La vraie Simone Gbagbo

L’épouse du chef de l’État ivoirien n’est pas une première dame comme les autres. Elle exerce un rôle politique aussi incontournable que controversé, joue de son influence et de ses réseaux dans l’ombre de son mari. Portrait.

Publié le 12 décembre 2006 Lecture : 15 minutes.

Elle intrigue ou agace. Suscite curiosité ou rejet. Inspire crainte, voire terreur. Mais Simone Ehivet Gbagbo, 57 ans, ne laisse personne indifférent. Première dame de Côte d’Ivoire, présidente du groupe parlementaire du Front populaire ivoirien (FPI, au pouvoir) qu’elle copréside, directrice de campagne dans le district d’Abobo du candidat Laurent Gbagbo à la prochaine présidentielle, elle exerce un rôle politique aussi incontournable que critiqué. Dernière controverse en date : l’interpellation, le 12 septembre, de deux journalistes du quotidien Le Jour Plus qui l’accusent d’avoir organisé le déversement de déchets toxiques à Abidjan, moyennant finances. Non moins grave, elle a été également désignée du doigt quand son ancien aide de
camp, Anselme Séka Yapo, alias Séka Séka, a été soupçonné d’être le chef des escadrons de la mort qui ont sévi à Abidjan quelques mois après l’éclatement de la crise, en septembre 2002. Son beau-frère, Michel Legré, a été mis en examen dans l’affaire de la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, enlevé à Abidjan le 16 avril 2004. Menacée de poursuites devant la Cour pénale internationale par ses plus farouches adversaires, la fille de Jean Ehivet, ancien chef de la section recherches de la gendarmerie, n’en a cure.

À tous égards atypique, l’épouse de Laurent Gbagbo est l’une des curiosités politiques de l’Afrique contemporaine. Visage plutôt lourd, traits prononcés, menton volontaire, voix forte et imposante, port vestimentaire sobre, elle tranche avec le style de ses homologues du continent abonnées aux grands couturiers et aux bijoutiers de luxe. Aux robes de marque elle préfère les tissus traditionnels ivoiriens. Rompant avec la réserve traditionnelle des premières dames, Simone, comme l’appellent ses compatriotes, prend part au débat politique dans son pays, énonce des positions tranchées, multiplie diatribes et reparties. En Afrique, où la femme n’a souvent qu’une place – le foyer – et qu’une occupation – son mari et les enfants -, elle affirme détester faire la cuisine ou s’occuper de la moindre corvée domestique. Elle ne pratique aucun sport, ne va pas au cinéma, ne loue plus de films faute de temps pour les regarder. Simone « fait de la politique » du matin au soir.
En vrai chef baoulé, Félix Houphouët-Boigny ne s’est jamais accommodé de la place de l’épouse de Gbagbo, alors opposant à son régime. Et se plaisait à railler ce dernier en privé : « Comment quelqu’un qui ne peut pas tenir sa maison peut-il gouverner un pays ? » De fait, le rôle de Simone suscite de vives interrogations depuis l’accession de son mari à la magistrature suprême, le 26 octobre 2000. Et encore davantage depuis qu’une tentative de coup d’État dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002 a dégénéré en rébellion armée. À partir du jour où le pouvoir de son président d’époux a été amputé – plus de la moitié du territoire ivoirien est passé sous le contrôle des insurgés -, elle se révèle brutalement à l’opinion internationale. Alors que son pays plonge dans la guerre civile, elle trouve un rôle à sa mesure, se veut « mère de la nation », montre la voie aux « femmes patriotes », entretient le moral des soldats dans les casernes. Ferraille à l’Assemblée nationale, enchaîne les interventions médiatiques. Et devient tout naturellement le chef de file de la « ligne dure » du régime, hostile à tout compromis, notamment à l’application des accords de paix signés en janvier 2003 à Linas-Marcoussis, dans la banlieue parisienne.

