Abou Moussab al-Zarqaoui, vie et mort d’un djihadiste
Pour les Américains, l’élimination d’Abou Moussab al-Zarqaoui est une victoire psychologique qui ne simplifie en rien l’équation irakienne.
Pour quelques-uns, il est un martyr. Pour tous les autres, un sordide assassin. Abou Moussab al-Zarqaoui, Ahmed Fadil Nezzal al-Khalayleh pour l’état civil, est mort le 7 juin, à 18 heures, dans le bombardement d’une maison isolée à Baaqouba, au nord-est de Bagdad. Les Américains y voient un « événement historique ». Et Nouri al-Maliki, le nouveau Premier ministre, « l’acte fondateur du nouvel Irak ».
Entre le largage de la première bombe, à 18 heures (15 heures TU), par un avion américain et l’explosion de la seconde, quarante-cinq secondes se sont écoulées. Quelques instants plus tard, le verdict tombait : « La cible n’a aucune chance de survie. » La police irakienne est arrivée la première sur les lieux. Pour « sécuriser le site ». Les forces de la Coalition (en fait, des éléments de la 4e division de marines) et une unité de la Garde nationale irakienne ont pris le relais et « traité la cible ». Autrement dit, extrait les cadavres des décombres.
Il y en avait six, dont celui d’une femme (la troisième épouse de Zarqaoui, selon certaines sources) et celui d’une jeune fille (sa fille, sans doute). Le corps du djihadiste, dont la tête était mise à prix 25 millions de dollars, a ensuite été transféré dans un lieu sûr où les médecins légistes ont travaillé une grande partie de la nuit. Zarqaoui a pu être identifié grâce à ses empreintes digitales et à un tatouage qu’il portait depuis son incarcération, en 1993, dans une prison jordanienne.
Il est 5 heures (heure locale) quand Maliki est réveillé par un coup de téléphone de Zalmay Khalilzad. L’ambassadeur des États-Unis lui confirme qu’il s’agit bien de Zarqaoui. « Nous vous laissons la primeur de l’annonce », lui dit-il. Maliki est fou de joie : « C’est un beau cadeau que vous me faites. Mais je vais vous en faire à mon tour : j’ai obtenu un consensus pour les deux postes ministériels à pourvoir (Défense et Intérieur). Désormais, mon équipe est complète. » La mise en place d’un gouvernement d’union nationale était en effet une préoccupation majeure de l’administration Bush, pressée de voir s’esquisser une solution politique au casse-tête irakien.
À 9 heures, la presse est convoquée au siège du gouvernement, dans la Zone verte. Les journalistes sont convaincus que Maliki va annoncer la composition définitive de son équipe. Quand le Premier ministre fait son entrée, il est accompagné de Khalilzad et du général George Casey, commandant des forces de la Coalition. « Zarqaoui a été éliminé », annonce Maliki d’un ton neutre. Cris de joie et applaudissements dans la salle. Et c’est ainsi que le monde a appris la fin de la cavale de l’homme le plus recherché d’Irak. Restent quelques questions.
Comment Zarqaoui a-t-il été localisé ?
Le chef d’al-Qaïda en Mésopotamie a plusieurs fois glissé entre les mains des Américains. Depuis août 2003, date des attentats contre le siège de l’ONU à Bagdad et contre le chef chiite Mohamed Baqer al-Hakim, sa capture était la priorité du Pentagone, mais aussi des services de sécurité arabes. Son extrême prudence et la discipline de fer qu’il imposait à ses hommes ont longtemps compliqué la tâche des limiers lancés à ses trousses. C’est son orgueil qui l’a perdu.
Discret depuis septembre 2005, Zarqaoui veut démentir les rumeurs de disgrâce le concernant. On sait que de sérieux différends l’opposaient à la direction d’al-Qaïda Il fait donc diffuser une bande-vidéo le montrant d’abord dans une maison, au cours d’une « réunion d’état-major », puis dans un camp d’entraînement. L’analyse du film va permettre aux Américains de localiser l’endroit où il a été tourné. Deuxième renseignement précieux : Zarqaoui a décidé de montrer son visage. Cela pourrait signifier qu’il a considérablement réduit ses déplacements et « sédentarisé » son QG. La traque est relancée. Les hommes de la force Delta, l’unité d’élite qui captura Saddam Hussein en décembre 2003, reçoivent le renfort d’ex-barbouzes de l’ancien régime, mais aussi des Jordaniens.
