorables joutes verbales auxquelles les deux hommes se sont livrés lorsque deux « cédépistes » se sont opposés aux municipales de 2006 dans la ville de Gourcy (Nord-Ouest). Il faut dire que ces derniers n’étaient autres que Tahéré Ouédraogo, mari d’Alizeta Ouédraogo, beau-père de François, et Issouf Baba Mandé, oncle de l’ex-ministre.
Des tensions suffisamment fortes pour que le président Compaoré, au final, se sépare de son plus fidèle compagnon de route depuis le Front populaire. Car si la personnalité entière de Diallo, tout comme sa frustration de ne pas avoir été nommé Premier ministre en juin 2007 à la place de Tertius Zongo, ont joué dans son éviction, les profondes divergences avec François ont, à n’en pas douter, accéléré son départ.
Mais il ne suffit pas d’être le frère d’un chef d’État pour accéder à la magistrature suprême. Ce scénario, s’il venait à se confirmer, suppose que l’intéressé parvienne à convaincre un électorat hostile, qui le suspecte toujours d’être impliqué dans l’affaire Zongo.
D’autres obstacles relèvent de la psychologie. Piètre communicateur, manquant de charisme, François Compaoré n’a pas a priori le profil d’une bête politique. « Il n’est pas combatif, estime Hermann Yaméogo, président de l’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD). »
À l’heure où les successions dynastiques sont à la mode en Afrique, la tentation est grande pour certains responsables de lancer des membres de leur famille dans l’arène politique comme pour assurer la continuité de l’Âuvre accomplie.
Cette greffe prendrait-elle au Burkina ? « Ce serait un très mauvais calcul, note ce diplomate en poste à Ouaga. Cela suppose qu’il ait été mis en pleine lumière à travers un poste honorifique comme ambassadeur ou ministre et qu’il se soit préparé à cette haute fonction. Or rien de cela ne s’est produit jusqu’à présent. Il faut également tenir compte de l’armée. Contrairement à Blaise, qui vient de ses rangs, les militaires ne lui accorderaient aucune légitimité. »
Les jeux sont donc largement ouverts, d’autant qu’il est peu probable que la succession du chef de l’État intervienne avant 2015. Il n’empêche. Si le président de l’Assemblée, Roch Marc Christian Kaboré, semble toujours le candidat le plus consensuel, les partisans du « beau Blaise » sont de plus en plus nombreux à voir en son frère la meilleure carte pour défendre son héritage et assurer la pérennité du « compaorisme ».

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