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Simone n’attend d’ailleurs pas la fin de ce conclave dans la banlieue parisienne pour sonner la charge. Alors que les protagonistes de la crise, enfermés plusieurs jours dans le centre d’entraînement de l’équipe de France de rugby, tentent laborieusement de trouver un compromis, elle réunit des femmes dans un quartier périphérique d’Abidjan et déclare : « Si nos hommes vont à Paris pour prendre des décisions qui ne nous satisfont pas, à leur retour, ils ne nous trouveront pas dans leur lit. » L’accord paraphé, elle s’en prend violemment, en public, à Pascal Affi Nguessan, président du FPI, signataire du document pour le compte du camp présidentiel. Elle lui reproche d’avoir accepté ce qu’elle considère comme « une impasse absolue [] qui consacre de facto un coup d’État constitutionnel ». Et ne comprend pas non plus que son mari se soit, dans la foulée, laissé tordre le bras en acceptant la mise en place d’un gouvernement de réconciliation.
De même, quand la communauté internationale retient son souffle, mise sur l’arrangement qu’elle a peiné à trouver pour éviter à la Côte d’Ivoire de sombrer, Simone multiplie les coups de canif dans le document. Elle s’oppose au partage du pouvoir arrêté d’un commun accord à Marcoussis. Se montre hostile à l’entrée de représentants de la rébellion dans le gouvernement de réconciliation nationale. « Dieu n’aime pas les rebelles. Cela est dans plusieurs de ses textes. Il a dit que les rebelles seront supprimés. Chez nous comme ailleurs », lance-t-elle à Lakota, à l’occasion d’une cérémonie du culte d’actions de grâce. Avant de préconiser le recours à la guerre « pour bouter les assaillants hors de Côte d’Ivoire ».
Mise en théorie par Mamadou Koulibaly, président de l’ex-Assemblée nationale, vice-président du FPI et idéologue du régime, cette « ligne dure » mobilise les « Jeunes patriotes » qui descendent par milliers dans les rues pour décrier l’accord et « défendre la République et la légalité constitutionnelle ». Laurent Gbagbo surfe sur la vague, joue les protestations internes pour créer des fissures dans la forteresse Marcoussis. L’accord signé dans la banlieue parisienne échoue à réunifier le pays et à ramener la paix.

Au sommet réuni pour sauver le processus de paix, qui se tient fin juillet 2004 à Accra, Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies, fait dans l’ironie, devant certains chefs d’État : « Si les décisions arrêtées ici rencontrent des difficultés pour s’appliquer, il nous faut envisager la prochaine fois d’inviter madame Simone Gbagbo à nos travaux. Sa meilleure compréhension des solutions peut nous aider à les mettre vite en uvre. »
Annan n’est pas le seul à avoir l’impression d’un duo au sommet de l’État ivoirien, qui a toutes les apparences d’une société cogérée par ses deux actionnaires. Simone et Laurent Gbagbo comptabilisent les mêmes années de militantisme politique, depuis l’aube de la décennie 1970, quand ils ont fait connaissance dans un mouvement clandestin, embryon du FPI. Forte d’une légitimité acquise au cours des dures années d’opposition, Simone jouit d’une influence à nulle autre pareille auprès de son époux, auquel elle n’hésite pas à s’opposer. Une journaliste de l’Agence France-Presse l’a appris un jour à ses dépens. « Vous avez bien de la chance d’être là. Moi, je ne vous aurais jamais reçue », lui a-t-elle lancé, alors qu’elle était en entretien avec le chef de l’État.