Dès la diffusion des images, le général Mohamed Dhahabi, patron du GED, les services secrets du royaume, dépêche une unité spéciale, Forsane al-Haq (« cavaliers de la justice »), à al-Anbar, dans le désert de Syrie, non loin de la frontière. Les Jordaniens ont une longueur d’avance sur les Américains et les Irakiens. Ils viennent en effet de mettre la main sur Ziyad al-Karbouli, l’un des lieutenants de Zarqaoui, qui tentait de pénétrer sur leur territoire. Dans ses aveux, le djihadiste évoque une réunion du Majliss ech-choura, l’une des structures d’al-Qaïda en Irak. L’information est recoupée, confirmée. « Cette fois, nous étions sûrs à 100 % de l’avoir », commente le général Casey.
Zarqaoui a-t-il été trahi ?
Dans ce genre de traque, le rôle des informateurs est essentiel. Quelqu’un va-t-il réclamer les 25 millions de dollars de prime ? On verra. Seule certitude, pour l’instant : la relative précision de l’information transmise par les Jordaniens. Mais ces derniers avaient annoncé la présence à Baaqouba d’Abou Abderrahmane al-Iraki, le « mufti », sorte de guide spirituel, d’al-Qaïda en Irak. Ce qui n’était pas le cas. Certains spécialistes en ont aussitôt conclu que Zarqaoui pourrait avoir été « balancé » par ce même Abou Abderrahmane, hypothèse vite démentie par al-Qaïda. Les Américains étaient convaincus que le successeur de Zarqaoui serait Masri Abou al-Masri, un Égyptien transfuge d’Afghanistan entré en Irak en sa compagnie, en 2002. Erreur : le Majliss ech-choura a désigné – sans contestation, semble-t-il – Abou Abderrahmane. Celui-ci était en concurrence avec Abou Hafs al-Irak, le patron de la communication. Mais, bien entendu, tout cela n’innocente pas forcément Abou Abderrahmane.
Est-ce la fin de la violence en Irak ?
George W. Bush et Tony blair ont eu le triomphe modeste, ce qui se conçoit : la nouvelle de l’élimination de Zarqaoui a été « saluée » par l’explosion de trois voitures piégées à Bagdad. Bilan : plus de trente-cinq morts. Selon toute apparence, la violence en Irak ne disparaîtra pas avec Zarqaoui.
Donald Rumsfeld, qui se trouvait à Bruxelles pour une réunion de l’Otan, a suivi l’opération presque heure par heure. Bush, pour sa part, a voulu se donner le temps de la réflexion : une réunion extraordinaire se tiendra le 12 juin à Camp David. Seront présents : Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Condoleezza Rice, le général Richard Meyers et les membres du Conseil de sécurité nationale. Maliki et ses ministres de la Défense, de l’Intérieur et de la Sécurité participeront à ce brain-trust par vidéoconférence.
Dans le camp des insurgés, la mort de Zarqaoui a été différemment appréciée. Ibrahim Chammari, le porte-parole de l’Armée islamique irakienne, estime que « la perte d’un moudjahid n’a jamais signifié la fin du djihad ». Leith Choubeilat, un islamiste modéré jordanien qui fut naguère incarcéré avec Zarqaoui, confirme que la violence se poursuivra. « Il n’était ni un grand stratège ni un prédicateur de renom. Zarqaoui devait sa notoriété à sa longévité en tant que djihadiste, à son discours radical et à ses appels au meurtre contre les chiites. Il n’était pas la cause de la violence en Irak, mais le produit de l’occupation. » Si dans les villes et les quartiers chiites on a distribué des gâteaux pour fêter l’événement, ailleurs, l’opinion se partage entre crainte d’un regain de violence et tristesse pour la fin d’un symbole de la résistance. Zarqa, la ville natale du terroriste, en Jordanie, est en deuil. La famille Khalayleh a dressé une tente pour recevoir les condoléances. Une foule s’y presse. Aucune réaction officielle, à ce jour, dans le monde arabe.
La disparition de Zarqaoui peut-elle contribuer à améliorer l’image de l’insurrection ? « Les Américains ont abattu l’arbre terroriste qui cachait la forêt de la résistance », commente un habitant de Bagdad.
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