Ainsi est madame Gbagbo, une femme au caractère trempé, réputée autoritaire, cassante, rugueuse Dénommée « Xena la guerrière » (d’après l’héroïne d’une série télévisée) par les uns, lady Macbeth par les autres, elle a gardé de son ascendance ethnique – elle est issue des Abourés, du groupe des Akans, attaché à la royauté et à ses ors – un goût prononcé pour le pouvoir. Mais deux gros crocodiles peuvent difficilement cohabiter dans un même marigot, fût-il aussi étendu que la lagune Ébrié. Après plusieurs mois de flou sur le détenteur du pouvoir de décision, Simone laisse l’initiative à son époux fin 2003, se cantonne à ses tâches de députée, se fait rare dans les apparitions publiques du chef de l’État. Et même à sa table, autour de laquelle le gourmet Laurent Gbagbo discute avec amis, invités et personnalités étrangères de passage à Abidjan.
Sans doute pour atténuer la forte présence de son épouse dans l’espace public, Gbagbo s’oppose, début 2006, à sa cooptation dans la direction du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD, regroupement de toutes les forces politiques de la mouvance présidentielle). Sans toutefois réussir à l’en exclure. Déterminée à figurer parmi les décideurs de cette structure politique, plate-forme du futur candidat à sa propre succession, Simone finit par arracher le poste de secrétaire générale du CNRD, avec l’appui de ses alliés dans l’entourage présidentiel. Politique jusqu’à la caricature, tenace, elle ne cède rien ou presque quand le pouvoir est en cause. Difficilement, en 2001, elle accepte de renoncer au perchoir de l’Assemblée nationale, après de multiples interventions de proches pour la convaincre qu’il n’est pas convenable qu’elle soit le dauphin constitutionnel de son mari.
C’est un euphémisme : Simone aime le pouvoir. Et tient à participer aux grandes décisions. Au cours des dramatiques événements de novembre 2004, elle fait partie, avec Mamadou Koulibaly et Charles Blé Goudé, de ceux qui convainquent Gbagbo d’arrêter ses communications téléphoniques avec Paris pour se concentrer sur l’organisation de ses troupes afin de barrer la route du palais aux chars français. Des divergences de fond peuvent apparaître dans le couple. Mais elles passent aux yeux de certains pour une stratégie : celle de la courte échelle. S’ils sont souvent sollicités, les avis de Simone ne triomphent pas toujours. Il n’est pas rare que son époux, trop attaché au pouvoir pour laisser quelqu’un d’autre l’exercer à sa place, décide seul. Elle s’en ouvre d’ailleurs quelquefois à des intimes, regrettant que son homme ne l’écoute pas suffisamment, alors qu’ils vivent à deux seulement dans la résidence de Cocody. Les filles qu’elle a eues d’un précédent mariage, Patricia, Marthe et Antoinette, sont dans leurs domiciles conjugaux respectifs, tandis que « les jumelles Gbagbo » poursuivent leurs études universitaires aux États-Unis.
Mais la crise qui secoue le pays depuis plus de quatre ans a bouleversé certaines habitudes du couple. Gbagbo, qui sort rarement du lit avant midi, peut travailler et recevoir des visiteurs dans son bureau jusque très tard dans la nuit. Il met à profit ses repas pour discuter avec des invités, généralement ses collaborateurs, des politiques ou des journalistes. Simone mange donc seule et, contrairement à son époux connu pour son bel appétit, est réputée sobre, consomme diététique et ne boit pas une seule goutte d’alcool.
Quoique première dame, madame Gbagbo vit des problèmes ordinaires dans son ménage, peut se comporter en femme au foyer, veillant sur les obligations sociales de son mari. Il arrive qu’elle s’introduise dans le bureau de celui-ci à la résidence de Cocody, soit pour lui annoncer un décès, un mariage ou une naissance, soit pour l’informer qu’elle le représente à tel événement ou fait parvenir des condoléances, des félicitations, ou une contribution de sa part. Une vie de couple normale à laquelle tout la disposait a priori.

Issue d’une famille modeste, Simone n’a pas toujours eu un parcours balisé. Elle n’a pas été épargnée par la vie, partagée depuis son adolescence entre le féminisme, la lutte politique clandestine, la prison Elle perd sa mère en venant au monde, le 20 juin 1949. Dans l’univers africain, un enfant qui naît dans des conditions aussi tragiques est plutôt mal accueilli, pour ne pas dire plus. Et on le lui fait sentir. Elle grandit dans le vide affectif laissé par sa mère doublé d’un sentiment de culpabilité cultivé en elle par des allusions à des croyances enfouies dans la nuit des temps.
Fille de gendarme, elle est ballottée d’une localité à l’autre de la Côte d’Ivoire avec ses dix-huit frères et surs, au gré des affectations de son père. Piquée dès le collège par le virus du militantisme, elle adhère à la section féminine de Jeunesse estudiantine catholique (JEC-F), dont elle devient la première responsable de 1967 à 1971. C’est au cours de ces années qu’elle apprend à diriger. Elle se frotte aux thèses socialistes, lit les écrits des incontournables Marx, Engels et Mao alors en vogue dans les milieux de gauche, mais reste attachée à une adaptation de ces théories aux réalités africaines.

Alors qu’elle prépare un doctorat de troisième cycle en littérature orale à l’université d’Abidjan (sujet : « Le langage tambouriné chez les Abourés »), elle inonde le campus des idées de Patrice Lumumba et de Nkwame Nkrumah, chantres du marxisme corrigé au goût du continent. Dès 1972, sous le pseudonyme d’« Adèle », elle est la seule femme à participer aux réunions de « l’Organisation », un mouvement clandestin, ancêtre du futur FPI. L’année suivante, elle rencontre « Petit Frère », nom de code de Laurent Gbagbo, divorce et épouse ce jeune professeur d’histoire. Le couple donnera naissance en 1982 à des jumelles – Gado et Popo – avant que Laurent Gbagbo, accusé d’activités subversives par le régime d’Houphouët, ne soit contraint à l’exil en France. Il y reste jusqu’en 1988. « Adèle » prend la direction du FPI, toujours clandestin, qu’elle cumule avec sa fonction de secrétaire générale adjointe du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) et son combat contre la polygamie et pour le respect des droits de la femme.
À son retour d’exil, Gbagbo récupère des mains de cette enseignante et chercheur en linguistique à l’université d’Abidjan un parti qui a fini sa mue idéologique. Exit le corpus marxiste de « l’Organisation » qui, dans les tracts naguère distribués sur le campus universitaire, prônait « la révolution prolétarienne » ! Place au réalisme et à un programme politique pragmatique ! « Il fallait modifier notre discours pour toucher plus de monde et traiter des véritables problèmes de la Côte d’Ivoire, confessait Simone à la fin des années 1980. Nous avons décidé de nous lancer dans un combat pour la démocratie par la voie pacifique. » L’ouverture démocratique décidée par Houphouët-Boigny en 1990 ne met pas fin aux brimades à l’encontre du célèbre couple d’opposants. À la suite des manifestations du 18 février 1992, Simone et Laurent Gbagbo sont arrêtés et emprisonnés six mois durant.
Au bout de deux décennies de militantisme, Simone est élue députée d’Abobo, une banlieue populaire d’Abidjan, en 1996. La même année, elle est victime d’un grave accident de la circulation qui a failli lui coûter la vie ainsi qu’à son mari. Elle se tire de ce drame avec la conviction que leur couple est « élu » de Dieu. La catholique de naissance se convertit à l’évangélisme de type anglo-saxon, un courant du protestantisme qui a connu une forte expansion au cours des quinze dernières années, aux États-Unis notamment. La renaissance de la foi chez les Gbagbo est jusqu’à ce jour intacte. Chaque vendredi, à leur résidence de Cocody, ils organisent avec quelques intimes triés sur le volet une séance de prières sous la direction de Moïse Koré, « prophète » de l’église Shekinah Glory Memories, conseiller spirituel mais également missi dominici multicarte du chef de l’État.

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Depuis le début de la crise, Simone multiplie les offices religieux et les séances de recueillement pour demander le retour de la paix. Elle croit mordicus que cette crise est le fruit d’un grave déficit spirituel. Et la voilà à l’initiative de veillées de prières dans les quartiers d’Abidjan. Ou préconisant un mois entier de carême à la veille de la réunion, le 17 octobre à Addis-Abeba, du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine sur la Côte d’Ivoire. Simone jeûne plusieurs jours par mois, passe une bonne partie de la journée à lire la Bible, écoute régulièrement des gospels, ces chansons aux « paroles sacrées » tirées des « écritures saintes ». Les références à Dieu sont récurrentes dans ses causeries privées.
Son discours politique vire parfois à la transe. Comme quand elle assène, au cours d’un meeting, à une assistance médusée : « Nous sommes fermement arrêtés sur du roc. Le roc de notre foi en Dieu. Nous serons sauvés. Dans la mesure où nous nous sommes abandonnés dans ses mains. Nous voyons déjà les prémices de la délivrance. L’autorité divine se réaffirme. Lorsque son oint, le président de la République, parle, sa voix va le plus loin possible et touche les curs. Les faiseurs de troubles cafouillent. » Ou quand elle lance en octobre 2004, devant une foule de Jeunes patriotes : « Je remercie Dieu de nous avoir donné cette terre, ce peuple. Merci à Dieu de nous avoir donné cette jeunesse. Merci à Dieu de nous avoir donné ce président de la République. Merci mon Dieu de nous avoir donné cet enthousiasme. [] Merci mon Dieu de nous avoir donné ce sens de la grandeur et du partage. Merci mon Dieu de nous avoir donné ce sens du pardon. Merci mon Dieu tout simplement d’être Dieu. »
Depuis le 19 septembre 2002, indique un ami français du couple, « la première dame se sent investie d’un sacerdoce : défendre les chrétiens du sud de son pays contre l’agression des musulmans du nord ». Le 21 décembre 2002, devant la Congrégation des femmes musulmanes de Côte d’Ivoire, Simone n’hésite pas à déclarer que les musulmans et les Nordistes sont les soutiens de la rébellion. Les similitudes de cette approche avec celle de la « croisade du Bien contre le Mal » prônée par les évangélistes de l’administration Bush sont frappantes. Et ce n’est pas un hasard si les États-Unis ont accueilli l’une des rares visites à l’étranger de Simone Gbagbo. En janvier 2001, elle prend part à Washington au rassemblement mondial de prières, à l’invitation du National Breakfast Prayer. Pour implorer Dieu, mais aussi – vraisemblablement – pour nouer des contacts politiques.

En bonne évangéliste, Simone est convaincue que le messie viendra le jour où le peuple juif vivra en paix sur la Terre promise. Elle s’est ainsi rendue en Israël, dont elle soutient la politique. Et dont elle escompte l’assistance. C’est à Jérusalem, en mai 2003, qu’elle porte un coup de griffe aux rapports plus que séculaires entre Paris et Abidjan. Dans une interview largement relayée, elle déclare : « Les Français ont pris parti pour les rebelles au début des émeutes. Et là où les rebelles avaient échoué par la force, ce sont les Français qui les ont placés au gouvernement, en imposant au président ivoirien les accords de Marcoussis. [] Nous voulons aujourd’hui nous tourner vers d’autres pays comme la Chine, le Japon, les États-Unis et Israël. »
De retour à Abidjan, elle appelle à la mobilisation pour « parachever l’indépendance de la Côte d’Ivoire » et s’insurge contre l’implication française dans le règlement de la crise : « La France n’a qu’à rester tranquille et se mêler de ses affaires. Elle nous a causé assez de problèmes comme ça. » Suffisamment en tout cas pour que les Jeunes patriotes, le bataillon civil de Laurent Gbagbo, s’attaquent au tissu de PME-PMI françaises et poussent quelque 8 000 ressortissants de l’Hexagone à quitter le pays après les dramatiques événements de novembre 2004.
Accusée de distiller « l’ivoirité », cette idéologie discriminatoire dirigée contre les Ivoiriens du Nord et les étrangers vivant dans le pays, Simone enfonce le clou, en juillet 2001 : « L’ivoirité ne me dérange pas. Chacun a son origine. La revendiquer n’est pas un péché. » Puis elle multiplie les sorties qui inquiètent les allogènes et leurs descendants qui ont contribué à bâtir le « miracle ivoirien ». « Je veux des bouchers, des éleveurs, des agriculteurs. Si nous laissons les activités économiques aux étrangers, ils vont nous étouffer », martèle-t-elle le 15 septembre 2005 à Sassandra. Avant d’ajouter, quelques mois plus tard, alors qu’elle commente les paroles de l’hymne national ivoirien : « Depuis que notre pays est en guerre, je me demande pourquoi nos aînés ont introduit dans l’hymne l’expression pays de l’hospitalité. Nous avons accueilli les étrangers et ils nous font la guerre. Nous avons pratiqué l’hospitalité et ils nous tuent. Même avec la guerre, nous continuons d’offrir l’hospitalité et ils arrivent sans arrêt. »

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Celle qui a publiquement déclaré que « l’épouse du président de Côte d’Ivoire doit être une Ivoirienne de race noire » (Dominique Ouattara, la femme de l’opposant et candidat à la présidentielle, Alassane Dramane, appréciera) est avare de son estime pour les opposants au régime de son mari. L’ex-chef de l’État, Henri Konan Bédié, passe à ses yeux au mieux pour un « idiot ». Et le leader de la rébellion, Guillaume Soro, pour « un jeune homme pressé et manipulé ». Tandis qu’elle trouve un seul responsable à la crise qui mine la Côte d’Ivoire : « l’étranger Alassane Dramane Ouattara ». Bédié, Soro et Ouattara le lui rendent bien, qui la perçoivent comme « l’incarnation de toutes les dérives du système Gbagbo ».
Ces diatribes sont monnaie courante dans un débat politique ivoirien parasité par la violence depuis plus d’une décennie. Elles prennent toutefois une tout autre portée lorsqu’elles sont prononcées par la femme la plus influente du pays. Mais également la mieux « armée » : on prête à Simone d’avoir acquis, fin 2005, pour quelques centaines de millions de francs CFA, une société de sécurité qui affiche un effectif de près de 500 hommes formés aux techniques modernes de combat et de maniement des armes.
Dans un contexte de plus en plus précaire, marqué par une prolongation de la transition et une grande incertitude sur la date des futures élections, la force de frappe entre les mains de la première dame ne cesse d’intriguer. D’autant que la fervente chrétienne Simone Ehivet Gbagbo n’a pas coutume de tendre l’autre joue.

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